M. Sarkozy sur un yacht : ou comment faire savoir ce que je ne veux pas qu’on sache ?

par Paul Villach
vendredi 18 mai 2007

La retraite pour « habiter la fonction » que le nouveau président de la République avait annoncée à l’avance en cas d’élection, aurait très bien pu rester secrète. Et nul n’aurait jamais su s’il s’était retiré dans un austère monastère cistercien ou sur une île déserte. Le but, à l’en croire, était de se tenir momentanément à l’écart du monde après le tumulte de la campagne et avant d’occuper la place la plus en vue de la scène politique française.

Au lieu de cela, on a très vite appris que le nouvel élu faisait retraite sur un yacht à Malte, mis à sa disposition par M. Bolloré, un ami milliardaire. Là encore, il aurait pu n’en donner aucune image pour respecter cet instant de vie privée qu’il entendait, à bon droit, préserver.
Ce n’était pas apparemment le but. Il a souhaité au contraire que ça se sache. Et comme, à l’ère télévisuelle, il n’est pas d’événement sans image, le nouvel élu en a fourni. Lesquelles ? C’est la question qu’il a dû se poser, en tant que metteur en scène de lui-même, conseillé de quelques assistants.

Une scène minutieusement choisie

Il en a choisi et le sujet et la forme. L’une d’elles par exemple a offert une scène suffisamment explicite vue de très loin. C’est celle d’un père protecteur et aimant veillant à ce que son jeune fils, hissé dangereusement au-dessus de la rambarde, ne fasse pas la culbute à vouloir contempler l’écume soulevée par le yacht sur les flots bleus : il n’a pas fait descendre son fils pour le laisser faire son expérience, mais on le devine lui prodiguant le conseil de ne surtout pas se pencher ; de toute façon, on le voit prêt à parer à toute éventualité. Mme Royal a été accusée de maternage ; le nouvel élu n’est pas en reste : il montre qu’il sait lui aussi paterner, mais en laissant l’enfant prendre des risques. C’est peut-être ainsi que le nouvel élu entend résumer son programme présidentiel aux électeurs-lecteurs des magazines comme Paris-Match.

Le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée.

Quant à la forme, il fallait à l’élu résoudre une contradiction. Comment faire savoir ce que je ne veux pas qu’on sache tout en voulant que ça se sache ? Cela se nomme une fuite organisée que pratiquent les politiques tous les jours.
Elle repose sur un leurre : l’information donnée déguisée en information extorquée. Quel est l’intérêt de ce travestissement ? L’information donnée est celle que toute personne livre volontairement et, pour cette raison, elle n’est jamais fiable. Quel individu est prêt à livrer des informations susceptibles de lui nuire ? L’information extorquée, au contraire, est beaucoup plus fiable, parce qu’elle est obtenue par le récepteur à l’insu et/ou contre le gré de l’émetteur : les moyens pour y accéder vont de l’enquête critique méthodique aux écoutes téléphoniques ou derrière une porte, voire au chantage, aux indicateurs et plus encore.

La photo floue, la traduction de ce leurre en image

La traduction en image du leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée se pratique à l’aide de deux techniques usuelles : l’une consiste à prendre des photos floues, celles d’une star, par exemple, entre deux portes, à travers les vitres d’une voiture, ou de très loin avec un zoom. L’autre prescrit le cadrage bancal.
- Ces deux techniques livrent une information donnée : ces images ont été prises sans le consentement des personnes.
- Et cette information donnée est convertie en information extorquée, et donc fiable, par « l’enquête » sommaire que le récepteur peut lui-même mener sans trop y réfléchir : ces images portent les stigmates d’instantanés volés ; si elles sont floues et mal cadrées c’est parce qu’elles ont été prises à la va-vite par surprise !

Pas si élémentaire, mon cher Watson ! Qu’en sait-on ? Ces photos peuvent très bien avoir été mises en scène par la star et son photographe, à seule fin de rendre ces images plus fiables aux yeux du public de voyeurs à qui elles livrent en retour les miettes de la gloire qu’elles lui assurent.
Dans le cadre de la mise en scène de la retraite du nouvel élu, il ne fait aucun doute que la photo floue a été prise de loin au zoom par un photographe accrédité jouant au voleur d’images selon un scénario préalablement élaboré, à partir d’un des bateaux qui escortaient, a-t-on appris, l’élu pour sa protection. On imagine mal qu’un bateau intrus ait pu s’approcher sans autorisation.

Qu’une présidence commence par montrer qu’elle n’hésite pas à recourir à des leurres pour tromper son monde, invite à tirer déjà deux leçons. L’une est la conviction de l’élu de s’adresser à une massse de badauds, voire de ballots encore assez frustes pour ne pas repérer les leurres avec lesquels on les roule dans la farine. L’autre est la défiance que peuvent éprouver ceux au contraire qui les identifient, envers celui qui ose sans vergogne en user.


Lire l'article complet, et les commentaires