Ma rencontre avec Camus (2)
par GHEDIA Aziz
lundi 24 janvier 2022
Je réserve ma critique de ce livre pour la fin.
Mais que les choses soient claires, je ne suis pas critique littéraire et encore moins spécialiste de Camus. Je n’aurai donc certainement pas grand-chose à dire. Ceux qui s’attendent peut-être à une critique en bonne et due forme ou à des révélations inédites concernant la vie ou l’œuvre de Camus risqueraient de rester sur leur faim. Cependant, il y a une chose que j’aimerai bien aborder dès maintenant, c’est la première phrase du livre ou ce que les critiques littéraires appellent l’incipit. D’emblée, Camus écrit « aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas ». On a beaucoup glosé sur cette entrée en la matière. Pour les critiques qui se sont intéressés à l’œuvre camusienne, cette si simple phrase (constituée d’un sujet, d’un verbe et d’un complément) est considérée comme une œuvre littéraire à elle seule. Pourtant, en matière d’incipit, on pourrait trouver mieux. Que ce soit parmi les auteurs français ou étrangers, notamment américains (mais traduits en français). Un exemple parmi tant d’autres : dans Love story (que j’ai lu durant la même période et qui a été adapté au cinéma), Erich Segal commence ainsi : "Que dire d'une jeune fille de vingt cinq ans quand elle est morte.
Qu'elle était belle. Et terriblement intelligente. Qu'elle aimait Mozart et Bach. Et les Beatles. Et moi."
Je reconnais que personnellement, émotionnellement, ça me laisse coi.
Plus que cette petite phrase de Camus : « aujourd’hui, maman est morte ».
Même si, l’utilisation par Albert Camus du terme « maman » (au lieu de ma mère, par exemple) dans son incipit renseigne, on ne peut plus clair, sur l’amour et l’attachement que voue l’auteur à sa mère. Et qu’est-ce qu’il y a plus que l’amour maternel ?
Au début de cet article, j’ai annoncé la couleur. J’ai dit qu’Albert Camus était mon auteur préféré. Ou du moins, il l’était durant mes années de lycée et de fac. Mais, sans chauvinisme aucun, je dois avouer qu’en matière d’incipit, je trouve qu’il y a mieux : celui de Love story est bien meilleur. Mais cela ne reste qu’un avis. Une opinion personnelle. Ni plus ni moins. Car, comme pour les goûts et les couleurs, les incipits ne se discutent pas. Ce qui m’a amené, en fait, à parler de cette histoire d’incipit, c’est le dernier article en rapport avec cette question que j’ai lu, il y a quelques jours, sur le journal en ligne « Slate » 1. Dans cet article, on parle même de la difficulté à traduire cette phrase en anglais sans que cela n’altère la portée émotionnelle qu’elle suscite. Qu’en est-il de la traduction en arabe ? Je n’en sais rien. Absolument rien. A vrai dire, je ne sais même pas si une telle traduction existe ou pas.
Les jours suivants aussi, j’ai consacré une bonne partie de mon temps extrascolaire si j’ose dire à la lecture. Des livres d’Albert Camus. Nietzsche, avec sa philosophie rébarbative, pouvait attendre.
Etant, à l’époque, étudiant en 3e année de médecine, c’est, cela va de soi, beaucoup plus La peste qui m’avait marqué le plus à tel point que j’ai dû prendre cette fiction pour de la réalité. L’histoire se passait dans les années 40 du siècle dernier, autrement dit durant la colonisation française, à Oran, une ville cosmopolite de l’Ouest algérien et même si, dans le livre, il s’agissait de français qui avaient été touchés par cette calamité due à une prolifération de rats dans la ville, rien ne dit que les autochtones, les Algériens, ne tombaient pas, eux, comme des mouches. On ne le saura jamais, car Camus, et c’est un reproche qu’on lui fait ici, a toujours pris les « Arabes » pour une quantité négligeable, une entité qui ne mérite pas d’être citée. Leur mort, par la peste ou par toute autre cause, le laissait peut-être indifférent. Elle n’avait pas à être rapportée et encore moins abondamment commentée.
A suivre