Macron - Castaner : vers une rupture entre le peuple et sa police

par Gustave
mardi 21 janvier 2020

Le gouvernement actuel, rangé derrière son chef spirituel Emmanuel Macron et arc-bouté sur sa volonté de réforme néolibérale, tente d'imposer en force une réforme largement rejetée, à un pays qui ne l'a gratifié que d'un petit quart de ses suffrages. Cette illégitimité morale qu'il veut ignorer le confronte depuis des mois à des révoltes et à des mouvements sociaux de très grande ampleur.
A ces deux formes de résistance il a décidé d'opposer une tactique répressive croissante.

Mais de l'illégitimité et de la volonté de réformer en force, à la révolte puis à la répression, sa fragilité le conduit à instrumentaliser les forces de police, et à prendre ainsi la responsabilité d'une grave coupure entre le peuple de France et la force publique pourtant sensée agir en son nom.

En ce début janvier encore, les dérives policièresi ont frappé manifestants, Gilets Jaunes et syndicalistes, alors qu'aucun défilé ne présente la moindre violence et que tous suivent sagement les itinéraires convenus avec les autorités. On pourrait citer mille exemples de violences gratuites, mais aussi d'incivilités, de vulgarités inutiles, de détestations inquiétantesii.

Ce ne sont là que des anecdotes, mais elles sont révélatrices d'un état d'esprit et de l'accroissement de la tension. Plus aucune tolérance ne subsiste entre le peuple1 et sa police, sans parler évidemment d'empathie. On est bien loin de l'époque des « agents de la paix », et une crainte mêlée de rancœur fait progressivement place au respectiii.

Incontestablement fleurit aujourd'hui une haine de la police dans une partie grandissante de la population. Il n'y a plus à en démontrer les raisons : nombre de faits incontestables ont été relatés, filmés, consignés par des journalistes, un épisode gravissime démonté par le journal Le Monde lui même, les effets de armes dangereuses dénoncés par la Commission européenne. Tout cela est appuyé par un arsenal juridique confondant, et conforté par une impunité quasi totale et une tolérance invraisemblable et inquiétante vis-à-vis du non respect des réglementations par les dites « forces de l'ordre ». Les murs de nos villes se couvrent de slogans haineux, et l'on entend dans les cortèges scander : « Tout le monde déteste la police ». ACAB devient le sigle de ralliement des opposants de toutes tendances confondues.

Même là où on l'on ne manifeste pas, où l'on ne se confronte pas à la police, les faits sont connus et révoltent ; en premier lieu bien entendu dans les banlieues. Il paraît que M. Macron lui-même, ayant vu un film sur les « cités » – pas les cités elles-mêmes, n'est-ce pas – a ostensiblement montré qu'il était touché par le phénomène. M. Macron n'avait jamais entendu parler de violences policières ni de répression. Et d'ailleurs, nous dit-il, il ne PEUT pas y en avoir puisque nous sommes dans un état de droit. Ce qui revient à dire que dans notre pays, une violence policière est un droitiv...

 

Un cercle délétère s'enclenche alors, lorsqu'en retour cette haine de la police déclenche ou amplifie en retour la méfiance, la détestation par les forces de l'ordre de tout ce qui ne ressemble pas à un bourgeois établi, de tout ce qui porte Gilet Jaune bien sûr, mais aussi de tout ce qui ressemble à un syndicaliste, à un gréviste, un « gauchiste », un chômeur. Et plus si affinitésv.

 

Il se creuse donc inexorablement un fossé entre la nation et ses forces de l'ordre dont la légitimité se trouve de toute évidence affaiblie. Un fossé extrêmement problématique et dangereux. Car s'il paraît évident qu'il ne peut guère exister de nation sans police, un minimum d'empathie et de confiance réciproque sont nécessaires si l'on veut préserver le concept de « forces de l'ordre » au service du « peuple souverain ». Et si un certain maintien de l'ordre est généralement considéré comme indispensable, encore faut-il qu'il n'apparaisse pas comme uniquement, aveuglément et prioritairement destiné à préserver à tout prix les classes dirigeantes et le pouvoir qui les sertvi.

Bien entendu, la défense de l’État fait évidemment partie des missions naturelles des forces de l'ordre, et cela semble légitime lorsqu’il s'agit d'un état démocratique, représentant la « volonté du peuple ». Cependant l'interversion de l'ordre des facteurs n'est pas innocent et lourd de conséquences.

Il n'a échappé à personne que la nature de la démocratie actuelle, et donc la dite volonté du peuple sont aujourd'hui questionnées. La détermination (contre)réformiste d'un exécutif mal élu pose donc problème alors que ces prétendues réformes sont largement analysées comme une atteinte aux conquêtes sociales.

De son côté, la consanguinité des membres de l’exécutif et des puissances d'argent ne peut qu'affaiblir encore cette légitimité alors qu'en France comme partout dans le monde – et parfois même davantage – l'augmentation des différences de richesse est criante est de plus en plus mal perçue, et interprétée comme l'une des raisons principales des régressions socialesvii.

Dans ce contexte, les (contre réformes) obstinément imposées par un « président des riches » sous la houlette d'un Haut Commissaire qui « oublie » 6000 euros de rémunérations sont « révoltantes ».

Le pouvoir ne l’ignore pas, et cette perspective l'incite évidemment à construire un instrument de défense de l’État dont la légitimité est de plus en plus douteuse.

Or il n'est pas difficile de comprendre que l'opposition entre population et police, si elle est de toute évidence délétère quant à la confiance et à la légitimité accordée aux forces de police et dangereuse pour la république et pour la démocratie, présente incontestablement quelques intérêts pour le pouvoir exécutif dans cette circonstance difficile.

Tout le monde a bien compris que le désarroi de M. Macron et de ses séides est né lorsque l'action des G.J., sortant des cadres auxquels sont rodés les préfets de police, les ministres de l'intérieur et les commandants de bataillons, a fait soudain vaciller leur autorité et laissé douter de leur capacité à défendre le fameux « ordre public ». A introduit le doute quant à leur capacité à protéger les lieux symboliques de la Grande Bourgeoisie et les lieux saints de la Républiqueviii.

Et tout le monde pressent sans grand effort qu'une éventuelle fraternisation entre forces de l'ordre et manifestants, entre force de l'ordre et opposants politiques (soit environ 75 % de l'électorat si l'on compte bien) mettrait l'exécutif en difficulté. Il saute aux yeux qu'une éventuelle « convergence des luttes » entre forces de l'ordre et populations marquerait un virage radical et mettrait rapidement fin aux ambitions réformatrices du pouvoir actuel. Ce qui compromettrait gravement sa réélection, et surtout la mission néolibérale qui lui a été confiée par les classes possédantes.
Tout le monde a bien compris en effet qu'en décembre 2019, ces « forces de l'ordre » que l'on surmenait en en faisant le dernier rempart contre la colère, dont les heures supplémentaires non payées s'accumulaient, ces forces de l'ordre au fond traitées comme des larbins, méprisées comme leurs semblables qui ne sont rien, n'étaient pas loin du burn-out, pas loin elles-mêmes de la révolte.

Des « signaux faibles » de cette fronde latente ont fort bien été entendus par M. Castaner et son chef, et la panique s'empara un instant des sphères du pouvoirix.

On peut évidemment penser que cette dégradation du pacte républicain est un accident de parcours, une simple maladresse de pilotage. Mais on peut aussi faire l'hypothèse que cette situation d'antagonisme, qui est donc plutôt souhaitable sinon nécessaire pour les classes dirigeantes, est en partie voulue et organisée. C'est évidemment indémontrable, ce serait évidemment cynique. Pourtant il existe quelques raisons d'y accorder crédit.

L'incroyable traitement de l'affaire Benalla, les dénégations irrecevables des hautes sphères de la police et du pouvoir face aux brutalités criantes, la tolérance affichée vis-à-vis du non respect de la loi, sont autant d'indices dans ce sensx, autant d'éléments susceptibles de dresser la population contre sa police... Sur l'autre versant, il apparaît probable que la sauvagerie manifestée par certains policiers n'est pas congénitale, qu'elle reçoit sinon un encouragement, au moins des « signaux de tolérance » de la part des commandements à tous niveaux. Il faut que manifestants, militants et Gilets Jaunes aient préalablement été désignés comme ennemis de l'intérieur, opposants illégitimes, dangereux fauteurs de troublexi.

Il existe en tous cas des preuves évidentes et irréfutables de la nécessité ressentie par le pouvoir en place de se concilier les forces de l'ordre sans plus attendre et sans considérer pour une fois le coût de l'opération.

Et l'on trouva derechef les deniers pour payer (ou promettre de payer) les heures sup dues aux policiers et gendarmes. Et l'on accepta pour cela de démonétiser le credo présidentiel de la disparition des régimes spéciauxxii.


Et l'on accepta l'ignominie d'une préfecture opposant aux défenseurs de Zineb Redouane un non lieu dû précisément à l'impossibilité – paraît-il – d'identifier le policier auteur du tir de grenadexiii.

Le paradoxe à la fois risible et insoutenable de l'affaire étant que les fameuses forces de l'ordre, tant détestées, tant détestantes, tant molestantes, ces forces de l'ordre dont l'action, selon les graffitis de la ville, « crève les yeux », n'obtinrent leur régime spécial, n'obtinrent le payement de leurs heures sup, et la considération (feinte) du pouvoir pour leur action, que grâce à ceux-là mêmes qu'ils ont pour mission de réprimer, à ceux-là mêmes que certains d'entre eux molestent, gazent, tabassent à l'occasion, et blessent gravement de leurs belles armes « non létales » s'ils en trouvent le prétexte. Ou pas.

On est là au cœur de cette stratégie répressive qui requiert de dresser les uns contre les autres opposants politiques et forces de l'ordre quel qu'en soit le coût à long terme pour la cohérence sociale.

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On assiste donc depuis l'avènement du « réformisme en marche » à l'aggravation radicale d'une dérive autoritaire très inquiétante, bien documentée, que le pouvoir nie effrontément tandis qu'il joue pour se maintenir de l'affrontement entre la population et les forces de l'ordrexiv. On assiste à la montée d'une violence qu'il nie aussi longtemps que possible au mépris des évidences, ajoutant à la dénégation le cynisme provocateur et hautain qui caractérise Emmanuel Macron.

Il est indispensable de conjurer cette dérive tant qu'il en est encore temps. Car si le cadre policier et juridique est dangereux entre les mains des « marcheurs », qu'adviendra-t-il dans l'hypothèse non farfelue où il tomberait entre les mains du RN aux prochaines échéances électorales. Hypothèse d'autant moins farfelue que nombre d'électeurs exaspérés se promettent aujourd'hui de ne plus céder à l'insupportable chantage : « Macron ou Le Pen ».

Pour ce faire, il faut réformer la police, revoir ses méthodes, ses armes, sa formationxv, son recrutementxvi, ses responsabilités ; mais il faut surtout dénoncer haut et fort le jeu despotique et dangereux de ces pseudo démocrates jouant l'affrontement du peuple contre les « représentants de l'ordre » sensés émaner de sa souveraineté.

Il faut un front de dénonciation large et puissant qu'ils ne puissent passer sous silence. La responsabilité des partis, des associations, de la presse, des intellectuels, est engagée dans ce nécessaire combat.

Pour réconcilier la France du travail avec le maintien de l'ordre et ses agents ainsi qu'avec la classe politique, pour éviter une déliquescence totale de la cohésion sociale, il est aujourd'hui indispensable de mettre fin à cette spirale funeste, de mettre un terme à cette stratégie voulue par le pouvoir macronien. Il semble heureusement que cette prise de conscience, appuyée par certains organes de presse, se mette à son tour « en marche » ces jours derniersxvii.

Gustave

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1Bien évidemment les confrontations ne concernent pas « le peuple » entier (qui reste à définir). Cependant, il apparaît que la réprobation de l'action policière dépasse maintenant largement le cercle des militants les plus actifs.

iMes connaissances ne me permettant pas toujours de distinguer les différentes « forces de l'ordre » en action, j'utilise ici le terme « policières » dans un sens générique, sans viser un corps particulier. Qu'on me pardonne de laisser les enquêtes approfondies traiter ce distinguo.

iiA Grenoble, lors de l'occupation de la friche Neyrpic en juin 2019, un officier de CRS rappelé au règlement par un occupant exhibe sa matraque et lance : « Et pour ça, il faut une commission du juge ? » A Grenoble toujours, sur le parcours (déclaré) de la manifestation du 14 janvier, un manifestant a un pied qui dépasse sur la chaussée. Un policier en moto le frôle volontairement de manière menaçante en l'interpellant : « Tire toi de là, connard ! »...

iiiLe 14 janvier, en marge de la manif, une bande de collégiens tournoie autour des policiers en faction, adressant moult doigts d'honneur aux fonctionnaires désemparés n'osant faire usage de leurs outils...

ivLes rétentions administratives, les gazages en règle, les arrestations préventives et les liens du parquet avec l’exécutif sont autant de marqueurs de ce qui n’est plus un état de droit. (Ibid).

vLa liste des ennemis de l’Intérieur s’allonge : « les écologistes, les pauvres, les opposants politiques, les syndicalistes, les Gilets jaunes, les musulmans, les journalistes, les étrangers... », la vérité, les lanceurs d’alerte. (Ibid).

viLe code de déontologie de 2014 ../.. est « contraire à la Constitution et au Code européen d’éthique de la police ». Dans ce nouveau code, instauré par décret de Valls, les policiers et les gendarmes « ont pour mission d’assurer la défense des institutions et des intérêts nationaux, le respect des lois, le maintien de la paix et de l’ordre publics, la protection des personnes et des biens ». Place à la hiérarchie des missions. Exit la liberté ! (Ibid).

viiVoir à ce sujet : https://www.bastamag.net/milliardaires-medias-democratie-europe-fortunes-davos

viiiEncore que l'Arc de Triomphe, hideux monument à la gloire des guerres de Napoléon, rappelle davantage son OPA sur la République que les progrès de la démocratie républicaine.

ixComme le mentionne l'article de Personne : « Le jour où l’on rajoutera les policiers à la liste des mécontents, il ne restera aux premiers de cordée que l’armée comme ultime recours. » (Ibid).

xComme par exemple le non respect de l'obligation de rendre visible le matricule RIO...

xiOn peut comparer à cet effet les conséquences des directives de M. Papon en octobre 1961, et de M. Grimaud en mai 1968. Les paroles de Papon, prononcées le 2 octobre 1961 sont reproduites comme suit : « Pour un coup reçu, nous en rendrons dix. » Il encourage les policiers à tirer les premiers : « ... on vous couvrira, vous serez en état de légitime défense. » (https://www.wsws.org/francais/News/2000/janvier00/5jan00_papon.shtml) On connaît à l'inverse la lettre adressée par M. Grimaud aux forces de police en mai 1968. (https://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2008/05/16/la-lettre-de-maurice-grimaud-aux-policiers_1046120_1004868.html)

xii« L’Élysée vaut bien un régime spécial » murmurait-on sans doute à LREM.

xiiihttps://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Zineb_Redouane

xivMais on se souvient que le macronisme n'a rien inventé : le processus est « en marche » depuis les années Sarkozy, et doit beaucoup au célèbre « socialiste » Manuel Valls, fossoyeur en chef de son parti.

xvRéformer la Police Nationale ne doit pas être un travail d’experts ou de spécialistes, mais bien une œuvre collective qui ne peut être laissée entre les mains de gouvernants, car ceux-ci l’utiliseront pour traquer « les ennemis de l’intérieur » selon leurs besoins du moment. Or les policiers sont dépositaires de la force légitime au nom du peuple. (Ibid).

xvi A force de recruter des hommes de main, la Police nationale ne finira-telle pas en simple milice étatique ? (Ibid).

xviiOn peut noter l'inflexion gouvernementale récente, l'exécutif feignant soudain de s'inquiéter des violences. (Le Monde, Médiapart, le 16 janvier 2020). Mais personne n'est dupe de ce cynisme : ces faits sont parfaitement connus de longue date, et ce n'est une fois de plus que sous la pression que le gouvernement feint de s'émouvoir. Ce faisant, comme à l'accoutumée, il se défausse de sa responsabilité, tentant de faire porter toute la faute sur les agents.


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