Macron ou l’écologie punitive pour les Gilets jaunes. Elasticité économique et dépenses contraintes : cartons rouges et impasse assurée

par Renaud Bouchard
mercredi 28 novembre 2018

« Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire »

Leitmotiv de Laverdure, le perroquet du café-restaurant La Cave de Turandot, Raymond Queneau, Zazie dans le métro, chap.2 (1959)

« L'art de lever l'impôt consiste à plumer l'oie sans la faire criailler »

Jean-Baptiste Colbert (attribué à)

« A vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes. »

John Fitzgerald Kennedy, Adresse au premier anniversaire de l'Alliance pour le Progrès le 13 mars 1962

 

Ce « ruissellement » qui ne viendra pas.

 Au bout d’une semaine de manifestations des Gilets jaunes, dix-huit mois après son élection qui a davantage ressemblé à une effraction politique qu’à une victoire démocratique, le pouvoir de M.Macron vacille. Comment ne pas voir en effet, dans cet ébranlement du régime, la poursuite de la formidable onde de choc identitaire mondiale commencée par la survenance du Brexit, amplifiée par l’élection de Donald Trump, continuée par la montée en puissance de dirigeants qualifiés de « populistes » à la tête de démocraties dites « illibérales » en Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie (groupe de Visegrád ), suivie de l’arrivée au pouvoir en Autriche d’une coalition Conservateurs-Identitaires, sans oublier la victoire, en Italie, de l’alliance Lega-5 Étoiles et l’arrivée de Matteo Salvini au ministère de l’Intérieur ? Avec l’élection brésilienne de Jair Bolsonaro, les élections américaines de mi-mandat qui ont consolidé Donald Trump et rendu fous tous les pseudo faiseurs d'opinion et chroniqueurs français vent debout contre tous ces dirigeants en train d’envoyer les régimes socio-démocrates dans les poubelles de l’Histoire, les zélateurs de la Macronie ont à leur tour désormais de quoi être sérieusement inquiets avec cette révolution « liquide » des Gilets jaunes à laquelle ils ne comprennent rien et qui leur échappe.

 

I- Mirror, Mirror on the Wall, tell me Who is the Fairest of this Brawl ?

 

 Victime d’une chaîne d’événements qu’il a tenté de surmonter par une communication calamiteuse et probablement déconcerté par cet imprévu pourtant prévisible d’une jaunisse à l’échelle nationale, "Jupiter" a donc daigné quitter le Capitole pour s’abaisser à discuter avec les mortels. Libre à chacun de croire que l’intéressé serait désormais prêt à donner de sa politique une vision réellement conciliatrice.

https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/l-integralite-du-discours-d-emmanuel-macron-en-reponse-aux-gilets-jaunes-1120631.html

Bien que traduisant une certaine préoccupation que reflète le changement de ton perceptible dans le discours présidentiel, on ne saurait pour autant, sauf par naïveté, considérer les annonces effectuées comme des changements de cap. Il ne s’agit là en effet que de concessions au regard d’une situation qui ne peut qu’être variable, chacun sachant bien que les « circonstances » peuvent conduire à reprendre ce qui a été octroyé au regard d’une contrainte devenue un temps irrésistible. Ainsi - manière de lâcher du lest pour permettre au ballon gouvernemental de reprendre un peu d’altitude avant de s'écraser un peu plus loin et un peu plus tard-, aura-t-on vu M. Macron annoncer le rétablissement d’une taxe pétrolière modulable selon les variations du cours du brut, vite accompagnée de la confirmation de compensations destinées à faciliter la transition énergétique, celle-ci étant matérialisée par une « trajectoire nucléaire » (et vive le technolangage !) intermédiaire entre la chèvre EDF et le chou écologiste.

Les pales du moulin à vent qui brasse un air devenu irrespirable politiquement, économiquement, socialement, permettront aux curieux de s’interroger sur les modalités pratiques et les réponses les plus concrètes renvoyées à trois mois, au terme d’une discussion éparpillée (déjà torpillée) sans doute destinée dans l’esprit de leur auteur à calmer les passions et à faire baisser la fièvre sans autre concession majeure, par exemple, sur une meilleure répartition des richesses et une justice fiscale plus convaincantes.

M. Macron a reconnu que cette "crise" posait la question du "sens du consentement à l'impôt", du sentiment de "vies empêchées de ceux qui travaillent chaque jour dur mais qui ne gagnent pas assez pour pouvoir vivre bien". Bien vu, l'aveugle, mais un peu court, n'est-ce pas ?

Plutôt que de jouer au médecin en train d'expliquer à son patient qu'il est malade, il me semble que si j'étais à la place du chef de l'Etat je prendrais deux décisions que je justifierais sans difficulté :

- J'annoncerais une mesure phare, parfaitement tangible et immédiatement efficace qui serait l'augmentation de 200 € sur chaque fiche de paie, pour chaque contribuable fiscalement déclaré et actif, moyen efficace de traiter "la fin du mois" en même temps que "la fin du monde".

- J'annoncerais en outre la mise en place immédiate d'une mesure fiscale adaptée "en cas de flambée du pétrole" en annulant la prochaine hausse de la TICPE au 1er janvier 2019 en renonçant aux hausses de 3 centimes des taxes sur l'essence et de 6 centimes sur le diesel.

La réalité est que le gouvernement est désormais dans un tel état de faiblesse politique qu’il peut difficilement continuer à amuser la galerie et tenter de gagner du temps en lui offrant un spectacle de marionnettes, comme si les Gilets jaunes et la France toute entière qui se sont désormais réveillés allaient poliment faire semblant de croire au Père Noël, à ses contes et ses jolies berceuses.

 

II- Lame de fond

La réalité est toute autre car la vague qui monte et a commencé à tremper les chaussures et le bas des pantalons de l'Exécutif n’est pas près de faiblir dans la mesure où elle n’est que la manifestation d’une situation historique elle-même appelée à s’amplifier et à durer. La tension est plus que palpable et la question des carburants n’est qu’une manifestation des vapeurs d’essence qui n’attendent que le point-éclair pour vraiment exploser.

La réalité est que le vrai slogan qui est dans toutes les têtes et sur toutes les lèvres n’est autre qu'un franc et massif : « Macron démission ! »

Si M. Macron pense que son allocution relative à la transition écologique (nécroéconomique, en réalité) et aux mesures qui vont la rendre « acceptable et démocratique » constitue la réponse qu’attendent les Français en général et les Gilets jaunes en particulier, cela prouve seulement que le gouvernement tout comme lui n'ont manifestement rien compris à ce qui agite l’immense compas largement ouvert des classes moyennes et populaires trahies sans discontinuer depuis quarante ans - en phase accélérée d'appauvrissement et de déréliction - et qui sont en train d’expliquer poliment (pour le moment) qu’il est hors de question d’acheter une paix sociale moyennant les cataplasmes de quelques aimables subventions.

 

III- Climat pré-insurrectionnel

Ainsi, fidèle à une technique qui s’apparente à une ornière mentale, l’Exécutif va pourtant tenter de « finasser » en usant des manœuvres habituelles distillées dans un cocktail imbuvable mêlant diffamation et menaces de répression, provocations et discrédit, division et promesses fallacieuses en comptant sur la lassitude tout en en dépêchant pour faire bonne mesure quelques seconds couteaux trop heureux de distiller avec suffisance des crétineries historiques à l’image des propos de M. Castaner alias La Voix de son Maître.

Barbara Lefebvre et http://www.gaullisme.fr/2018/11/26/barbara-lefebvre-christophe-castaner-et-le-6-fevrier-1934-la-double-faute-du-ministre/

"Barbara Lefebvre : « Non, Monsieur Macron, notre époque n’a rien à voir avec les années 30 »"

Ne voir que les symptômes ne fera pas disparaître leurs causes de telle sorte qu’avec les Gilets jaunes il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas comprendre que la France est entrée dans un état pré-insurrectionnel qui débouchera immanquablement sur une remise à zéro des compteurs économiques, politiques et sociaux.

http://www.lefigaro.fr/musique/2018/11/27/03006-20181127ARTFIG00142-gilets-jaunes-ces-chansons-qui-cartonnent-sur-les-reseaux-sociaux.php

 

IV- réponse au ruissellement qui ne viendra pas

Les citoyens demandent en effet une réponse immédiate, claire et précise à leur préoccupation qui est de savoir s’ils vont payer davantage au 1 janvier 2019 le carburant, le gaz et l'électricité.

Non pas que la vision de l'écologie pour les 20 prochaines années ne les intéresse pas, bien au contraire, mais il se trouve qu’au regard de leur situation économique les gens sont bizarrement beaucoup plus préoccupés par une réponse et des perspectives financièrement acceptables pour les semaines et mois à venir, chaque jour qui passe les rendant plus perplexes et dubitatifs quant à l’amélioration de leur situation grâce à la théorie du ruissellement supposé bienfaiteur qui ne viendra pas.

https://www.liberation.fr/france/2017/10/04/enrichir-les-riches-la-theorie-du-ruissellement-n-existe-pas-mais-inspire-des-politiques-inefficaces_1600833

 

V- Macron ou l’écologie punitive. Elasticité économique et dépenses contraintes : impasse assurée

Le discours du jour s’est voulu simple et accessible, au niveau d’une sorte d’économie « pour les nuls » saupoudrée de pensée magique, l’idée étant qu’ en augmentant les prix des carburants les consommateurs vont modifier leurs comportements ; qu’en réduisant l’usage qu’ils font de leur véhicule désormais obsolètes et/ou en achetant des véhicules qui consomment moins ou plus du tout de carburants fossiles, la substitution du marché des véhicules électriques ira de soi et qu’il en sera de même pour les chaudières au fuel-oil destinées à être rapidement remplacées par chaudières à granulés de bois ou au gaz.

Pourtant, quand une dépense est contrainte à court terme, on sait parfaitement qu’augmenter les prix ne conduit pas nécessairement, ou très peu, à réduire la consommation. Il est des circonstances dans lesquelles l’élasticité-prix c’est-à-dire la sensibilité de la consommation aux prix, est faible. Dans le cas des carburants, quand leur prix augmente de 10%, la consommation baisse de 1 à 3,5%. Pour obtenir une baisse de consommation d’au moins 10%, et potentiellement de 35%, et ainsi avoir un effet non nul en matière de lutte contre le réchauffement climatique, il faudrait donc pratiquement doubler le prix des carburants ! … ce qui n’est pas prévu par le gouvernement d’Emmanuel Macron qui a entériné une hausse de la TICPE de 23 centimes par litre pour le gazole d’ici à 2022, et de 11,5 centimes pour le sans-plomb, soit une hausse des prix comprise entre 8 et 15% environ par rapport aux prix actuels (environ 1,50 euro le litre). En conséquence, la baisse prévisible de la consommation de carburants se limitera, à quelques pour cents, à l’horizon 2022.

Cette hausse du prix des carburants représente au surplus une triple peine pour les ménages les plus démunis qui sont plus exposés que les autres à cette augmentation ; ils disposent de moins de moyens financiers pour la supporter, sans avoir nécessairement la possibilité de changer de véhicule ou de chaudière, ce dernier point étant essentiel car plus de 50% du budget de ces ménages représente des dépenses « pré-engagées », de sorte que les mesures envisagées sont un renforcement des inégalités. Ainsi, lorsque le ménage est financièrement serré et que le prix des carburants augmente, il ne change pas de véhicule. Et encore moins de chaudière tout en réduisant ses postes de dépenses tels qu’intensité et qualité du chauffage, fréquence et choix de ses déplacements, habillement, alimentation, santé, loisirs. Une telle politique conduit à une éviction par les prix, qui ne représente plus un « signal » pour inciter à encourager un changement de comportement, mais une bien une barrière empêchant de satisfaire une mobilité ou un besoin de chauffage contraint, au moins à court terme.

Quant au Premier ministre M.Edouard Philippe, le voilà qui renforce de son côté des instruments existants, imaginés dès 2009 par le rapport Rocard qui préconisait une « allocation forfaitaire fondée sur l’éloignement pour les ruraux et les banlieusards ». Là encore cette démarche ne sort pas du raisonnement technocratique qui considère que le marché et les taxes suffiront à orienter les consommateurs vers le bien commun environnemental, évitant les pistes qui changeraient réellement la vie et la perception des Français. Est-ce qu’investir plus d’un milliard d’euros sur le quinquennat pour un tel résultat est digne d’une politique écologique ambitieuse ?

Probablement pas. Nous y reviendrons prochainement.

 

La France s’enfonce désormais dans une crise ouverte dont elle pourrait encore aisément sortir sans trop de casse si les dirigeants actuels et le président en premier lieu comprenaient que la solution d’apaisement serait en réalité de débarrasser le plancher après avoir renoncé à des réformes mal conçues ou à des engagements susceptibles de franchement déstabiliser le pays comme ceux qui seront adoptés lors de la Conférence internationale prévue en décembre prochain à Marrakech pour l’adoption formelle du Pacte mondial sur la migration présentée comme un « jalon fondamental » pour aboutir à une migration sûre, ordonnée et régulière.

Il est urgent de stopper les machines.

Il faut à la France un renouvellement complet de ses cadres politiques avec de nouvelles élections, législatives et présidentielles dans lesquelles on ne retrouverait en aucun cas les acteurs de l’ancien monde, et en aucun cas ceux de LREM persuadés d’incarner un « nouveau monde » dont ils ne sont qu’un produit recyclé.

Ce processus est désormais enclenché. Un retour à résipiscence ne servirait à rien, serait inutile, sans intérêt et de toute façon déjà trop tardif.

Les cartons rouges sont de sortie.

Sauf démission de l'intéressé, l'avenir est au coup de force, à la rupture politique brutale, procédé inhérent aux changements de régime que la France a déjà connus.

M. Macron risque fort de se cogner prochainement dans un angle de l'Histoire immédiate du pays.

 

 

Sources et références :

Discours...

https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/l-integralite-du-discours-d-emmanuel-macron-en-reponse-aux-gilets-jaunes-1120631.html

A propos du « ruissellement »

https://www.liberation.fr/france/2017/10/04/enrichir-les-riches-la-theorie-du-ruissellement-n-existe-pas-mais-inspire-des-politiques-inefficaces_1600833

Parenty, Arnaud, Le mythe de la "théorie du ruissellement", Ed. La Découverte, 2018)

http://www.toupie.org/Dictionnaire/Theorie_ruissellement.htm

Le Groupe de Visegrad

https://www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ce-que-le-groupe-de-visegrad.html

Robert Lamoureux, “De Quoi Donc Tu Causes” ?

 « Si t’as pas connu le quart de gruyère
Qui doit faire deux jours parce que t’as pas le rond
Le regard soupçonneux de la grosse épicière
Quand elle t’vois tourner autour de son jambon »
[Refrain]
Toi qu’a pas souffert, de quoi donc tu causes
Tu parles des choses, à tort, à travers »

https://greatsong.net/PAROLES-ROBERT-LAMOUREUX,DE-QUOI-DONC-TU-CAUSES,602980.html

http://www.lefigaro.fr/musique/2018/11/27/03006-20181127ARTFIG00142-gilets-jaunes-ces-chansons-qui-cartonnent-sur-les-reseaux-sociaux.php

 

https://www.atlantico.fr/decryptage/3559801/le-mouvement-des-gilets-jaunes-pose-les-piliers-d-un-nouveau-1789-sur-base-de-revolte-fiscale-william-thay

 

https://www.atlantico.fr/decryptage/3559787/pourquoi-le-pacte-social-d-accompagnement-a-la-transition-energetique-ne-pourra-pas-marche

 


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