Macron va-t-il perdre le trône ?

par Marcel MONIN
jeudi 20 décembre 2018

E. Macron va-t-il perdre le trône ?

Robespierre ne pensait pas faire disparaître la royauté quand la grogne commença à se manifester. Et pourtant, c’est ainsi que cela finit. Quand lui et les autres prirent conscience que sans ce changement radical, la situation resterait bloquée.

Ce souvenir inspire cette réflexion qui pourra paraître à certains comme étant un peu iconoclaste, alors qu’elle ne l’est nullement, puisque justement elle se veut théorique.

On ne saurait sérieusement comparer la situation actuelle à celle qui exista à partir des années 1787. Mais il faut dire, mutatis mutandis, que les conditions d’un assez grand « chambardement » existent peut être, dans l’attente de l’étincelle.

Contrairement à ce que les « macroniens / -nistes » affirment, les citoyens n’ont pas élu E. Macron pour qu’il mette en œuvre un programme qu’il aurait annoncé. Et qui le lierait en vertu de la résurrection du caractère impératif du mandat. Et qu’il est par voie de conséquence « légitime » qu’il fasse ce qu’il fait (1).

En fait de programme, on a entendu simplement dire ce que tout le monde ne peut que penser. Comme on entend aujourd’hui dire qu’il ne faut pas que les gens soient malheureux, et qu’il faut prendre des mesures en ce sens. A supposer même qu’E. Macron ait été élu au premier tour (ce qui lui ferait représenter plus de 50 % des Français – contre les 24,1 % dont il peut arithmétiquement se réclamer) et à supposer également qu’il ait annoncé concrètement et clairement ce qu’il ferait, … ce qu’il a fait est rejeté en tout état de cause et dans la réalité, par 80 % des Français. Et le résultat des décisions prises en 18 mois, c’est un ensemble de « mobilisations » catégorielles, avec la mobilisation « généraliste » des « gilets jaunes ». Et pour couronner le tout, la mobilisation des policiers qui viennent de contenir lesdits gilets jaunes.

On constate chaque jour que les sphères dirigeantes répondent aux demandes les plus pressantes par des mesures qui tiennent plus le colmatage de fuites par du chewing-gum que d’autre chose. Avec des mesures (doublées des habituels lieux communs sur le nécessaire bonheur de ceux … qui en sont privés) qui ont pour objet de calmer les gens par ordre d’urgence ou de « danger » pour les gouvernants : paiement des heures supplémentaires aux policiers (dont le pouvoir a urgemment besoin) avant le paiement des heures supplémentaire aux infirmières, …

Or, les citoyens ne peuvent cesser de subir la dégradation de leurs conditions de vie si l’Etat

1. est toujours obligé de boucler son budget en empruntant aux financiers privés avec l’interdiction d’avoir recours à la banque centrale (2)

2. est toujours obligé d’utiliser la même monnaie que les autres Etats qui sont en meilleure santé économique (2)

3. a toujours l’interdiction d’intervenir dans la définition de la politique financière, économique, et sociale dont dépend le niveau de bien être de ses citoyens (2)

Et les citoyens ne peuvent espérer améliorer leurs conditions de vie si ceux qui décident sont toujours des adeptes de l’idéologie de la loi du plus fort. Idéologie qui a tenu la plume des rédacteurs des textes des traités de libre échange. A la signature et à l’application desquels la majorité de la classe politique (tantôt de « droite » et du « centre » , tantôt de « gauche », tantôt d’un mélange de tout) a œuvré avec un bel entrain. Et dont plus personne, dans la profession, si l’on en juge par les dernières déclarations de Mme Le Pen et de M. Mélenchon (3), n’a envie de délivrer les citoyens.

Les conditions sont donc objectivement réunies pour qu’un grand bouleversement se produise. Evènements qui contraindraient la classe politique en place à céder les postes ; ou inciteraient à l’apostasie ceux qui voudraient conserver leur gagne-pain.

Paradoxalement, le maillon le plus faible dans le fonctionnement du système est (peut être) le président de la République. D’où le titre de notre réflexion sous forme interrogative.

Car, à y regarder de près, si E. Macron a pu devenir président de la République, c’est qu’il a su séduire ceux qui ont l’ont fait transformer par des communicants de talent, en « produit » présidentiable. Lesdites personnes lui assignant ipso facto une double tâche : a) continuer à mettre en œuvre les traités de libre échange qui leur emplissent le porte-monnaie ; et b) user de ses qualités en matière de relations publiques, pour faire supporter aux citoyens les conséquences de cette mise en œuvre (baisse de leurs rémunérations, augmentation de leurs impôts, maintien d’un volant d’ajustement des salaires par le chômage, « démolition » du droit du travail, accès restreint aux services publics lesquels sont bradés aux investisseurs privés, libre circulation des capitaux et évasion fiscale, etc… etc… …)

Le président de la République a rempli le premier volet du contrat.

Mais il a échoué dans le deuxième. A preuve : le mouvement des gilets jaunes qui traduit le « ras-le-bol » non seulement de ceux qui portent le gilet, mais de 80 % des Français. Mouvement qui fait apparaître qui plus est que les citoyens (v. les remarques) ont le sentiment qu’on se moque d’eux.

Il est donc probable qu’E. Macron est déjà (affaire Benalla ?) ou est en passe d’être (à compter du réveil « gilets jaunes ») « lâché » par ce qu’on appelle communément l’oligarchie.

Il est également probable qu’il ne réussisse pas plus qu’il ne l’a fait jusqu’à aujourd’hui (les gilets jaunes) à « anesthésier » la majorité des Français. Parce que les techniques de communication qu’il connaît ne marchent pas ou ne marchent plus ainsi qu’ont vient de le constater. Parce que les efforts de ses ministres pour le mettre en valeur et trouver sans cesse des arguments calibrés pour essayer de justifier ses décisions glissent sur les citoyens comme l’eau sur les plumes d’un canard. Parce que le « grand » débat qu’il a imaginé de lancer paraît déjà cousu de fil blanc à beaucoup de citoyens qui n’ont pas besoin d’endosser le gilet jaune pour le penser. Citoyens qui ont déjà noté que la seule question importante, celle de la cessation de l’application (2) par la France des traités de libre échange, est exclue du débat. Et qui savent que dans les lieux d’expression ou de discussion, les protestataires seront minoritaires, donc battus.

Certes, il resterait l’usage cru de la force contre des manifestants qui continueraient sur les voies publiques, à rejeter et la politique et … l’homme qui l’orchestre.

A ce sujet on a vu que les autorités ont autorisé ces jours derniers les forces gouvernementales à tirer sur les manifestants « innocents » (et pas seulement contre les « casseurs ») avec des armes, certes non mortelles, mais pouvant accidentellement l’être. On a vu aussi que des engins blindés (sic) se tenaient prêts à intervenir.

Mais il faut craindre qu’un usage renouvelé et plus dur des forces gouvernementales contre la population, n’ait un effet contraire. Qui soit désastreux pour les gouvernants. Usage de la force pouvant aussi avoir un effet inattendu sur les forces en question, surtout que ces dernières sont utilisées en dernière analyse, et sous couvert du « maintien de l’ordre », pour la défense de la politique des gens au pouvoir. Forces dont certains membres, même revigorés par le paiement des heures supplémentaires, peuvent d’aventure se découvrir des motifs de fraternisation avec les protestataires. Et alors là …

Marcel-M. MONIN

m. conf. hon. des universités.

 

(1) En matière de « légitimité » et de fonctionnement de la démocratie, on distingue toujours ( ce qu’oublient semble-t-il de faire les « macroniens ») la désignation d’une autorité de ce qu’elle fait. La désignation est « légitime » dès lors qu’elle est intervenue dans le respect des règles en vigueur. Les décisions prises par l’autorité ne sont légitimes, non parce qu’elle émanent d’une personne correctement installée dans ses fonctions, mais qu’à la condition de respecter les règles et les principes. A défaut, elles sont d’ailleurs censurées (par le juge administratif ou le conseil constitutionnel selon la décision). Le contenu politique des décisions gouvernementales est certes techniquement peu censurable : il n’empêche que les décisions, même approuvées par les parlementaires du moment, peuvent être illégitimes au regard des principes : comme le principe d’égalité, celui de l’intérêt général, ou la règle du désintéressement … D’où (en dehors des sanctions prononcées par certaines juridictions nationales ou internationales contre des gouvernants légitimement mis en place au moment où ils l’ont été) les mouvements de populations. D’où, sans doute, l’intérêt de la mise en place de procédure de révocation des élus « légitimes » … qui utiliseraient leurs fonctions à des fins illégitimes.

(2) L’expression « sortir de l’Europe » est inadaptée. Il serait plus juste de dire qu’il conviendrait de mettre fin à la mise en œuvre obligatoire (et organisée comme définitive) d’une politique financière, économique et sociale fondée sur la loi du plus fort, avec l’interdiction faite aux gouvernants, spécialement aux élus du peuple, d’en changer

« Sortir de l’Europe » est en revanche une expression utile (et efficace) en ce qu’elle permet d’effrayer en suggérant le repli sur soi, la vie en autarcie, la punition du pays par les autres, le nationalisme et les horreurs qui y sont liées ... Ce qui explique que ceux qui y ont intérêt l’exploitent avec virtuosité.

(3) Mme Le Pen , qui – sauf erreur- avait fait croire un moment le contraire, s’est mise à penser et à dire qu’on « peut améliorer la vie quotidienne des Français dans de nombreux domaines sans quitter l’Europe, ni l’euro » . Au FN, l’hypothèse du Frexit est définitivement enterrée - Europe1 ..https://www.europe1.fr/.../au-fn-lhypothese-du-frexit-est-definitivement-enterree-346&#8230 ;)

De l’autre côté M. Mélenchon, vient de réussir le tour de force de dire (un peu à mode Macron) devant ses collègues députés, que les règles valant pour les Etats de l’Union européenne n’étaient pas satisfaisantes, mais qu’il ne fallait surtout pas faire un « Frexit » comme les Anglais avaient fait leur « Brexit » )(https://www.youtube.com/watch?v=B-Jmmw2-YHQ.


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