Macron veut-il revenir au concordat ?
par CHALOT
jeudi 29 février 2024
Lors de la dernière réunion du Forif, le Forum pour l’islam de France créé en contrepoint d’un Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) en disgrâce, le ministre de l’Intérieur vient d’annoncer son projet, qu’« il y aura désormais un statut de l’imam en France », et chargé le Forif de « travailler sous six mois à la création » d’un tel statut. Selon le ministre de l’Intérieur ; il s’agit d’un statut « qu’espèrent nombre de musulmans et nombre d’imams qui ne sont pas aujourd’hui correctement rémunérés. »
S’il appartient aux musulmans « de fixer le statut religieux » des imams, cela passe côté profane par une protection sociale, avec des imams embauchés par les mosquées ou associations, et par un niveau d’exigence linguistique et universitaire, en s’appuyant sur les 34 formations « laïcité » aujourd’hui accessibles, nous dit-il. Croit-on vraiment qu’un cadre de formation promu par l’Etat soit donc la solution, et un statut de l’imam comme il peut y en avoir un pour l’élu, et si c’est bien tout de même le rôle de la République laïque qui semble ici se perdre ?
« Il reste un gros effort à fournir pour que les croyants de France aient des cadres religieux mieux formés, dignement rémunérés et pleinement insérés dans la société française », estime le ministre. On s’interroge sur la signification de ces affirmations, car par-delà passer commande à une religion d’un statut de ceux qui en font l’office, en s’immisçant donc dans son fonctionnement, il serait intéressant de savoir qui va garantir que ces religieux soient, comme il le dit, « dignement rémunérés ». Le ministre ajoute, que ce serait mieux combattre l’idée que l’islam « est une religion d’étrangers, pour les étrangers, financée par les étrangers ». Ne suffirait-il pas simplement que l’Etat fasse respecter nos principes républicains en étant inébranlable et intraitable sur la laïcité ? Comment ne pas voir ici encore un recul de celle-ci !
Le ministre n’en est pas resté là : Gérald Darmanin a aussi plaidé pour une structuration de l’islam qui « vienne des départements », à l’instar de ce qui a déjà été réalisé dans « plus de 40 » d’entre eux. Mais « ce n’est pas à l’État de présider à cette structuration », a-t-il ajouté, en encourageant le Forif à s’organiser « comme il y a une fédération des protestants » en France. « Il ne tient qu’à vous de transformer le F de Forif en F de Fédération », a-t-il lancé aux 86 représentants, des acteurs de terrain désignés par les préfets (associatifs, religieux, juristes, membres de la société civile…) Mais où s’arrêtera-t-on !
Même le CFCM, qui n’est pas complètement enterré, exprime par la voix d’Abdallah Zekri, son vice-président, sa désapprobation de la méthode : "On a mis fin aux financements étrangers, il n'y a pas de problème. Je suis entièrement d'accord pour que les mosquées se gèrent elles-mêmes avec les cotisations des fidèles. Après, s'ingérer dans le culte comme il fait, je ne suis pas d'accord du tout. » Montrant comment les division internes de l’islam dit « de France » révèlent l’impasse de cette mauvaise direction.
On ne peut que constater que depuis la création du CFCM en 2003, cette politique qui consiste pour nos représentants à mettre l’Etat au service de l’organisation du culte musulman, convaincu que cela permettrait de faire ce qu’on appelle « un islam de France » est un échec cuisant. On a finalement simplement par ce biais de l’intervention de l’Etat donné à cette religion une officialité qui n’a cessé de jouer dans le sens d’un repli communautaire, et d’une emprise religieuse côté musulman qui n’existait nullement avant cette politique vue d’en haut.
N’est-ce pas cet échec qui conduit à aller encore plus loin dans cette direction, en forme de fuite en avant ? Cette politique a de plus en plus des relents de concordat, autrement dit, d’un Etat qui entend contrôler les cultes en étant associés à des décisions sur lesquelles ils s’organisent, des cultes comme courroie de transmission, avec en retour de ce clientélisme des concessions inévitables qui abîment notre République laïque et l’intérêt de tous, celui de la préservation de la liberté de conscience de chacun. On croit encore pouvoir prévenir de cette façon des difficultés avec les cultes et particulièrement l’islam, en lui accordant un pouvoir d’influence par cette officialité qui met en danger nos institutions et leur fondement, par cette importance exorbitante donnée à la croyance au regard de ce qui fait le citoyen.
Les laïques qui se respectent s’opposeront à cette orientation dont la confusion des genres ne peut mener qu’à de graves désillusions. "L’Eglise chez elle, L’Etat chez lui", comme le voyait Victor Hugo ! Rien d’autre !
Guylain Chevrier et Jean-François Chalot
Ce livre collectif rappelle clairement ce qu'est la laïcité