Mali : démocratie et coup d’Etat

par Marcel MONIN
jeudi 20 août 2020

Mali : réflexion sur la démocratie et sur le coup d’Etat

Dans les lignes qui suivent, nous ne prendrons parti, ni sur la composition du comité militaire qui a pris le pouvoir, ni sur ses intentions, ni sur ce que ses membres ont décidé ou décideront, le temps au moins où ils le pourront. Nous manquons d’informations. Et cela ne nous regarde pas : les Maliens sont chez eux et y font ce qu’ils veulent. Et pour l’instant, ils paraissent contents.

Nous évoquerons quelques idées générales que la situation actuelle au Mali réveille.

On a coutume de dire que dès lors que les dirigeants sont élus, le régime est démocratique.

Le problème est que, quand on jette un regard sur les faits, et quand on s’interroge sur le point de savoir à quoi est utilisé le concept de démocratie, et à quoi servent concrètement les élections telles qu’on les pratique, on constate ce qui suit.

Des dirigeants s’installent, à la suite d’opérations électorales, dans les postes décisionnels. Un fois en place, ils s’en mettent plein les poches et signent les contrats avec des sociétés étrangères qui viennent gagner de l’argent.

La « communauté internationale » tolère ces personnages (dont certains sont présentés par leurs propres tuteurs comme étant de véritables « abrutis ») que pour autant qu’ils jouent ce rôle, et qu’ils se gardent bien de prendre des mesures en faveur du peuple. Lesquelles mesures, si, à l’inverse, elles étaient inspirées par certains autres concepts (justice, équité, intérêt général) auraient une incidence sur la rentabilité des investissements étrangers et sur la taille du magot amassé par lesdits dirigeants locaux (et la faune qui gravite autour d’eux, non compris ceux qui, à l’étranger, financent leurs campagnes électorale avec des commissions ou des rétro commissions ou des valises de billets).

Ce qui se passe en Afrique est souvent présenté comme étant « caricatural ». Mais là, comme ailleurs sous des formes plus subtiles (réseaux, conflits d’intérêts, relations publiques et manipulation, …) et selon la rhétorique apprise dans certaines « grandes écoles », la démocratie a comme résultat, que 10 % de la population capte 90 % des richesses.

Dans ce système, on comprend l’intérêt qui s’attache à l’élection : du côté de la théorie, elle légitime ceux qui sont au pouvoir et ce qu’ils y font ; du côté de la pratique, elle permet ce qui vient d’être rappelé.

Quand la partie de la population qui souffre de la situation économique arrêtée par les dirigeants (élus), manifeste son désarroi, la démocratie n’ offre aux gens les plus humbles, que l’élection pour changer la donne. Or, l’élection - telle qu’elle est pratiquée-, reproduit, comme il vient d’être dit, sous une forme politique, les inégalités économiques. Sauf miracle qui porterait au pouvoir par les urnes un personnage à poigne et à principe qui ferait, en attendant d’être assassiné ou renversé, un minimum de réformes. Réformes allant par exemple dans le sens de la justice fiscale, tendant à juger les délinquants financiers, et permettant à l’Etat d’intervenir dans les affaires économiques et financières.

En dehors du miracle, on ne voit guère ( en dehors d’une « révolution ») que le coup d’Etat comme remède au truquage de la démocratie.

Car le coup d’Etat est un mode d’accession aux responsabilités (autre que l’élection ou la nomination) qui laisse les gens installés choisir, tout comme ceux qui sont élus, entre permettre à certaines affaires de prospérer ou veiller à l’intérêt général.

Et puis, à y regarder de près, ce qui confère la dignité à un individu, ce n’est pas qu’il a réussi à avoir un poste (les élections pouvant être « truquées » de beaucoup de manières), c’est ce qu’il a fait pour les autres. Ce n’est pas qu’il a disposé de millions pour manipuler les électeurs, c’est ce qu’il fera pour rendre la dignité à ceux qui ne font pas partie du « même monde » que ceux qui se croient fondés à leur taper dessus.

C’est, semble-t-il, ce à quoi on assiste au Mali, puisque le population semble manifester sa sympathie aux militaires en mettant dans ces derniers l’espoir d’une vie meilleure que les dirigeants déchus n’ont pas su ou pas voulu essayer de leur procurer.

Evidemment, dans un tel cas, les dirigeants qui s’installent aux manettes sont décriés.

Pas par le peuple (*) . Mais par le syndicat des chefs d’Etats du coin ( via des organisations politico-économiques locales) qui ont le même comportement que celui qu’avaient les dirigeants déchus ( et mis éventuellement en jugement pour des faits qu’ils ne peuvent plus dissimuler et par des juges qui ne les craignent plus).

Pas par le peuple. Mais par la « communauté internationale » dont les dirigeants sont des adeptes du gouvernement mondial ou de l’économie mondialisée. Qui doivent veiller à ce que l’argent puisse librement s’investir et rapporter au mieux des intérêts qu’ils défendent en rédigeant lois et traités et en décidant de l’emploi de la force contre ceux qui s’y opposeraient.

Les auteurs du coup d’Etat au Mali doivent s’attendre à subir le contre-feu des chefs d’Etats africains qui doivent veiller à conserver leur sinécure, ainsi que celui des chefs d’Etat des pays « développés », dont le travail est de veiller au développement de leur PIB, de la compétitivité de leurs sociétés, et aux indices boursiers.

La presse au service de ces derniers est donc appelée à développer les arguments tendant à préparer l’opinion publique à l’éradication des trublions (1)

Les mêmes auteurs du coup d’Etat, en promettant de rendre le pouvoir aux civils en organisant des élections, annoncent le recommencement de la pratique du pouvoir qu’ils dénonçaient. Puisque les élections donnent le résultat que l’on connaît..

A moins qu’elles ne soient organisées autrement (2). A moins que des précautions soient prises pour éviter la « fabrication » par l’étranger du candidat promis à être élu.

Marcel-M. MONIN

Constitutionnaliste.

(*) Le peuple, c’est l’ensemble des gouvernés. Les gouvernés se répartissent en strates sociales. La question pour les dirigeants est de savoir s’ils prennent des décisions qui prennent en considération tout le monde ou qui ne concernent que les intérêts de telle ou telle strate « supérieure ». A une certaine époque, quand le concept d’intérêt général était à la mode, on a créé des « services publics ». Qui consistaient à faire financer par les plus riches (via la fiscalité) des activités auxquelles les plus pauvres n’auraient pas eu accès sans cela. Et qui étaient jugées « humainement » indispensables. Aujourd’hui les gouvernants se sont mis au service d’une idéologie contraire. Même l’enseignement et la santé sont considérés comme des activités « marchandes ». Et, dans la mise en oeuvre de cette idéologie, on voit que les personnes ayant de faibles revenus ne peuvent plus envisager de faire suivre certaines études à leurs enfants, ou qu’elles renoncent à des examens médicaux.

(1) NB. Lorsque les auteurs d’un coup d’Etat sont choisis et aidés à s’installer pour favoriser des intérêts particuliers, l’utilisation du concept de démocratie est beaucoup moins intense.

(2) ce qui est une question qui n’est même pas abordée en France, pays dans lequel il y aurait matière à réfléchir dès lors que la personne qui a été élue en 2017 a été « fabriquée » en quelques mois, ainsi que diverses études l’ont montré.


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