Maman je suis rouge en maths !

par Abou Antoun
vendredi 12 octobre 2012

Après l'interdiction des redoublements, l'interdiction des devoirs à la maison, voici venir la notation en couleurs. On n'arrête pas le progrès !

Je me suis 'farci' aujourd'hui le 13H d'Elise Lucet vous savez, celle qui vous présente 'votre' J.T. (pas celui des autres).

Comédie habituelle de la journaliste, haussement de sourcils, battements de cils, éternel sourire figé 'à la Pernaut', style benêt, accents toniques impromptus saccageant la langue française, bref ce qu'on faire de pire ou presque dans le genre.

La dame est toujours contente, surtout d'elle-même, elle nous annonçait aujourd'hui entre autres, le décès de Claude Pinoteau avec un large sourire, comme si c'était vraiment marrant.

Mais je voudrais parler d'une autre de ses 'news'.

On sait que le gouvernement travaille dur à la refonte de l'éducation et les choses vont vite (dans la destruction). Le redoublement va devenir 'illégal', c'est à dire qu'on instaure la promotion à l'ancienneté, comme chez les fonctionnaires. Peu importe qu'un enfant ne sache pas lire en CP il ira au CE puis au CM. C'est ainsi qu'il arrivera au collège toujours sans savoir lire ni écrire. Le problème c'est que l'accumulation de ces incompétents provoque l'effondrement du niveau des classes du cycle élémentaire, puis du collège, du lycée, etc. puisqu'il faut bien faire avec ce qu'on a. Laurence J Peter avait déjà prévu cette dérive de son principe appliqué à l'enseignement

Les cogitations de nos élus ne s'arrêtent pas là. L'interdiction des devoirs à la maison vient compléter le tableau. Or l'idée qui est derrière est la suivante. Il y a des enfants qui bénéficient d'un meilleur milieu culturel que d'autres (ah oui, vraiment, c'est nouveau !). Il s'agit donc d'un alignement par le bas. Tout le monde devant la télé à regarder le foot ou des vidéos de cul sur Internet plutôt qu'à faire un petit travail de recherche ou de documentation (pourquoi pas sur Internet, aussi). Ainsi on est bien sûr que les parents instruits ne pourront plus communiquer leur avantages à leur progéniture. Objectif : 100 % d'abrutis !

Mais ce n'est pas tout, il va falloir aussi supprimer la notation qui décourage et démotive nos petits. C'est donc renoncer à toute évaluation. En mai 1968 la notation chiffrée avait déjà été attaquée, et remplacée par une échelle lettres (A,B, C, etc...). Je ne vois pas bien ce qu'il y a de révolutionnaire là-dedans mais enfin les lettres ne sont pas des données numériques, elles ne se laissent donc pas classer et analyser. Alors qu'avec des données chiffrées vous pouvez dresser le profil de votre groupe à un instant donné (moyennes, extrema, histogramme, écart-type) ou d'un seul individu sur le temps, avec des lettres vous ne le pouvez plus.

Pour préparer l'opinion à ces changements (c'est maintenant, souvenez vous), Madame Élise nous présente avec un enthousiasme débordant, un collège notant avec des couleurs. Votre copie vous est rendue avec un point vert ou bleu ou rouge. Je comprends que pour certains professeurs , cela présente un avantage d'évaluer ainsi plutôt que d'appliquer un barème à expliquer soigneusement aux élèves ce qui prend deux fois plus de temps. Voilà, c'est le progrès, le monde en couleurs.

Mais la vraie question est là :

Dans le fond ces analyses statistiques servent-elles à quelque chose ?

J'exprime maintenant mon point de vue.

Or dans la pratique on voit des notes globales avec une justification globale. « 11/20 -peut mieux faire », « 7/20 insuffisant ». Ce genre de chose c'est un peu mieux que C ou 'bleu' parce qu'on va pouvoir faire des moyennes (entre autres) mais cela reste insuffisant.

La notation est un constat dont le but est multiple :

J'ai milité pendant une vingtaine d'années pour que le micro-ordinateur soit de plus en plus utilisé comme assistant pour la correction des travaux d'élèves du CP à l'université et dans toutes les disciplines. C'est possible, c'est utile, mais cela demande un effort que les enseignants eux-mêmes n'étaient pas prêts à faire et ne le sont toujours pas comme je peux m'en rendre compte en allant voir aujourd'hui certains fils sur des forums spécialisés.

J'explique maintenant le fondement de ma méthode pour ma discipline (les mathématiques) sachant que j'ai animé des groupes de travail dans les années 90 où il a été établi que cette méthode était transposable (des études ont été faites pour l'histoire géographie, les SVT et la philosophie).

Tout d'abord un élève de collège ou de lycée, obtient une moyenne de 4/20 en mathématiques pour le premier trimestre. S'agit-il d'un élève nul en mathématiques ?

En fait il peut être potentiellement génial ou complètement nul ou bien même moyen. Tout d'abord une note basse peut résulter d'un manque de participation. L'élève n'est pas assidu, pas attentif, n'étudie pas ses leçons, ne fait pas ses exercices se dissipe et dissipe les autres, comment peut-il dans ces conditions réussir ? Comment savoir le niveau mathématique d'un tel individu ? C'est tout simplement impossible. On en sait aujourd'hui un peu plus sur les hyperactifs et les surdoués, ils peuvent obtenir des résultats modestes ou presque nuls parce qu'ils s'ennuient.

Donc, premier constat, une mauvaise note globale n'est pas forcément un constat définitif d'inaptitude !

Ainsi un professeur devra mesurer d'abord le niveau de participation de ses élèves. En pratique ce n'est pas compliqué mais il faut être organisé et relever les absences les retards, donc noter les comportements. Il est également possible d'organiser des interrogations écrites très courtes de 5 minutes en début de cours pour s'assurer que les définitions de base sont connues et comprises (deux ou trois questions simples suffisent, suivant le niveau et la spécialité) par exemple :

Toutes ces questions demandent une réponse courte, simple qu'on ne peut fournir si on n'a pas travaillé au minimum la question.

Il faut donc au début fournir une note de participation, fondée sur la ponctualité, l'assiduité, le comportement et l'acquisition des notions de base. Si cette note est basse ou extrêmement basse, toute autre évaluation est non significative.

Prenons maintenant d'un élève coopérant dans une mesure acceptable. Comment l'évaluer en mathématiques ? Traditionnellement il y a des épreuves fourre-tout avec des compilations d'exercices extraits des manuels qui permettent de dégager des moyennes elles-mêmes très peu significatives. Or les mathématiques sont une discipline assez particulière nécessitant des compétences diverses.

Bref, il y a quelques compétences de base, qui font un bon mathématicien. Peut-on les évaluer pour une appréciation plus fine des élèves ? Certainement si les épreuves sont conçues dans leur structure pour vérifier telle ou telle compétence.

Ainsi vous avez vos compétences que vous pouvez coder.

En fait 5 ou 6 critères sont amplement suffisants et cette méthode n'a rien à voir avec les grilles arborescentes de compétences des pédagogues qui ne servent à rien (tracer le graphe d'une fonction, etc...) car ce ne sont que des savoirs-faire disparates.

Ensuite il faut construire des épreuves dont les différentes questions visent à tester une compétence particulière (raisonnement calcul, etc.).

A la fin d'une période (trimestre, semestre) si vous avez fait vos corrections au moyen d'un ordinateur vous pouvez demander une évaluation sur un critère particulier (par exemple la logique).

Vous pouvez donc cerner un peu mieux vos élèves du point de vue des compétences que vous avez définies comme fondamentales.

Cela a-t-il un intérêt ?

Oui et surtout si vos collègues font la même chose. En fait on sait bien qu'il y a des disciplines voisines comme les mathématiques et la physique par exemple. On retrouvera en physique des critères communs. Que penser si un même élève est jugé différemment sur des critères voisins par deux professeurs distincts ? On pourra alors chercher à établir l'importance de l'affect (déterminant chez les jeunes enfants, moins chez les plus vieux). On pourra se poser les mêmes questions pour deux évaluations consécutives d'un même élève par deux professeurs distincts dans la même discipline. S'il y a discordance, les choses doivent être approfondies, on doit trouver les causes. On pourrait alors avoir des conseils de classe qui servent à quelque chose plutôt que des bavardages, des ragots, des défoulements hâtivement colportés par les représentants des élèves et des parents obligeant les professionnels à couper le cérémonial en deux (une première partie privée et une seconde publique).

Voyons donc maintenant un autre progrès qui pourrait être introduit par une évaluation assistée par ordinateur. La méthode d'apprentissage par essai et erreur est celle qui est utilisée dans toutes les sociétés animales ; la mère corrige son enfant, lui apprend à chasser par l'exemple en lui faisant profiter de ses échecs. Bref, on s'améliore en ne faisant pas les mêmes erreurs et si possible en se souvenant de ces erreurs.

Or quand nous prenons un champ de la connaissance réduit comme les mathématiques au collège, les erreurs que l'on commet dans le domaine de la logique du calcul ne sont pas légion. Ce sont toujours les mêmes. Je les ai dénombrées dans le passé et il y en a environ deux centaines. Il faut donc que ces erreurs soient répertoriées, classées expliquées aux élèves en étant illustrées par des exemples. C'est une méthode qu'on utilise fréquemment dans les disciplines sportives en analysant des vidéos.

Dans le cadre d'une correction assistée par ordinateur, il y a donc intérêt à relever ces erreurs et à les mémoriser. Le profit est double. Tout d'abord au niveau de l'individu il peut juger s'il commet oui ou non les mêmes erreurs à répétition. Au niveau du groupe maintenant, si la même erreur a été commise un grand nombre de fois on pourra organiser la correction du devoir en insistant sur le point mal compris, on pourra aussi se questionner sur la pertinence de l'énoncé, les questions mal posées engendrant automatiquement les mêmes erreurs. Ainsi une correction fine au moyen d'un instrument tel un PC permet au professeur d'améliorer ses corrections, d'améliorer ses énoncés, bref de s'améliorer lui-même.

L'adoption de ces techniques nécessite un investissement personnel. Certains enseignants sont opposés à un système de notation où les notes seraient 100 % justifiées, dans la mesure où il leur faut rendre des comptes très précis et qu'ils ne peuvent plus dès lors conserver le système de la notation globale comme un instrument de pouvoir ou de sanction.

En outre cet effort irait à contresens de la tendance actuelle du laisser-aller général et de la démagogie illustrés par les nouvelles 'mesures' qui plaisent tant à Madame Lucet. Il faudrait alors introduire dans la pédagogie un exposé clair des compétences et une hiérarchisation des erreurs indispensables pour comprendre et accepter la notation.

Bref ce n'est pas moins d'évaluation qu'il faut mais une meilleure évaluation.


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