Marchés publics de l’ANPE : les professionnels au bord de la crise de nerf

par Yohan
jeudi 3 juillet 2008

Quand l’ANPE maltraite ses prestataires.

Ce n’est plus un secret de polichinelle, le traitement du chômage s’est transformé en un vaste marché où les pouvoirs publics ont abandonné au privé la part du travail que leurs agents ne peuvent ou ne veulent plus assumer.

 

L’ANPE et l’Assedic ont tous deux recours aux marchés publics pour faire fonctionner la machine à réinsérer.

Ces prestataires externes, dont il est dit souvent qu’ils prospèrent grassement sur ce terreau fertile de l’accompagnement, ne semblent pas tous logés à la même enseigne.

En effet, si l’Assedic, organisme géré paritairement, se montre plus généreux avec ses prestataires - généralement des gros cabinets qui ont leurs entrées au Medef - il n’en est rien du côté de l’ANPE qui se conduit tel le mammouth qui écrase ses petits - le plus souvent des associations de petite taille dont les résultats de placement sont tout aussi équivalents, sinon meilleurs que les premiers cités.

Une différence d’appréciation des coûts des prestations d’accompagnement qui va de 1 à 10 entre les futurs pacsés, de quoi alimenter toutes les rumeurs sur l’avenir de la fusion en gestation et la cohérence de ses arbitrages futurs.

Fin 2007, l’ANPE décide de mettre fin aux conventionnements qui la liait à une kyrielle de prestataires extérieurs (associations, cabinets privés) avant de lancer de nouveaux appels d’offres via les marchés publics, pour des prestations de BCA (bilan de compétences approfondi) et CIBLE (accompagnement à l’emploi).

Or, cette disposition, pour être conforme à la loi, n’en soulève pas moins un tollé quasi général.

Raison principale de la fronde : le mammouth a écrasé les prix au-delà du raisonnable, défiant les lois de l’économie de marché. Pour certains, la coupe est pleine, l’ANPE marquant à la fois son dédain pour les demandeurs d’emploi et son mépris pour ses partenaires historiques.

La stratégie de l’Agence heurte le bon sens commun. Habitués à se laisser malmener et dicter la loi par leur prescripteur-financeur, les professionnels de l’insertion, choqués par l’attitude de l’Agence, se rebiffent violemment.

Et ce n’est pas cette fois qu’une affaire de gros sous. En effet, nombreux sont les professionnels qui vivent leur métier avec une grande éthique et professionnalisme qui considèrent que le cahier des charges est impossible à tenir, sinon à faire l’impasse sur la qualité, un principe auquel certains n’entendent aucunement déroger.

Faute d’interlocuteur - l’agence faisant le gros dos, comme de coutume - les conseillers en insertion n’ont comme alternative que de se répandre sur les forums des sites spécialisés.

Ainsi, il est possible de prendre le pouls de la révolte qui gronde en se rendant sur le site lesocial.fr.

« Le BCA est un désastre pédagogique, le BCA n’existe plus, les chômeurs n’ont plus le droit au bilan de compétences, c’est terminé », façon de dire, qu’à ce prix (400 € en moyenne), il n’est pas possible de réaliser une prestation digne de ce nom, sans la disqualifier irrémédiablement aux yeux des demandeurs d’emploi.

« Comment s’aligner sur les conditions délirantes demandées dans cet appel d’offres ? » s’indigne JM.

« J’aimais ce que je faisais, particulièrement les bilans de compétences… Aujourd’hui, j’ai honte de ce que je vais faire et je sais qu’à la première occasion je prendrai la tangente pour faire autre chose », prévient un conseiller en insertion, dont l’organisme vient d’être retenu pour ce marché.

Même les directeurs s’expriment, une première dans un secteur où ils se font généralement très discrets « je suis un gestionnaire et, à ce prix, c’est impossible. Honte à ceux qui ont laissé passer des marchés à des prix aussi bas ».

Et de prévenir ceux qui seraient tentés de s’en satisfaire : « Vous êtes aussi responsables que ces centres "pourris" qui salissent la profession ».

Une situation bien inquiétante, à l’heure où vont se mettre en place progressivement l’Offre raisonnable d’emploi (ORE) et la sécurisation des parcours, toujours en discussion au Sénat.

Pour le coup, on se demande quelle mouche a piqué l’agence. Voudrait-elle se saborder qu’elle ne s’y prendrait pas autrement, d’autant que l’arbitrage rendu va laisser près de 10 000 professionnels sur le carreau.

Dans le contexte éminemment tendu de la fusion avec l’Unedic, se pose la question de la portée du message envoyé par l’agence, tant à ses partenaires historiques, qu’aux demandeurs d’emploi et - qui sait ? - à son futur « pacsé ».

Dans ces conditions, autant dire que le reclassement des chômeurs s’annonce périlleux, avec un traitement social du chômage à plusieurs vitesses : un accompagnement pour les chômeurs indemnisés de l’Unedic pris en charge par des professionnels aguerris, l’autre pour les déclassés de l’Agence (rmistes, allocataires de l’ASS…) qui pourraient bien être pris en charge par un bataillon de stagiaires, comme on pourra le lire sur le forum.

Le Rubicon est franchi et on ne sait maintenant jusqu’où on va aller dans ce grand n’importe quoi qui s’annonce...

 


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