Marie Drucker en couverture de « Psychologies » : un exemple de promotion par le travail, à l’en croire
par Paul Villach
mardi 6 janvier 2009
La famille Drucker n’est pas la plus maltraitée par les médias. Dans la quinzaine écoulée, elle a réussi à faire la couverture de deux magazines et a même été le sujet d’une émission de France 3, la chaîne publique. Après avoir posé sur Paris-Match avec Tonton Michel, Marie offre son visage en très gros plan sur « Psychologies ».
"L’information indifférente" aux mains des maîtres d’hôtel
C’est fou, serait-on tenté de conclure hâtivement, comme les médias tendent volontiers le micro à ceux qui n’ont rien à dire. On aurait tort. « L’information indifférente » qu’illustrent avec talent l’oncle et la nièce Drucker, est trop importante pour être laissée au hasard : 1- elle sert sans doute à l’entrée en relation comme « Allo ? ne quittez pas ! » ; 2- elle permet surtout l’exhibition de modèles avec les stars, et 3- par son omniprésence, elle contribue à l’exclusion des informations qui fâchent et, partant, à une forme de censure discrète. « L’information indifférente » ne saurait donc être en de meilleures mains que dans celles de maîtres d’hôtel, présentateurs d’émission de variétés ou de journaux télévisés, dont le métier est de n’avoir que l’opinion du patron et celle du client. Nulle fâcherie à redouter de leurs propos, on peut leur faire confiance. Ils n’ont pas leur pareil pour faire croire à la lune, comme le montre la couverture de Psychologies .
Une légende : le rituel éloge du travail
C’est un usage du magazine que de présenter son invité en gros plan. De face, à hauteur d’yeux, et hors-contexte sur fond uni, Mlle Drucker envahit donc la couverture pour attirer tous les regards et regarder le lecteur, selon le procédé de l’image mise en abyme qui feint d’instaurer une relation interpersonnelle avec lui. Hésitant entre gravité et esquisse de sourire, son expression est la métonymie d’une demoiselle sûre d’elle-même qui a à délivrer une pensée profonde, étincelante comme un diamant : « Le travail me protège des doutes, » lit-on en légende. On en est ébloui.
Mais une fois l’éclat jeté, l’aphorisme laisse perplexe. C’est du diamant ou du strass ? Par quel bout donc le prendre pour lui trouver un sens ? On flaire tout de suite la pose. Le doute en impose toujours depuis Descartes. N’est-il pas la preuve de la conscience qui s’éprouve et d’une exigence personnelle toujours insatisfaite ? « Je suis extrêmement exigeante », confirme justement la demoiselle en cours d’interview sans plus de manière après avoir parlé d’elle-même comme de « quelqu’un de pudique. » Il n’y pas de doute, on l’avait deviné !
Mais de quel doute la pauvre enfant paraît-elle donc rongée quand on la voit, après Paris-Match, dans la quinzaine, faire « la une » de ce magazine où elle ne laisse de place à personne ? Cette fringale d’affichage, en plus de ses expositions répétées à la télévision, ne contredit-elle pas une âme tourmentée ? Ne révèle-t-elle pas plutôt une demoiselle qui, ne doutant de rien, et n’ayant rien à dire, est emportée par un narcissisme insatiable courant après les projecteurs, sans rencontrer, il faut bien le dire, beaucoup d’obstacles. Quels doutes sur ses capacités peuvent bien naître d’une ascension professionnelle aussi rapide à 34 ans tout juste ? Ou alors, de façon lancinante, douterait-elle de la devoir à autre chose qu’à ses qualités propres et à un « travail » énorme ? La question mérite d’être posée.
Un profil qui en tout cas ne fait pas de doute
1- Un héritage culturel familial cossu
On connaît des candidats moins bien lotis. Nul doute que l’origine familiale ait pu servir de tremplin. À tout le moins, le fait d’appartenir à une famille qui s’est fait un nom dans le milieu de la télévision, ne paraît pas avoir été un obstacle à sa carrière. Un père qui pendant trente ans, à des postes de responsabilités divers, est passé de l’ORTF à la 1ère chaîne de télévision, puis à la SFP, à RTL, à Antenne 2, pour finir à M6 ne semble pas avoir beaucoup nui à sa fille, pas plus que, de son côté, l’oncle Michel n’a fait d’ombre à sa nièce.
2- Un bagage culturel initial un peu mince
Lirait-elle parfois, cependant, comme un reproche sur le visage de ses concurrents ? C’est humain de l’imaginer. Car, pour commencer, quel bagage culturel initial l’a-t-elle, sans contestation possible, distinguée à leur détriment ? À l’auteur de l’interview qui s’interroge et la froisse en prétendant qu’elle aurait été « mauvaise élève », Mlle Drucker réplique vertement qu’ « (elle) ne (lui) permet pas de dire ça ! » Si « (elle) détestait l’école, assure-t-elle, (c’était) au point de tout faire pour passer dans la classe supérieure, en trichant même parfois grâce aux petits papiers cachés dans (ses) poches. » Elle s’ennuyait. « (Elle a eu son) bac le plus tôt possible. (Elle a) fait un stage au « Figaro grandes écoles », (elle écrivait) des petits articles et ( se disait) : « Mon Dieu, que la vie est belle ! » Et, à partir de ce jour-là, (elle a) travaillé énormément. » Toujours avec des petits papiers ou en se glissant dans ceux des gens de pouvoir ? Elle ne le dit pas.
3- Un tri sur apparence physique
Mais après tout, on veut bien croire à son travail de forçat. Seulement, si peu d’années se sont écoulées avant qu’elle apparaisse en majesté sur les écrans ! Quel est donc ce travail acharné qui fait s’asseoir si vite dans le fauteuil d’une présentatrice de journal télévisé ? Est-ce affaire de travail ou d’apparence physique ? À regarder la faune des présentatrices, il semble que le critère physique l’emporte sur tous les autres : disgraciées s’abstenir ! Le travail est de bien peu de secours pour corriger la disgrâce, même celui d’une maquilleuse chevronnée. Mlle Drucker, il faut le reconnaître, n’en a pas eu besoin.
On objectera que c’est le profil professionnel qui l’impose, comme autrefois celui d’hôtesse de l’air. C’est vrai à une correction près toutefois : ce choix est en fait dicté par une soumission aux règles de « la relation d’information ». Le réflexe d’attirance sexuelle que déclenche une jolie fille ou un joli garçon n’est tant recherché que pour faire oublier les propos qu’ils tiennent. Du coup, qu’importe ce qu’ils disent, balivernes ou bobards, s’ils captent l’attention ! Tel est d’ailleurs l’un des sens du paradoxe de Mac Luhan « Le médium est le message ».
4- Un narcissisme apprécié
Il semble que ce type de péronnelle soit aujourd’hui activement recherchée pour la diffusion de l’information officielle. Même sans avoir l’héritage de Mlle Drucker, un bagage culturel initial modeste suffit à les rendre malléables à souhait dans les mains des maîtres des médias traditionnels. Elles ne connaissent pas grand-chose à la complexité de « la relation d’information ». C’est tant mieux ! On se souvient, par exemple, de Mlle Drucker s’asseyant de manière grotesque entre les consoles de la régie de France 3 pour faire croire ingénument à sa maîtrise de l’information universelle et de la technologie qui y accède (1).
Pour couronner le tout, cette ignorance se double d’un narcissisme bienvenu : comment ne pas se croire quelqu’un, fût-on une baudruche, à force de parader et de débiter son boniment à l’écran devant des millions de gens ? « Pour progresser, avoue ingénument Mlle Drucker elle-même, je me regarde beaucoup, je me réécoute, et je n’ai aucun problème avec ça. Je me vois telle que je suis. » On n’en doute pas. Voilà donc le travail dont parlait l’heureuse enfant.
On comprend mieux l’éloge du travail par la demoiselle, si famille, culture modeste, apparence physique et narcissisme sont des critères décisifs pour enlever une place. Comment affronter le regard des autres, voire supporter le sien quand on sait que le travail est le seul critère de légitimité qui suscite le réflexe d’adhésion en matière de postes et de biens. Qu’à cela ne tienne, il suffit de le balancer comme leurre de diversion au peuple qui n’y verra que du feu et feindre d’y croire soi-même par compensation pour tenter de masquer cette petite cuiller d’argent qu’en naissant on a eu dans la bouche et qui reste aujourd’hui en travers de la gorge. Paul Villach
(1) Paul Villach, « Une quête pathétique de crédibilité entre posture... et imposture », AGORAVOX, 1er juin 2006