Marxisme et capitalisme sont dans un bateau, l’un des deux tombe à l’eau...

par werbrowsky
mercredi 13 décembre 2006

L’extrême gauche, en France comme ailleurs, cherche à refaire son unité pour peser dans le paysage politique. Mais le communisme a-t-il encore sa place dans un monde unipolaire et 100% libéral ? Les altermondialistes ont-ils une chance de renverser le pouvoir ? José Bové rasera-t-il un jour sa moustache ? Sur toutes ces questions, il est bien difficile de prédire l’avenir.

Le marxisme est largement issu de la Révolution française et des idées émises par les philosophes lors du siècle des lumières. John Locke avait théorisé la séparation des pouvoirs, repris par Montesquieu dans L’Esprit des lois (1748). Adam Smith avait inventé la notion de classe et défini les différents moyens de produire de la richesse (travail, capital et marché dans La richesse des nations, 1776). La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, promulguée le 26 août 1789, entérine les principes fondamentaux du libéralisme économique (La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé.). Ce principe est encore confirmé dans la Déclaration de 1793 (Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie), alors que celle-ci institue un pouvoir absolu exercé par le peuple, inspiré des principes du Contrat social de Rousseau. La dictature du prolétariat avant l’heure.
Lorsque Marx analyse les travaux de ses prédécesseurs, ainsi que les luttes révolutionnaires du XVIIIe siècle, il en conclut que la lutte des classes est le moteur même du changement, par le combat des exploités contre les exploiteurs. Il écrit dans Le Manifeste du Parti communiste qu’il faut arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie. Les moyens que celui-ci propose sont déjà tout l’arsenal du pouvoir soviétique : expropriation, impôt sur la fortune, abolition de l’héritage, nationalisation des banques, des transports, des moyens de production, collectivisation de l’agriculture, travail obligatoire.

La mise en œuvre, par les bolchéviques en 1917, des principes marxistes a vu naître un régime totalitaire alors qu’il prétendait donner tout le pouvoir au peuple sur le peuple (Tout le pouvoir aux Soviets). Le petit groupe révolutionnaire dirigé par Lénine accapare pendant soixante-quatorze ans l’ensemble des pouvoirs en Russie, à la suite d’un coup d’état annulant les résultats des premières élections libres après la Révolution de mai. Le même scénario s’est répété en Chine, et se perpétue de manière différente. Les révolutions à Cuba et au Cambodge, les mouvements de libération nationale au Nicaragua et au Vietnam, le coup d’état militaire en Birmanie, ont mis au pouvoir des dictatures au nom du communisme, qui n’ont jamais rendu leur liberté aux peuples qu’ils prétendaient délivrer. Depuis la fin des années 1960, et la dernière conférence sous la houlette russe, en 1969, les différents partis d’obédience communiste dans les démocraties occidentales ont pris leurs distances avec ces pays, proclamant qu’ils n’étaient pas "authentiquement marxistes". Pourtant, on a vu plus haut que ces pays n’ont appliqué que les principes émis dans le Manifeste de 1848 et répété à l’envi depuis, même si Marx et Engels ont ensuite tenté d’atténuer la portée de ces propos, surtout dans leur introduction au Manifeste de 1872. Ils y déclarent notamment que l’expérience révolutionnaire de la Commune a démontré que la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l’Etat et de la faire fonctionner pour son propre compte. Ils avouent également qu’il ne faut pas attribuer trop d’importance aux mesures révolutionnaires énumérées à la fin du chapitre II. Se définir aujourd’hui en tant que communiste revient à accepter ces principes révolutionnaires faisant partie des textes fondateurs de tous les partis de gauche.

L’anarchisme, né dans le même mouvement social, au XIXe siècle, s’inspire également de la Révolution française et de la pensée de Rousseau. Bakounine, leader anarchiste contemporain de Marx, va encore plus loin dans le refus de toute autorité et de toute forme d’Etat. Son application politique, au moment de la Révolution russe, a donné lieu à de nouvelles propositions, comme l’abolition de la propriété (plus exactement : le fait de posséder des biens dans le but de faire du profit, et non la propriété individuelle).


Les situationnistes, regroupés formellement en "Internationale situationniste" en 1957, ont rejeté l’application bureaucratique et totalitaire des principes marxistes par les pouvoirs soviétique et maoïste. Les mouvements libertaires de Mai 68 dépassent le marxisme en proposant l’abolition des Etats et du capitalisme par la suppression des rapports marchands, l’instauration de l’autogestion généralisée et de la démocratie directe. De nombreux mouvements altermondialistes s’inspirent de cette philosophie libertaire et anarchiste, de même que les écologistes les plus radicaux, qui proposent la suppression de la société de consommation et de l’économie de marché.

L’extrême-gauche s’inspire donc de l’ensemble de ces textes et de ces principes pour construire un nouveau projet de société. Les divisions anciennes, entre communistes, socialistes et anarchistes, perdurent et empêchent la naissance d’un mouvement unitaire.
Les divisions actuelles reflètent les anciennes luttes entre maoïstes, trotskystes, socialistes et communistes "pro-soviétiques". Malgré la création d’un Collectif national d’initiative pour un rassemblement anti-libéral de gauche et des candidatures communes réunissant des partisans du non au projet de constitution européenne, les leaders des différents mouvements constitués, comme la LCR, LO et le PCF, se sont déclarés individuellement candidats à l’élection présidentielle. Il est peut-être encore possible de créer un nouvel élan autour d’une candidature alternative, comme celle de José Bové ou de Clémentine Autain. Cet autre choix est appelé de leurs vœux par des élus du Parti communiste français comme Braouzec.
Le programme de ce collectif, de même que les statuts du PCF, évite désormais le terme de révolution, même si celui-ci est encore revendiqué par Olivier Besancenot ou Arlette Laguillier. Ceux-ci proposent une révolution démocratique, par opposition, sans doute, aux révolutions précédentes, de 1789 à Cuba. Les 125 mesures proposées actuellement par le mouvement "Alternative à gauche 2007" sont volontairement très réalistes et pragmatiques. Le mouvement créé en Allemagne par les dissidents des partis socialiste et communiste autour d’Oskar Lafontaine a visiblement marqué les esprits.

Ce rassemblement à gauche de la gauche veut prouver sa capacité à gouverner. Mais ce faisant, ses membres éliminent de leur projet toutes les mesures qui permettraient, théoriquement, de changer de société en profondeur. Par exemple, peut-on vraiment réorganiser l’économie d’une société sans toucher à la Bourse, au cœur de son système financier ? D’autres principes fondamentaux demeurent dans leur programme, comme l’augmentation du Smic ou la généralisation des 35 heures. Ceci suppose qu’ils admettent définitivement l’économie de marché et le marché du travail tel qu’il existe aujourd’hui. En quoi ces partis sont-ils encore marxistes, dès lors qu’ils renoncent à l’avènement d’une société égalitaire, prônant un réel partage des richesses ? L’extrême gauche, si elle gagnait les élections, appliquerait-elle son programme révolutionnaire, ou bien serait-elle obligée de se plier aux lois du marché international ? On voit bien, avec Lula au Brésil ou Chavez au Venezuela, que l’application du programme politique des candidats d’extrême gauche est confrontée à un contexte partout libéral.

Les électeurs qui s’apprêtent à leur accorder leur voix croient-ils en leur victoire ? Besancenot, justement, a avoué, lors d’une émission télévisée, que son but n’était pas de parvenir au pouvoir. Aveu d’impuissance ou programme électoral ? Le but de la gauche contestataire est peut-être, précisément, de ne jamais parvenir au pouvoir, pour ne pas avoir à mettre en œuvre un programme qu’elle sait irréalisable.
Si jamais, par un mouvement inédit et surprenant, la gauche unitaire devait remporter les élections, il est à peu près certain qu’elle entraînerait de nouvelles désillusions dramatiques. Gouverner, en démocratie, c’est avant tout faire des compromis, choisir entre deux mesures celle qui paraît la plus juste. La faute de Chirac, depuis 2002, a précisément été d’ignorer les voix de gauche qui lui ont permis d’être réélu contre Le Pen. Sa politique aurait dû se situer au centre, un gouvernement d’union nationale aurait été possible. Au lieu de quoi il a choisi une politique radicale, très libérale, avec Raffarin comme héraut. En agissant de la sorte, il a provoqué le non au projet de constitution européenne, alors que celui-ci était approuvé par l’ensemble des gauches européennes, ainsi que par tous les syndicats. Il a permis l’émergence d’un nouvel espoir à l’extrême gauche, provoqué la radicalisation de la plus grande partie de la population.
N’oublions pas que 71% de la population active gagne moins de 1500 euros par mois. Et qui peut vivre décemment vu les prix actuels de l’immobilier dans les grandes villes ?

Les principes émis dans notre première "Déclaration des droits de l’homme" devraient être rappelés constamment à nos politiques. Faute de quoi, certains seront tentés de s’en exonérer, comme dans cette "Déclaration islamique universelle des droits de l’homme", adoptée à Paris le 19 septembre 1981, qui est l’antithèse de la première, en postulant que les droits de l’homme sont issus de la Loi de Dieu exclusivement. Quant à la moustache de José Bové, les pronostics restent ouverts.


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