Masque chirurgical, masque social

par Abdelkader Gattouchi
jeudi 4 juin 2020

On assiste depuis l’apparition du covid19 à des campagnes soutenues en faveur du port obligatoire du masque, ultime rempart, assure-t-on, contre le virus.
Des quantités impressionnantes de masques de toutes sortes, de toutes couleurs et de tous formats, inondent la sphère démographique.
Leur efficacité serait irréprochable. Ils préviennent la contamination que pourrait transmettre un sujet malade ou éventuellement un virus circulant dans l’air.
Des fonctions éminemment utiles que personne ne pourra contester, mais qui ne peuvent, à elles seules, occulter la véritable acception du mot masque dans le conscient collectif.
Ce dernier l’assimile sans même se donner la peine de nuancer le propos, au déguisement, à la cachotterie, à la dissimulation… Bref, à la fausseté et au camouflage qui sont tout le contraire de la transparence, de la netteté et du vrai.
Un masque, quoi qu’on en pense, est investi d’une fonction sociale plutôt que sanitaire.
Chacun d’entre nous en porte, ou à la limite en a porté. Peu, très peu peuvent soutenir le contraire.


Sa particularité c’est d’être invisible. Ce qui l’autorise, vraisemblablement, à durer dans le temps.
C’est un bouclier contre la timidité, contre les complexes, contre les faiblesses, les limites, l’authenticité, contre la vérité, contre ce que la société, à laquelle nous appartenons, réprouve.
C’est une carapace dont on se sert jusqu’à ce que le regard inquisiteur de l’autre, cesse. Mais cessera-t-il un jour ? Autrement dit, oserons-nous, un jour, ôter cette cuirasse ?
Le risque, parce qu’il y’en a un, c’est de ne plus pouvoir s’en défaire ; il sera, tout le temps, accolé à notre vécu, on le croirait naturel, épidermique…
On en vient même à le confondre avec la vérité ; la vérité à laquelle on aspire. Celle qui nous fascine et en même temps, nous échappe.
On ne s’en plaindrait plus.
Au contraire.
C’est son absence qui poserait problème.
Considéré comme une arme visant à détruire d’autres armes, celles venues de nos alter-égo qui nous transpercent du regard malveillant, du jugement inique, du rire moqueur, de la médisance gratuite, du préjugé forcément réducteur…, le masque devient notre protecteur attitré.
Il cache nos défauts et nous présente sous le meilleur jour ; il nous donne de fausses certitudes, de fugaces conforts et un ersatz de bonheur.
Cette superficialité est, toutefois, très éphémère parce que édifiée sur du mensonge, du paraître, du vent.
Censée nous délivrer de l’Autre, elle nous envoie, pieds et poings liés, dans les griffes du soi revanchard…
Dans un moment rare de lucidité, nous nous posons la question déterminante, capitale et vitale : pourquoi avons-nous résolu de mentir ? Pourquoi avons-nous décidé de nous cacher ? Pourquoi consentir à acheter, à un prix inestimable, une attitude, un comportement tout en pacotille, visant juste à satisfaire notre vis-à-vis et à précipiter notre propre destruction ? Pourquoi se résigner à satisfaire un environnement hostile et étouffer nos besoins à nous ?
Ce visage séduisant que nous nous évertuons à présenter à nos connaissances pour gagner leur estime, finira par être chevillée à notre conscience et inconscience, il nous sera impossible et impensable de le défaire ; il s’imposera à nous, il prendra le pas sur notre personnalité. Ce sera à lui de décider, pas à nous. Il s’autoproclamera tyran intérieur absolu et nous guidera selon ses volontés pas les nôtres, mortes et enterrées.
Ce sera là, notre défaite. Notre chute. Notre disparition. Le masque social aura eu raison de notre raison d’être.
S’ensuivra une mort gratuite. Sans gloire. Piteuse et pitoyable.
La vie ? On ne l’aura jamais vécue.
Nous l’avons juste effleurée ; juste regardée passer. Avec un air de bal… masqué.


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