Mélenchon, la guerre et la terreur

par Jules Elysard
lundi 23 octobre 2023

 

Les propos de Mélenchon, qui ont tant fait baver les bien-pensants, sont en réalité factuels, mesurés et raisonnés.

 « Toute la violence déchaînée contre Israël et à Gaza ne prouve qu'une chose : la violence ne produit et ne reproduit qu'elle-même. Horrifiés, nos pensées et notre compassion vont à toutes les populations désemparées victimes de tout cela. Le cessez-le-feu doit s'imposer. La France doit y travailler de toutes ses forces politiques et diplomatiques. Les peuples palestinien et israélien doivent pouvoir vivre côte à côte, en paix et en sécurité. La solution existe, celle des deux Etats, conformément aux résolutions de l’ONU. »

De la guerre

Mélenchon n’a pas parlé de terrorisme, mais de crimes de guerre, prétexte pour lequel il est désigné à la vindicte populaire par le gouvernement et les médias qui, de fait, le soutiennent.

https://melenchon.fr/2023/10/15/les-mots-oui-les-mots-justes-comme-une-epreuve-de-verite/

Parler de crimes de guerre rappelle qu’une guerre est en cours dans cette partie du monde depuis 1948.

Parler de terrorisme, en visant un seul des protagonistes, revient à le disqualifier, à prendre parti pour l’autre et, en réalité, à nier l’existence de cette guerre.

C’est, en somme, ce que dit Mélenchon.

De la terreur

La terreur est une émotion chez Aristote, mais elle est aussi depuis toujours un des moyens de pratiquer la guerre. Le mot latin terror serait passé en français en 1355, deux siècles après son dérivé terribilis (1160). Selon le Petit Robert, terrifiant serait venu plus tard (1538, du lat. terrificare), mais, surtout, trois mots auraient été forgés à partir de 1794 : terrifier, terrorisme et terroriser. Un an plus tôt, le 5 septembre 1793, le gouvernement français de l’époque, la voix de l'avocat Bertrand Barère avait demandé à la Convention de « mettre la Terreur à l’ordre du jour ».

C’était un gouvernement révolutionnaire, quoique bourgeois, mais la révolution était en danger et toute l’Europe liguée contre la France. On sait que cette révolution a accouché de Bonaparte dont le bilan en pertes humaines est bien supérieur à celui de la Terreur.

Mais on oublie trop souvent que le terrorisme d’Etat a été régulièrement pratiqué depuis par des gouvernements légitimes, pas du tout révolutionnaires, lorsqu’un danger menaçait l’ordre établi, de la Russie tsariste à l’Italie de 1978.[1]

L’emploi du mot terrorisme est un monopole d’Etat. Quand un gouvernement a recours au terrorisme d’Etat, il n’emploie jamais le mot, mais parle de violence légitime, de droit à se défendre, de pacification... Il le prononce seulement pour qualifier, et donc disqualifier, le groupe armé qu’il prétend combattre. Il peut aussi, avec ses services secrets, manipuler des groupes, les infiltrer et intoxiquer. Une presse servile et complaisante lui servira de relais dans l’opinion.

L’accusation de terrorisme est aussi devenue courante, dès la seconde moitié du XIXème siècle pour stigmatiser tout mouvement armé de résistance, revendication sociale ou de libération nationale : mouvement nihiliste en Russie, IRA en Irlande (et en Grande Bretagne), FFI et FTP en France, Irgoun avant la création d’Israël, puis OLP, Fatah, Hamas...

A l’heure actuelle, la lumière n’est pas faite sur l’engrenage qui a amené à la situation catastrophique en Palestine (au sens qu’on lui donnait encore sous le mandat britannique, c’est à dire, incluant Israël[2]). Une tentative d’intoxication du Hamas par les services secrets israéliens, elle-même doublée par une intervention des services secrets iraniens, n’est pas à exclure. Bien sûr, aucune de ces officines ne le reconnaitra.

Il n’est pas certain que Mélenchon partagerait ce raisonnement.

Qui importe le conflit ?

Chaque fois que le conflit israélo-palestinien connaît un regain de violence, les médias dominants font semblant de s’interroger sur le risque d’importation des tensions intercommunautaires dans une France qui « réunit » la deuxième communauté juive du monde et la première communauté musulmane d’Europe. Mais ces médias sont eux-mêmes un des acteurs de cette importation, puisqu’ils proclament a priori le « droit d’Israël de se défendre ». Cette position est d’ailleurs celle de la plupart des partis politiques et du gouvernement (même si le président français, ramené au réel par ses échecs en matière de politique étrangère, a tenté ensuite de faire un peu d’ « en même temps »).

De plus, elle est confortée par « le choix des mots et le choc des photos » que répandent les médias. Les victimes de la rave party semblent nous ressembler, d’autant que certains ont la double nationalité française et israélienne. En revanche, on ne voit pas de la même façon les victimes dans la bande de Gaza, et bien peu, semble-t-il, se réclament d’une double nationalité française et palestinienne.

Les choses changeront peut-être lorsqu’il sera procédé à un décompte des pertes de chaque côté. Déjà les médias français reprennent le discours israélien sur les inévitables « dommages collatéraux », sans aller jusqu’à approuver, bien sûr, les propos du ministre de la Défense sur les « animaux humains ».

Conclusion provisoire

La droite gaulliste puis pompidolienne se flattait de poursuivre une politique pro-arabe, malgré une opinion publique farouchement pro-israélienne. En mai 1981, advenait enfin, un gouvernement clairement pro-israélien. Ces postions divergentes entre les traditions gaullo-chiraquiennes ont persisté jusqu’au début de ce siècle. En février 2000, Le Monde écrivait : « M. Jospin a quelque peu rectifié ses propos de jeudi en parlant d'« actes de guerre » à propos du Hezbollah, qualifié la veille de « terroriste ». L'opposition, en France, a vivement critiqué les propos du premier ministre tant sur le fond que sur la forme. »

https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/02/27/les-propos-de-m-jospin-en-israel-provoquent-un-conflit-avec-m-chirac_3683206_1819218.html

Les choses ont changé avec l’arrivée au pouvoir de Sarkozy l’Américain en 2007. Et dix ans plus tard, Macron déclarait : « Nous ne cèderons rien à l’antisionisme car il est la forme réinventée de l’antisémitisme ».

Cette position réunit aujourd’hui la plus grande partie de l’échiquier politique et la quasi totalité des médias. Mais il n’est pas certain qu’elle soit partagée par la majorité de l’opinion publique qui n’est plus, comme en 1967, farouchement pro-israélienne.

 

Ce que le conflit israélo-palestinien importe dans la communauté juive en France, c’est une mentalité d’assiégés, qui rejoint la thèse du grand remplacement défendue par une partie croissante de la droite nationale française. Sylvain Cypel le résume : Auto-ghettoïsés, ils se vivent comme des assiégés.[3]

Le 12 octobre C ce soir diffusait une émission titrée : Israël, L’union sacrée va-t-elle tenir ? Mais sa rediffusion reprend en titre un propos échangé sur le plateau : « Il y a quelque chose d’incongru à faire une rave party à un km de Gaza ».

Quelques jours plus tard Johann Soufi jetait un froid sur LCI en évoquant un génocide dont pourraient être victimes... les Palestiniens.

Les violences depuis le 7 octobre au proche Orient ont entraîné un matraquage médiatico-politique pour un soutien inconditionnel à Israël. On a pu diffuser, pour le justifier sans vergogne, des images d’Israéliens disant face caméra leur haine des Arabes. Ces discours de haine qui sont généralement dénoncés dans les médias et que le gouvernement envisage régulièrement de pénaliser.

Aussi, ces violences ont contraint à sortir du silence des Juifs français qui ont pris leur distance avec le sionisme, quand ils ne l’ont pas récusé.

 

Le 20 octobre, Joe Biden a demandé aux Américains, et donc aux Européens, de soutenir Israël et l'Ukraine. Raison de plus d’œuvrer pour un cessez-le-feu et pour négocier la paix. C’est pour cette raison que sont morts Jean Jaurès et Yitzhak Rabin.

Nous sommes peut-être minoritaires sur cette position, mais si la « démocratie occidentale » reste désirable, c’est pour permettre à cette position de s’exprimer et pour ne pas se soumettre à une vérité officielle.

 

 

Pour aller plus loin, comme on dit aujourd’hui.

 

[1] « Tous les actes de terrorisme, tous les attentats qui eurent et ont de l’emprise sur l’imagination des hommes, furent et sont ou des actions offensives, ou des actions défensives. (...)Sont des actes de terrorisme offensifs, par exemple, les attentats des Palestiniens et des Irlandais ; sont défensifs, par contre, la bombe de piazza Fontana et l’enlèvement d’Aldo Moro. »

Gianfranco Sanguinetti, Du terrorisme et de l’Etat (1979)

[2] « Si Sa Majesté le Sultan nous accordait la Palestine, nous nous ferions forts de mettre de l’ordre dans les finances turques. Pour l’Europe, nous constituerions là-bas un avant-poste contre l’Asie, nous serions l’avant-garde de la civilisation contre la barbarie. »

Thedore Herlz, L’Etat des Juifs (1896)

[3] L’Etat d’Israël contre les Juifs (2020). Il y fait d’autres remarques que Mélenchon n’aurait pu proférer sans se faire insulter :

ce n’est pas la divulgation des images sur les tueries de jeunes Palestiniens qui « alimentent l’antisémitisme », ce sont les tueries elles-mêmes

dans l’espace public français actuel, l’islamophobie bénéficie d’un agrément sociétal beaucoup plus important que l’expression de l’antisémitisme, à laquelle les pouvoirs publics réagissent d’ordinaire avec une grande promptitude.

Tous ceux qui le connaissent de près décrivent le CRIF comme un lobby pro-israélien quasiment à temps plein.

La faiblesse devenue insigne des espaces de débat au sein de la communauté juive française laisse la place à un seul ordre du jour au CRIF, la défense d’Israël sur des thématiques toutes fixées à Jérusalem : l’obsession anti-iranienne, la bataille internationale pour interdire pénalement BDS, l’inscription de l’antisionisme comme l’incarnation moderne de l’antisémitisme et enfin l’instrumentalisation constante de la mémoire de la Shoah dans un sens qui correspond à la vision ethnocentrée développée en Israël, où le passé juif de souffrance est transformé en bouclier contre toute contestation des crimes commis au présent.

l’évolution droitière de la communauté juive française reste incompréhensible si l’on ignore ce « lien ombilical » que le CRIF a imposé avec Israël et la politique qu’il mène.

 


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