Mélenchon le démagogue, disent-ils
par Michel Koutouzis
vendredi 21 janvier 2011
Dès lors que discours et analyses échappent du ronronnement - par ailleurs plaisant et soporifique comme une comptine - de nos commentateurs télé, il y a de leur part un je ne sais quoi d’étonnement mêlé d’indignation retenue, de mépris bridé, de gestes et de regards offusqués, quand ce n’est pas de l’exaspération. Vite fait, bien fait on sort la grosse artillerie baptisée non pas Bertha, mais populisme. C’est drôle comment un mot, de par magie, peut résumer une fin de non recevoir draconienne, un refus hermétique de communication, une dépréciation du dire et du disant à la fois.
Si je comprends bien, la tare du populisme réside dans sa propension de simplifier les choses sans prendre en compte paramètres, spécificités, contradictions, proposant des solutions « simplistes » (et non pas simples) sacrifiant la complexité au nom de valeurs intransigeantes, pour ne pas dire bornées ou « brutales » qui choquent l’entendement policé et courtois. Bref, on reproche au populisme avec ses gros sabots d’agir comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Cette propension aristocratique, ce tropisme du bon goût, présuppose que l’arroseur ne soit pas arrosé. Que les hommes et les femmes de bonne compagnie occupant les plateaux télé, soient sophistiqués, spirituels, à l’instar des salons du XVIIIe, des Madame de Récamier des temps modernes. On en est loin. Seul leur aspect frivole et superficiel pourrait y être comparé, et encore, il manque le style…
Payés pour domestiquer la complexité, nous expliquer les méandres et les contradictions du monde moderne, nos élites journalistiques ne sont même pas sujets à l’étonnement. Pressés par le temps, compressés par les besoins de la pub qui guette impatiente aux coulisses, ils mélangent tout, avec des listes d’info d’une étonnante désinvolture.
La liste, comme le dit si bien Bernard Sève, est un poème en soi, qui donne aux mots, libérés des règles de syntaxe, une valeur propre, une signification forte, mais aussi dévoile arrière-pensées et dérives narcissiques. Passer de la Tunisie à la visite hospitalière du président, du Brésil au fait divers, servir les statistiques du ministère de l’intérieur suivi par un sujet complaisant sur les caïds des quartiers et qui ne dit (et surtout n’ajoute) rien, commenter la phrase chinoise du jour sur les droits de l’homme, oublier la Côte d’Ivoire et se rappeler - comme tous les soirs - en conclusion larmoyante nos otages et leurs accompagnateurs (summum du correct hypocrite car ces derniers sont le dernier de leurs soucis), et voilà, la messe est dite.
Futiles, copieurs, répétitifs à n’en plus finir sur la plus part des sujets, lecteurs des bilans gouvernementaux et des entreprises du CAC 40 sans le moindre esprit critique, ils retrouvent leurs airs carnassiers dès que, à leur avis, pointe le populiste.
Ah là, ils retrouvent du punch, leur assurance hautaine, quoi donc, depuis quand le simplet du village a droit à la parole (et l’ensemble du village aussi d’ailleurs) ? Depuis quand un chat est un chat ? Depuis quand n’a-t-on pas le droit de choisir les dictateurs à condamner, les hommes d’affaires à critiquer (ceux lâchés depuis des lustres) ? Depuis quand nous ne sommes pas intouchables ? Non mais…
Le démagogue, aujourd’hui ostracisé, est, étymologiquement, l’éducateur de la cité. (Nos élites ne sont pas des démagogues, ils sont, à la rigueur, des laoplanos : des enduiseurs en erreur du peuple). C’est drôle comment un mot indiquant un processus éducatif sert aujourd’hui à imposer au citoyen le silence. Au nom et pour l’avantage des bourgeois gentilshommes qui nous mènent en bateau…vers le sommeil. Si ce dernier était juste le nôtre, biologique, ça irait encore. Mais il s’agit d’un grand sommeil sociétal qui s’oublie, loin des paroles de Thémistocle : écoute d’abord, juge après. Platon, qui n’était pas un farouche défenseur de la démocratie, avait dit (Lois, X) : « Tu viens d’exposer une doctrine embarrassante, n’eut-elle qu’un partisan. Mais combien plus embarrassante est-elle, celle soutenue par une foule de partisans » …