Même quand elle perd, c’est toujours l’Allemagne qui gagne…

par Michel J. Cuny
samedi 25 mai 2019

À l’occasion de la vidéo qu’il a publiée le 8 avril 2013 sous le titre « Le pouvoir d’achat à la dérive », Alexandre Mirlicourtois nous convie à un petit exercice qui pourra toujours nous servir par la suite… Une constatation, tout d’abord :

« Une fois n’est pas coutume, les statistiques de l’INSEE reflètent le sentiment d’appauvrissement des Français. Je veux bien sûr parler de la baisse historique du pouvoir d’achat. L’an dernier, le pouvoir d’achat a ainsi reculé de 0,4% en moyenne. »

C’est déjà quelque chose… Mais savons-nous vraiment de quoi l’INSEE veut ici nous parler ? Alexandre Mirlicourtois nous montre, en effet, qu’il vaut mieux ne pas se jeter aussitôt sur un tel chiffre…
« Pour avoir une vision exacte du vécu de chacun, il faut intégrer la croissance démographique et du nombre des familles. »

C’est que, tel qu’il a été calculé, ce pouvoir d’achat a un caractère plus ou moins synthétique qui ne permet pas de descendre immédiatement au niveau de l’individu… et encore rien que de l’individu « moyen » qui ne peut être, lui-même, qu’un phénomène arithmétique.

Il paraît que, si l’on se livre aux opérations nécessaires d’affinage, le résultat se trouve assez largement modifié ; on pourrait même dire qu’il devient totalement différent… s’agissant des moyens matériels qui assurent notre vie quotidienne :
« Mesurée par unité de consommation, la baisse du pouvoir d’achat atteint alors 1%. »

C’est deux fois et demie plus que le premier résultat qui avait déjà pu retentir lui-même comme une… alerte. Or, l’affaire se corse :
« Et dans tous les cas, que l’on mesure en masse totale ou par unité, c’est du jamais vu depuis 1984. »

Mieux : s’agissant d’une moyenne, elle accueille en son sein aussi bien les individus qui ont vu leurs ressources s’accroître de façon extrêmement significative : des milliardaires – il en a, bien sûr, en France – et puis tant et tant d’autres… C’est dire que, du côté des masses populaires, le serrage de boulons a dû frapper plein pot… Ainsi le « modèle allemand » opère-t-il à merveille, c’est-à-dire en réalisant le basculement – attendu depuis l’implosion de l’Union soviétique (1991) – du peu de richesse accumulé par le travail vers le capital, en attendant de faire de même du côté de la masse de plus-value à extorquer à l’occasion du travail – le chômage démontrant que nous n’y sommes pas encore…

Puisque la date de 1984 est ici évoquée, nous voyons qu’elle se situe à une génération de 2013, et qu’elle précède d’un an l’arrivée au poste de Secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique de Mikhaïl Gorbatchev (11 mars 1985), qui allait devenir – avec l’appui puis la concurrence brutale de Boris Eltsine – le fossoyeur du premier Etat ouvrier et paysan jamais créé au monde… Mauvaise nouvelle pour les travailleuses et travailleurs d’ici ou d’ailleurs, quoi qu’elles ou ils en pensent.

Reprenons maintenant le fil des explications d’Alexandre Mirlicourtois :
« En fait, toutes les conditions d’un décrochage du pouvoir d’achat ont été réunies en 2012 : un chômage qui a amputé l’emploi, un salaire par tête qui a ralenti, au total une masse salariale qui a stagné, et surtout une hausse de 10% des impôts qui a rongé le revenu. »

On le voit, ce qui a pu être frappé concerne le travail et ce dont il est généralement la plus importante composante : le revenu. En face, quittant la seule question du pouvoir d’achat, nous avons bien entendu dire que les gros patrimoines ainsi que ceux de dimension conséquente n’auront guère fait qu’augmenter… Nous aurons à y revenir.

Pour la suite, Alexandre Mirlicourtois n’est pas vraiment rassurant :
« Car comment croire que l’austérité salariale, le chômage et les hausses d’impôts sont derrière nous ? Les carnets de commandes des entreprises sont vides et les perspectives d’activité s’assombrissent un peu partout (c’est ce qui ressort des enquêtes mensuelles de conjoncture de l’INSEE de mars). »

Et c’est alors qu’un petit saut de puce en direction de la vidéo suivante (15 avril 2013) aurait plutôt tendance à nous ravir en nos qualités de Françaises et de Français. Nous y découvrons, en effet, ce titre d’Alexandre Mirlicourtois : « Pas d’illusion, l’Allemagne va plonger aussi ». Bien fait pour elle, na ! Mais ce n’est manifestement pas le bon réflexe…

Certes…
« À l’évidence, dans un environnement de récession européenne et de blocage du commerce mondial, les exportateurs allemands ne font pas mieux que les autres. »

Mais, par ailleurs…
« Examinons maintenant la demande intérieure. Pour les Allemands, l’horizon est dégagé. À 5,4% en février, le taux de chômage est bien plus bas en Allemagne que dans le reste de la zone euro où il atteint 12% en moyenne. Le rapport de force est donc clairement en faveur des salariés ce qui augmente les revendications salariales. D’où une progression du pouvoir d’achat outre-Rhin et pas dans le reste de l’Europe. »

Et pan sur le nez pour ce reste !… Qui ne bénéficiera pas non plus de dépenses allemandes en mesure d’augmenter les exportations vers le pays de Goethe :
« C’est un bon point pour la consommation, sauf que le taux d’épargne reste élevé. Finalement, la consommation augmente, mais elle augmente peu. Surtout qu’en face, la dépense publique est corsetée par une politique budgétaire restrictive et par un investissement logement en berne. Quant à l’investissement des entreprises, il recule autant de l’autre côté du Rhin qu’ailleurs. »

Finalement, impossible de faire de ce pays-là un souffre-douleur. En effet, nous dit encore Alexandre Mirlicourtois qui affirme redouter qu’elle ne finisse par se retrouver « avec un PIB quasiment à l’arrêt en 2013 »…
« Ce qui est inquiétant, car si l’Allemagne plonge comme à la fin des années 90, le gouvernement actuel et celui qui sortira des urnes en octobre prochain auront des politiques de soutien de l’offre. Des politiques destinées à protéger son industrie avec le risque d’une nouvelle vague de désindustrialisation pour les pays périphériques. »

Même quand elle perd, c’est décidément toujours l’Allemagne qui gagne…

NB. Cet article est le soixante-et-unième d'une série...
« L’Allemagne victorieuse de la Seconde Guerre mondiale ? »
Pour revenir au document n° 1, cliquer ici


Lire l'article complet, et les commentaires