Mennel

par Fanny
vendredi 9 février 2018

L’état d’esprit de cette jeune femme interpelle.

D’autant qu’elle n’est pas isolée. Bien d’autres jeunes françaises et français de religion musulmane partagent les idées qu’elle a exprimées sur twitter.

De quoi s’agit-il ? De l’idée que des États occidentaux démocratiques pourraient être cyniques voire criminels, et auraient pu avoir recours à des moyens extrêmes pour contrôler leurs populations et promouvoir leurs intérêts, que ce soit à l’étranger ou dans leurs frontières.

Première remarque : dans un pays démocratique, écrire que l’État peut commettre des actes criminels ne devrait pas faire scandale. C’est l’exercice normal de la liberté d’expression. Quand notre pays bombarde la Libye, un citoyen français doit pouvoir écrire qu’il s’agit d’une action criminelle. Le Président Macron, en parlant « d’erreur » à propos de la campagne de Libye ne dit pas autre chose sur le fond, cette « erreur » ayant couté la vie à nombre d’êtres humains. S’agissant d’opérations menées à l’extérieur du pays, cette liberté est encore tolérée.

Mais une nouvelle ligne rouge est apparue dans nos médias à l’occasion du débat sur les tweets de Mennel. Il s’agit du droit d’écrire qu’un État démocratique peut pousser le cynisme jusqu’à tuer non pas des Libyens, des Syriens, des Irakiens, des Afghans, des Yéménites …, mais jusqu’à « tuer son propre peuple ».

Cette expression infamante, qui vaut condamnation absolue d’un régime politique, est apparue à propos de la guerre en Syrie où la doxa médiatique, suivant en cela notre diplomatie, n’a cessé de clamer que le « boucher » Bachar El Assad « tue son propre peuple », crime suprême à rapprocher du crime contre l’humanité.

Il « tue son propre peuple » : a-t-on le droit de l’écrire ou le sous-entendre à propos d’un État démocratique ? Cette ligne rouge médiatique doit-elle faire jurisprudence ? C’est discutable car l’Histoire comporte nombre d’épisodes où un État démocratique a utilisé une violence létale contre « son propre peuple ». Il suffit pour s’en convaincre de consulter les livres d’histoire, ou de se souvenir de guerres civiles qui n’ont pas épargné les démocraties.

Il reste cependant que franchir cette ligne rouge dans un pays démocratique en paix civile peut choquer. On peut néanmoins comprendre l’état d’esprit de ces jeunes français musulmans dont l’imaginaire est saturé de ces guerres, de ces bombardements occidentaux qui visent trop souvent les populations arabes et musulmanes depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Michel Onfray a exprimé l’idée que l’Occident ne se rend pas bien compte de l’impact de ce déploiement de violence dirigé contre des populations musulmanes. Les États occidentaux partent en guerre à la légère au gré de ce qu’ils croient être leurs intérêts, sans anticiper les conséquences de ces guerres (cf. Libye).

L’une de ces conséquences est d’imprimer dans de jeunes esprits français de religion musulmane l’idée fantasmée que cet Occident démocratique peut pousser le cynisme jusqu’à « tuer son propre peuple », même si cela ne correspond pas à la réalité la plus probable du moment. L’identité de ces jeunes français musulmans est en effet multiple, combinant l’identité française à l’identité arabe et musulmane, cette dernière étant régulièrement la cible de bombardements occidentaux, que ce soit avec de vraies bombes, ou avec des discours offensifs sur les défauts de leur religion fondée sur le Coran.

Il se dit que Mennel est d’origine syrienne. Elle peut voir, comme tout un chacun, que des États occidentaux sont engagés dans une guerre non déclarée et illégale contre le pays dont sa famille est originaire. Les médias qui s’offusquent de son « complotisme » n’y trouvent rien à redire. Qu’elle puisse penser que cette guerre contre son pays d’origine, dont son pays d’adoption fut partie prenante, « tue son propre peuple » n’est pas totalement dénué de fondement. 

Mennel a le droit de chanter, tout comme les médias ont le droit de faire leur examen de conscience en révisant leurs lignes rouges, afin de cibler la vraie violence plutôt que la violence fantasmée.


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