Merci, Google, pour le petit drapeau du 15 décembre : jour de l’espéranto !

par Krokodilo
jeudi 17 décembre 2009

Le 15 décembre est, pour les espérantophones, le « zamenhofa tago » (le jour de Zamenhof), « en l’honneur de la naissance de Ludwik Lejzer Zamenhof, l’initiateur de l’espéranto », dixit  Wikipedia. Cette année était en outre l’anniversaire des 150 ans (1859).


Les espérantistes portugais du site La Karavelo ont archivé des captures d’écran en plusieurs langues de ce Google du jour.

National Geographic
a lui aussi fait un article sur cet anniversaire, avec une lucidité et une honnêteté méritoires :
« Zamenhof would say [widespread use of English is] the right result with the wrong language, and therefore it’s not well done. It’s going to permanently classify most of the world as second-class citizens. »

Sur Libera folio (en espéranto).
Le site Excite a également fait un petit article à ce sujet.

Au-delà de l’hommage au génie linguistique autodidacte que fut Zamenhof (ophtalmologiste de son métier), beaucoup parmi les espérantistes considèrent ce jour comme un hommage plus large à ce que représente l’espéranto : c’est-à-dire un espoir, comme son nom l’indique par la racine "esper-". Lequel ? Que l’humanité puisse enfin disposer d’une langue commune simple et efficace, en sus de sa propre langue, celle dans laquelle on pense, qu’on aime, celle des études le plus souvent, et qu’on croit parfois la meilleure du monde... péché véniel excusé par la passion d’une langue maternelle étroitement liée aux souvenirs d’enfance.

En cette occasion, certains s’offrent, ou offrent, un livre en espéranto.

Google, cette année, sollicité par diverses associations espérantistes, nous a donc offert à son tour un joli cadeau : durant toute la journée, son logo est apparu orné du drapeau vert de l’espéranto. Merci.

Un commentaire rapide pourrait être « Bof, un petit drapeau pendant 24h, pour faire plaisir à des marginaux rigolos, des utopistes, ça ne veut rien dire. »

Ben si ! Pour la première fois dans l’Histoire, une langue construite s’est hissée jusqu’à la reconnaissance internationale, sans soutien d’une nation, d’une religion ou d’une ethnie, parfois malgré les persécutions ou le boycott des États et des médias. C’est un phénomène culturel aussi sous-estimé que révolutionnaire !

Grâce aux générations qui ont développé cette langue et à la conviction des militants, sa présence officielle s’est progressivement affirmée : ici sur des radios, là par quelques villes (Montpellier, Strasbourg, Herzberg, Nankin) ; parfois grâce à une discrète bienveillance de quelques pays (Pologne, Hongrie, Chine), une sorte de réseau culturel, associatif et parfois universitaire, peu connu, peu visible, mais présent internationalement.

France Culture, France 3, les journaux régionaux - tous ont progressivement remisé les clichés, fait taire leurs préjugés pour donner la parole à une nouveauté qui dérange le jeu de rivalité habituel des « grandes langues », et dont les journalistes ne savent trop que penser... 
Récemment, une université française l’a accepté en option parmi les langues possibles : 
Jean Moulin, Lyon3.

Parallèlement, Internet a permis à l’espéranto de s’afficher aux yeux de tous malgré le silence des médias : l’espéranto est une des dix langues les plus présentes sur Wikipedia, il est présent sur les réseaux sociaux, les forums, propose des cours gratuits par correspondance, offre de nombreux documents écrits, audios et vidéos en libre accès. Chacun peut ainsi juger sur pièce.

99% de tout cela repose sur le bénévolat !

Et cette langue construite, phénomène culturel sans précédent, est interdite de séjour à l’école : il est toujours impossible de la choisir en option au bac !

Il n’est pas inutile de rapprocher cela du soutien politique et financier massif dont bénéficie l’anglais, que je ne détaille pas en ce jour de fête... Citons simplement la coïncidence avec l’anniversaire des trois ans de French24, pardon - France 24, la télé anglophone France 24 (maquillée en polyglotte avec un peu d’arabe) où le champagne coule à flots, les salaires généreux, et qui coûte 160 millions d’euros par an à des Français qui ne peuvent même pas la regarder...

Ainsi, à 120 ans et des poussières, l’espéranto se rapproche pas à pas de son objectif : offrir au monde une langue seconde simple et efficace, donc démocratique, c’est-à-dire dont l’apprentissage serait possible pour la grande majorité de la planète sans trop de difficultés structurelles, afin que la communication ne soit pas l’apanage d’une élite. C’est un objectif qui peut paraître prétentieux, mais sans lequel l’espéranto n’aurait pas de raison d’être, à mon avis, sinon celle d’un jeu linguistique.

Rappelons que, malgré des efforts constants et un investissement massif et durable (pensons à l’Inde), un sixième seulement de l’Humanité parle anglais, dont beaucoup à un niveau médiocre.

Posons-nous quelques questions :

— Une langue nationale est-elle équitable comme langue internationale, sur le plan personnel, scientifique, financier et politique ?

— Une langue à la phonétique irrationnelle, dotée de nombreuses tournures idiomatiques, aussi difficile que le français (je sacrifie à notre côté masochiste), est-elle adaptée à la communication internationale ?

— A l’époque de la mondialisation, des méga-containers qui voyagent sur les autoroutes de la mer tout autour du globe, est-il logique que l’incommunicabilité règne entre les hommes ?

— Est-il plus simple d’espérer que cinq milliards de gens, dont beaucoup ont difficilement accès à l’école, apprennent l’anglais, ou que le milliard qui le connaît déjà (plus ou moins) apprenne aussi une langue simple ?

— Démocratie ou élitisme ? Veut-on réellement que les gens puissent se parler ?

Selon le linguiste suédois Mikael Parkvall (non-espérantophone), auteur d’un livre sur les mythes linguistiques (« Lagom » existe seulement en Suède, non paru en français), les Suédois pensent souvent que le monde entier parle anglais, se demandent pourquoi l’Union européenne soutiendrait l’usage d’autres langues comme le français ou de l’allemand, au point, raconte-t-il, qu’un article relatant un périple en Chine, écrit en suédois, rapportait les noms des sites chinois en anglais : "Three Gorges", "Oxbow Lake" et "Shennong Stream" !
Libera folio (en espéranto)
En somme, de leur point de vue, tout ce qui est étranger est anglophone...
Ici un entretien avec lui, traduit en Eo sur le site informatif espérantophone Libera folio.

Dans l’hypothèse d’un succès plus large de l’espéranto, rien n’empêchera un expatrié d’apprendre la langue locale, ni un ingénieur d’apprendre l’anglais s’il en a vraiment besoin dans son travail, il est bon de le redire. Le fantasme d’une langue unique étant persistant, rappelons qu’il s’agit d’une langue seconde ou troisième - excepté pour des natifs évalués à un millier, enfants de deux locuteurs ayant choisi l’espéranto comme langue domestique commune.

L’espéranto a raté le coche - à moins que ce soit nous - à l’époque de la Société des nations, ancêtre de l’ONU, puis a suscité un bel espoir dans l’entre-deux guerres, avant de connaître le purgatoire en partie à cause de la guerre froide et de la méfiance envers tout ce qui avait un air de supra-nationalité. Mais aujourd’hui, avec Internet, l’UE, les ONG, le TPI, la mondialisation, on sait qu’on peut concilier l’amour de son pays, de sa patrie, de sa langue, avec le soutien à une langue construite commune.
 

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