Mes chroniques italiennes 10

par Françoise Beck
mardi 28 mai 2019

Une fois de plus, je peux soutenir que l'Italie n'existe pas et que la péninsule représente un paradoxe. Après avoir porté au gouvernement la Lega avec 17% et le M5S avec 32,6%, les électeurs italiens viennent d'élire au parlement européen la Lega avec plus de 30%, les 5S avec 17,1%. Entre les deux, le PD (partito democratico) a repris à 22,7%.

Ce matin, sur Rai 3, j'entendais l'excellent éditorialiste Stefano Folli répondre à l'inquiétude d'une citoyenne devant le succès d'un parti souverainiste et raciste, en disant qu'on ne peut pour autant, et sans tomber dans la facilité, qualifier l'ensemble des électeurs de la Lega de racistes. Intellectuellement, je comprends son raisonnement. Mais, rationnellement, j'attends d'un électeur qu'il assume la responsabilité de son vote et qu'il le fasse en cohérence avec ses convictions. Donc, j'estime que voter pour un parti aux thèses extrémistes revient à partager ses idées.

Car enfin, qu'est-ce que la Lega ? Pour le comprendre, je feuilleterai avec vous le livre "Svastica verde. Il lato oscuro del va' pensiero leghista" de Walter Peruzzi et Gianluca Piaciucci. Traduisons le titre : "Svastica verte. Le coté obscur de la pensée leghiste". Le vert était la couleur initiale de ce parti, jusqu'il y a deux ans, symbolique chromatique toujours utilisée néanmoins.

La Lega a commencé par inventer une région, la "Padania", qu'elle voulait indépendante selon l'appellation initiale de "Lega Nord per l'Indipendenza della Padania". Cette région n'a jamais existé. Elle peut, seulement et géographiquement, correspondre à la plaine du Po située en Lombardie, dans le Piémont et en Emilie, sachant que le Val d'Aoste ne veut pas en entendre parler. Roberto Biorcio, professeur de Sciences Politiques à la Bicocca, dit, nous rappellent les auteurs : "La Padania existe parce que la Lega existe, pas le contraire". Donc, la Lega est un parti indépendantiste. Il faut noter que la région dont elle s'est accaparée est celle du pouvoir économique du pays. Chaque année, ce parti se rend à Pontida pour y reproduire le Jurement du même nom, copiant en cela une cérémonie médiévale pendant laquelle, entre 1152 et 1189, on repoussait l'hégémonie des Barbares.

Le fondateur de la Lega, Umberto Bossi, a toujours clairement annoncé la couleur quant à son "estime" des valeurs démocratiques. N'at-t-il pas dit (voir livre) en juillet 1997, que lorsqu'il voit le drapeau italien, il se met en colère ? Il avait même poussé l'élégance jusqu'à dire qu'il l'utilisait pour se nettoyer le c..., paroles pour lesquelles une juge avait exigé des dédommagements. N'est-il pas aussi contrarié par l'hymne national italien ? L'actuel représentant de la Lega et ministre de l'Intérieur a affirmé en 2011 (Radio 24) que le drapeau italien ne le représente pas et que ce ne sera le cas que lorsqu'il y aura moins de gaspillages et de vols au Sud.

La Lega a des boucs émissaires : les émigrés, les homosexuels, les méridionaux. Elle a introduit en 2008 une proposition de loi visant à contrer la "meridionalizzazione" (le Méridion est le Sud) de l'armée. Elle n'est pas en retard dans le sexisme. Les hommes doivent être patrons chez eux. Autres paroles édifiantes, citées par Peruzzi et Piaciucci, et attribuées à Bossi : "Siam venuti giù in Emilia e ve le abbiam trombate tutte. E da come ci han votato, si vede che gli è anche piaciuto". (avril 2008). En substance : Nous sommes descendus en Emilie et on vous les a toutes b.... Et puisqu'elles nous ont élus, on voit que cela leur a aussi plu. Des femmes ont voté pour eux ?

Dans leur livre, les auteurs indiquent des faits qui devraient avoir retenu l'attention. Le vote aux Européennes démontre en revanche que les humains ont la mémoire courte ou modelée selon leurs arrangements. A la page 108, ils relèvent une phrase, qui parle de "la pureté de la race" de la Padania. A la page suivante, ils évoquent l'invitation faite de "se défendre avec tous les moyens de l'invasion qui menace notre identité ethno-culturelle". Et, à la page 111, cette phrase effrayante : "utiliser contre les immigrés la meme méthode que les SS, en punir dix pour chaque tort fait à un de nos citoyens". En 2008, la Lega a proposé le "pacchetto sicurezza", autrement dit l'ensemble de propositions sécurité. Elles concenent toutes les immigrés. Et l'un de ses adeptes (voir p. 226) aurait même souhaite "aucune transplantation d'organes pour les clandestins". Heureusement, le président de l'Ordre des médecins d'Udine aurait alors réagi en sens opposé (p. 229).

Alors, comme le disent les commentateurs, la Lega n'a pas percé les plafonds à ces Européennes, mais elle est néanmoins devenue le premier parti en Italie. Et cela m'interroge.

Françoise Beck


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