Météo : les errements de la grenouille

par Fergus
lundi 3 août 2015

Ils sont en général sympathiques, les prévisionnistes météo des grands médias audiovisuels. Sympathiques, mais parfois très énervants...

Primo, ils se trompent souvent lorsqu’ils parlent d’une région située – durant plusieurs jours, voire plusieurs semaines – aux confins fluctuants d’une dépression et d’un anticyclone : deux masses d’air des plus espiègles s’y affrontent, engagées – l’une avec ses gros cumulus menaçants, l’autre avec la complicité de rayons ardents du soleil – dans une conquête de territoire soumise à de nombreux aléas météo conditionnés par les courants aériens. Il est vrai qu’il n’est pas facile, dans de telles conditions, de donner une prévision juste. On ne peut donc, dans ces cas-là, tenir rigueur à ces professionnels de se planter, l’un en misant sur des précipitations, l’autre sur le beau temps. Et tant pis si, pour leur avoir fait aveuglément confiance, le barbecue est noyé sous l’averse, ou le petit dernier rouge comme une écrevisse, faute d’avoir été préventivement enduit de crème solaire !

Les plus malins des prévisionnistes anticipent d’ailleurs ce type de difficulté en recourant à une formulation futée destinée à masquer à l’auditeur ou au téléspectateur l’impuissance prévisionnelle dans laquelle les place l’incertain conflit des masses d’air. En affirmant avec aplomb ceci : « En Lorraine, le temps sera généralement beau, mais localement des averses ne sont pas à exclure » ; ou, a contrario : « En Champagne, le ciel sera chargé et porteur d’averses, mais de belles éclaircies pourront se développer ici et là », ces professionnels roublards se mettent à l’abri du mécontentement des usagers.

Secundo, les prévisionnistes ont une fâcheuse tendance à relayer une supposée préférence des Français pour un vigoureux ensoleillement, cette idée reçue étant manifestement très imprégnée dans le milieu. Or, nombre de nos compatriotes, s’ils aspirent plus au beau temps et à la chaleur qu’au crachin et à la froidure, sont loin d’apprécier les épisodes caniculaires. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils vouent aux gémonies ces voix médiatiques qui leur vantent des « températures agréables » alors que le mercure affiche 32 ou 33°. D’ailleurs, les méridionaux eux-mêmes s’enferment, tous volets clos, dans leur maison pour échapper au cagnard quand le mercure prend de l’altitude. Certains vont même, l’été venu, jusqu’à passer leurs journées dans la cave de leur maison où ils ont aménagé un refuge, prudemment nanti d’une chaise longue pour la sieste et d’un frigo pour l’eau du pastis.

C’est un fait, n’en déplaise à ces dames et messieurs de la météo, nombre de Français s’accommodent parfaitement en été d’une température modérée. Et pour beaucoup d’entre eux, parler de « canicule » va de soi pour exprimer ce qu’ils ressentent lorsque le thermomètre approche les 30°. À cet égard, rien n’est plus agaçant que d’entendre les professionnels disserter sur ce mot de « canicule » en professant que l’on ne doit utiliser ce terme que si l’on constate au moins 3 jours de suite à 33° dans le nord ou 36° dans le sud, et 3 nuits de suite à 18° dans le nord ou 21° dans le sud. Désolé, mesdames et messieurs les prévisionnistes, mais le vulgum pecus n’a rien à battre de ces considérations administratives* : pour lui, il y a « canicule » dès lors qu’il est accablé par la chaleur et subit une hyperactivité concomitante de ses glandes sudoripares. Point barre !

Tertio. Restons sur les températures pour aborder la question du « ressenti ». La belle invention que voilà ! Naguère, les prévisionnistes se contentaient d’informer les quidams de la température sous abri. Mais c’était apparemment compter sans l’abyssale sottise des auditeurs et des téléspectateurs, autrement dit vous et moi. Car il va de soi que ni vous, ni moi, ni quiconque, ne sommes capables de comprendre, sans l’aide de ces messieurs et dames les prévisionnistes, que les effets d’un petit vent frisquet venu du nord, genre autan, bise, mistral ou tramontane, est de nature à modifier défavorablement le « ressenti » des températures du jour relevées sous abri. Mais si le vent modifie la sensation, il en va de même avec le soleil ou le taux d’humidité ambiante. Or, jamais les prévisionnistes ne mettent en garde contre les effets de l’astre solaire sur notre « ressenti », pas plus que sur ceux d’un fond de l’air particulièrement humide. Dès lors, comment se vêtir si l’on doit affronter les conditions météorologiques du jour, ici dans une rue protégée du vent et généreusement exposée au soleil dans une ambiance particulièrement sèche, là dans une rue à l’ombre soumise à de déplaisants courants d’air aux effets accentués par une redoutable humidité ?

Quarto, les prévisionnistes ont une fâcheuse tendance à synthétiser leurs prévisions en faisant référence à de grandes régions exposées, les unes à un prétendu franc beau temps, les autres à un supposé temps maussade ponctué de précipitations pluvieuses. Mais comment faire confiance à des prévisions de cette nature lorsque la région de référence, sans aller de Dunkerque à Tamanrasset**, s’étend sur des centaines de kilomètres ? Il est en effet très rare que les conditions météo soient identiques dans les Alpes du Nord et les Alpes du Sud, ce qui n’empêche pas les professionnels de donner le plus souvent une prévision globale pour les « Alpes ». Et que dire de la sempiternelle désignation des « côtes de la Manche », sachant que celles-ci s’étendent, entre le Pas-de-Calais et la pointe nord-ouest du Finistère, sur... 1759 kilomètres de côtes ? Ajoutons qu’une péninsule comme la Bretagne, souvent globalisée dans une prévision unique, est soumise à des systèmes climatiques très différents, entre le nord tourné vers la Manche, et le sud vers l’Atlantique ; cela dit sans oublier les 300 kilomètres qui, d’ouest en est, séparent les amateurs d’ormeaux poêlés du Conquet des inconditionnels de la galette-saucisse de Vitré !

Quinto, et en guise de conclusion, rappelons que la notion de « beau temps », si souvent utilisée par les prévisionnistes, est parfaitement subjective et relève donc d’un jugement de valeur inapproprié : le beau temps des uns n’est, à l’évidence, pas celui des autres. Certains s’accommodent en effet sans peine d’un soleil voilé, là ou d’autres préfèrent un ciel plus instable mais donnant lieu à une lumière nettement plus contrastée. Finalement, la météo, c’est comme la gastronomie : chacun d’entre nous l’apprécie selon des critères personnels, souvent très éloignés des idées reçues inlassablement relayées par mesdames et messieurs les prévisionnistes. Même en météorologie, la « pensée unique » est dominante, et c’est une calamité !

 

Cette définition officielle est née d’un accord entre Météo-France et le ministère de la Santé. Elle sert à déclencher, le cas échéant, la mise en œuvre d’un « Plan canicule ».

 

** Allusion du général De Gaulle à une France unie allant « de Dunkerque à Tamanrasset » lors d’une allocation de 1958.

 


Lire l'article complet, et les commentaires