Michel Onfray, intellectuel taliban ou bienfaiteur de la philosophie ?

par Bernard Dugué
vendredi 23 avril 2010

Michel Onfray est au cœur d’une polémique comme la France germanopratine aime en déployer. En ces instants épiphaniques, le monde intellectuel se donne en spectacle et jouit de l’ivresse de l’acteur venant jouer quelques extraits d’une improbable pièce que nul n’a écrit mais dont on connaît le thème. Un écrivain, deux camps, des centaines d’avocat et de procureur. En ce printemps 2010, une fois passé le nuage islandais, la scène médiatique sera disponible pour débattre du dernier opus de Michel Onfray consacré à Sigmund Freud. Mais déjà, le livre fait scandale. Elisabeth Roudinesco s’est chargée de déclencher les hostilités en se positionnant comme première avocate de Freud près la cours germanopratine.


De Freud, je n’ai lu que quelques livres, mais je connais un peu l’inconscient à travers d’autres auteurs moins conventionnels comme Wilber ou Jung. De Michel Onfray, je n’ai lu aucun livre, vu que je n’en ai acheté aucun. C’est un choix intellectuel. Dans ma bibliothèque on trouvera des classiques et des contemporains dont les choix sont motivés par une décision personnelle. Si un livre m’apporte un éclairage, offrant une pièce importante pour reconstituer le puzzle universel, j’achète. Ou alors quand l’auteur offre un regard intéressant, décalé, fait de mises en perspectives. Parmi les vivants, j’apprécie Régis Debray, Peter Sloterdijk, Zygmunt Bauman. Parmi les contemporains décédés, Lasch, Strauss, Foucault et Ellul sont des valeurs sûres. Onfray, je l’ai parcouru en feuilletant tel un voyageur en quête de pittoresque dans une librairie. Onfray a une écriture agréable mais il ne m’apporte rien et je ne veux pas entrer dans son œuvre parce qu’il ne parle pas des philosophes qu’il cite abondamment mais il parle de lui en se servant des œuvres du passé. Tout y est filtré et digéré par son narcissique miroir égotique et pour le dire franchement, j’ai comme l’impression d’avoir en face de moi un faussaire, comparable à un Claydermann revisitant Bach et Chopin ou bien André Rieu tentant d’exécuter un morceau du Floyd. On ne verra dans ma bibliothèque ni Ferry, ni BHL, ni Onfray, pas plus qu’on ne verra dans ma discothèque un U2, un Phil Collins ou un Police.


Et Freud alors ? Eh bien n’étant pas spécialiste de ce philosophe, je m’en remettrai à l’avis de Mme Roudinesco qui a étudié la psychanalyse pendant quelques décennies, alors que le sieur Onfray reconnaît s’y être plongé pendant 5 mois. C’est rapide certes mais qui sait si Onfray n’a pas six cerveaux, comme notre président avec lequel il s’est entretenu dans un numéro de Philosophie Magazine. Le verdict semble sans appel. Le livre d’Onfray est truffé d’erreurs, de mauvaise fois, d’approximations, de falsifications, de narcissisme exacerbé laissant accroire que notre prophète de l’athéologie est le premier à dénoncer le fondateur de la psychanalyse, signant là un Sigmund-gate des plus étincelants. Rien à ajouter de plus. Tout a été dit, y compris le côté financier de l’affaire (Onfray est un salarié de son éditeur et doit livrer un livre dans les délais) ainsi que quelques fréquentations obscures et malsaines avec des écrivains anti-freudiens proches de l’extrême-droite. Elisabeth Roudinesco a bien fait son travail.


Mais au fait, Onfray serait alors plutôt dans le genre extrémiste, tyrannique, intégriste. Etrange, mais pourquoi pas une piste à suivre. Et si la démarche d’Onfray ressemblait à celle des talibans ? Je lance l’hypothèse, qui me met à l’aise parce que le développement de cette thèse risque d’être outrancier et blessant pour certaines personnes. La question. Y a-t-il une similitude dans la démarche des talibans et celle pratiquée depuis une décennie par Michel Onfray ?


Taliban signifie dans la langue pachtoune étudiant. L’origine étymologique provient de l’arabe qui par le mot Taleb désigne un écrivain public. L’origine des talibans est toute récente. Pendant l’invasion soviétique, les Afghans ont résisté avec l’espoir et la volonté de créer un Etat islamique. Pendant ce temps, des millions de jeunes Afghans furent éduqués dans des madrasas sous influence Deobandi, école de pensée soufiste, mais loin d’être homogène si bien que, conformément à la plasticité herméneutique offerte par le Qoran, des divisions se sont produites, comme du reste en pleine hégémonie de l’Islam pendant le Moyen Age où des dizaines de sectes émanant de l’Islam avaient prospéré. Dans les années 1990, la mouvance dite des talibans s’est accentuée. On connaît la suite. Un taliban est donc un ancien étudiant formé par une école de pensée dont la finalité est de revenir à un supposé Islam pur, celui des origines, pratiqué au temps du prophète. Le mode opératoire des talibans est donc simple dans le principe. Il faut expurger, nier, refouler tout ce que les études islamiques ont pu apporter, soufis néoplatoniciens inclus, pour revenir à une « frugalité idéologique » censée représenter un moyen pour le salut.


Comment ne pas être saisi d’étonnement quand on analyse les écrits récents de Michel Onfray, son invitation à un salut matériel et terrestre par une érotique solaire doublée d’un hédonisme pétillant. Et d’un autre côté, le ténébreux intellectuel qui pilonnant les religions, la philosophie académique, la théologie, pour proposer un cycle d’étude portant sur une histoire secrète de la philosophie, joyeuse et matérialiste, enfin purifiée de toutes ces lourdeurs académiques qui, de Platon à Kant, de Thomas à Heidegger, de Plotin à Leibniz, auraient contaminé la jeunesse étudiante et formé des citoyens coincé du neurone, inapte à l’existence solaire, perdu dans les savantes gloses. Onfray est une sorte de messie qui nous délivre des pesanteurs du Logos pour nous amener vers la jouissance de l’Eros.


Dieu merci, Onfray ne fait pas de politique. Et puis ce qu’il expose dans ses livres et ses prestations médiatiques ne s’opposent aucunement à ce qu’on le passe au tamis et qu’on se charge de le dézinguer avec érudition, comme le fait Mme Roudinesco. L’expression est libre dans notre pays. Néanmoins, qui m’interdira de faire un parallèle entre les bouddhas détruits par les taliban et les coups de boutoir asséné aux auteurs académiques par un Onfray survolté. Certes, en Afghanistan, c’était du lourd, du réel, alors que le pilonnage d’Onfray n’a rien d’un gigantesque autodafé et n’engage que ceux qui croient en sa bonne parole. Il y a en. Ils étudient dans une madrasa située dans la ville de Caen. Elle s’appelle université populaire. Les cours sont gratuits. La doctrine est enseignée non pas par un islamologue mais un athéologien féru d’hédonisme solaire offrant une philosophie purifiée. Comment doit-on les appeler ? Les studibans ? Néologisme issu de studere, en latin, étudier. Le studiban étudie l’athéologie et les philosophes matérialistes.


Le cas Onfray est un classique depuis que l’Occident a ses penseurs. Déjà au Moyen Age, les hérétiques avaient formée une secte en dénonçant le monde matériel comme mauvais, impur. La société était perçue comme mauvaise. Un salut, la purification. Toutes les époques ont eu leurs pratiques purificatrices. Chasse aux sorcières en pleine guerre de religion, maccarthysme aux commencements de la Guerre froide, purification esthétique par les nazis. L’Occident est une Histoire faite d’éclats et de souffrance, avec des sociétés exprimant leurs pathologies spécifiques, notamment celle liée à l’urbanisation et l’industrialisation. Parfois, des philosophes inspirés se lancent dans une grande critique. Le plus connu est Nietzsche. Mais Broch vaut autant le détour. Le problème avec Onfray, c’est qu’il est plus proche du taliban, du chef de secte, du gourou purificateur, que de la belle critique contemporaine qui pour l’instant, se fait attendre alors que les fléaux et autres maux s’abattent sur notre civilisation qui elle, est crépusculaire, contrairement au Freud campé en idole et imposteur par Onfray. On notera aussi que le reproche fait à Freud sur un hypothétique goût pour l’argent pourrait tout au si bien s’appliquer à Onfray dont l’intense activité éditoriale semble répondre plus à l’appât du gain qu’au désir de partager un banquet philosophique.


Le retournement du miroir est terrible et ce que reproche à Freud et indirectement à la société, l’appât du gain, l’absence de rigueur, c’est exactement ce par quoi pèche notre prophète de l’hédonisme dont on pourra aussi déceler l’appât du gain. N’a-t-il pas attendu d’avoir assis sa notoriété et sécurisé ses revenus avant de démissionner de son boulot de prof de lycée ? A part ça, on pourra jouer le verre à moitié vide ou plein. Reconnaître à cet énergumène le talent d’avoir amené vers les auteurs philosophiques des gens qui n’avaient pas spécialement vocation à rencontrer la philosophie.


Taliban ou bienfaiteur ? Chacun jugera. Onfray n’est pas un mauvais bougre. Il est quelque peu surfait, tout autant que Minc ou BHL mais il est plus près des bobos et du peuple de gauche, ce qui le rend sympathique en dépit de fréquentations douteuses dénoncées par E. Roudinesco. Mais question rigueur philosophique, ça craint, et son raccourci de Kant à Eichmann est bien plus gravissime que l’épisode du Botul piégeant BHL.


Pour finir un conseil avisé. Si vous voulez entrer dans la philosophie, allez à la fac, les professeurs sont certifiés et vous aurez une instruction fiable ou bien lisez les grands philosophes, Aristote, Platon, Kant, Hegel, Foucault… et bientôt… un certain D. comme Descartes, ou ?

 


Lire l'article complet, et les commentaires