Michel Onfray réagit à la sortie martiale de Luc Ferry : « Butez-les jusque dans les chiottes ! »

par Vera Mikhaïlichenko
mercredi 9 janvier 2019

Michel Onfray reconnaît "l'honnêteté" de Luc Ferry, qui dit tout haut ce que le pouvoir pense tout bas : "Que les policiers se servent de leurs armes une bonne fois" contre les gilets-jaunes ! Voici sa tribune, publiée le 8 janvier 2019 sur son site personnel, et intitulée « Butez-les jusque dans les chiottes ! ».

Lors de son allocution télévisée le soir du dernier jour de l'année 2018, alors que sa fonction consiste idéalement à rassembler les Français, et non à les diviser au nom d'intérêts partidaires, le présidentde la République a pris un soin malin et pervers à les déchirer comme s'il était un vulgaire chef de parti en quête d'une élection à l’Élysée. Ce chef de parti s'est comporté en chef de bande, ce dont témoigne cette prise de parole avec laquelle il fait de la totalité des gilets-jaunes une "foule haineuse", homophobe, raciste, antisémite, putschiste, néofasciste !

  Comment comprendre que le premier des Français, qui devrait fédérer derrière sa personne, considère les gilets-jaunes de façon monolithique en disant : "Certains prennent pour prétexte de parler au nom du peuple -mais lequel ? D’où ? Comment ?- et n’étant en fait que les porte-voix d’une foule haineuse, s’en prennent aux élus, aux forces de l’ordre, aux journalistes, aux juifs, aux étrangers, aux homosexuels, c’est tout simplement la négation de la France !" Macron jette de l'huile sur le feu en toute inconscience alors que sa fonction lui intime d'éteindre les incendies.

  Autrement dit, les centaines de milliers de gilets-jaunes -deux millions et demi, disaient il y a quelque temps les comptages des réseaux sociaux après croisements- sont tous haineux, tous ennemis des élus, tous ennemis de la police ou de la gendarmerie, des journalistes, des juifs, des étrangers, des homosexuels, et tous... nient la France ! Comment, quand on prétend être trop intelligent pour être véritablement compris, peut-on montrer qu'on l'est si peu alors qu'on en très bien compris, trop bien même ? C'est une énigme, sauf à regarder de plus près au psychisme de ce jeune homme décidément immature en tout.

 Le voilà qui envoie au front son premier ministre porter sa parole présidentielle : courageux mais pas téméraire, le Jupiter ! Édouard Philippe, en bon juppéiste, se montre le meilleur avaleur de couleuvres de sa génération ! Voilà qui force le respect... Droit dans des bottes qui ne sont pas les siennes -c'étaient, d'occasion, celles de Juppé-, le voilà qui délivre la substantifique moelle de la pensée complexe du président de la République. Je résume pour les esprits simples : "De la matraque, rien que de la matraque, toute la matraque". On comprend qu'avec une pensée aussi subtile, Macron ait raté deux fois le concours d'entrée à l'École normale supérieure pourtant pas bien regardante sur la pensée complexe de ses impétrants à qui l'on enseigne ensuite une pensée simpliste !

  Que propose en substance le premier ministre ? Abracadabra et voilà un bon vieux fichier de ce qu’il est convenu de nommer en français courant des délinquants politiques : c'est clairement le retour aux bonnes vieilles méthodes de la police politique -flicages, fichages, écoutes, surveillances, arrestations préventives, détentions des opposants politiques. Avec les moyens modernes, ce traitement qui a récemment été infligé à Julien Coupat, suivi, espionné, arrêté, mis en examen sur simple suspicion, va se trouver étendu à tout réfractaire au libéralisme de l'État maastrichtien. Il nous faut lire ou relire Orwell d'urgence...

  Et puis, coup de tonnerre, cette information dont je me demande si, juste après la lecture du titre, elle n'est pas un fake news ou une pochade de l'excellent "Gorafi" : "Luc Ferry appelle à tirer sur les gilets jaunes et veut l'intervention de l'armée" !  Très drôle... Je vérifie : pas drôle du tout, c'est une véritable information, elle se trouve sous ce titre dans "France-Soir" du mardi 8 janvier.

  A Radio-Classique, où il est éditorialiste, le philosophe a en effet vraiment dit : "Évidemment qu’on est tous contre les violences, mais ce que je ne comprends pas c’est qu’on ne donne pas les moyens aux policiers de mettre fin à ces violences." Lui fait-on remarquer qu'il existe des risques qu’il répond : "Et alors ? Écoutez franchement, quand on voit des types qui tabassent à coup de pied un malheureux policier qui est par terre. Qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois. Ça suffit  !" Il continue en affirmant : "On a la quatrième armée du monde elle est capable de mettre fin à ces saloperies." Luc Ferry souhaite donc qu'on tire comme des lapins ceux "qui viennent taper du policier", mais aussi "ces espèces de nervis, ces espèces de salopards d’extrême droite, d’extrême gauche et des quartiers qui viennent taper du policier, ça suffit". Selon le philosophe, "il y en a eu beaucoup, après les manifestations, il y avait des bandes des quartiers qui venaient se servir".

  Donc il faut buter les gilets-jaunes et les gamins des banlieues venus piller le magasin de souvenirs de l'Arc de Triomphe sans que la police ait cru bon de les en empêcher -de la même manière qu'avec une longue séance de dépavage, les journalistes ont pu filmer sans grands problèmes des scènes que les forces de l'ordre pouvaient empêcher, mais dont le pouvoir avait besoin afin d’associer les revendications des gilets-jaunes à la violence urbaine...

  Luc Ferry qui, jadis, fut traducteur de Horkheimer et de Kant avant de devenir ministre de Jacques Chirac, va désormais avoir du mal à critiquer Marine Le Pen en la faisant passer pour une ennemie de la République et de la démocratie ! Même BHL, qui pense probablement pareillement, n'a pas osé -ni Joffrin, ni Quatremer, etc.

  A son corps et à son âme humaniste défendant, Luc Ferry mérite les félicitations car il dit tout haut ce que pensent tout bas les acteurs de l'État maastrichtien -leurs journalistes et leurs éditorialistes, leurs consultants et leurs intellectuels, leurs artistes et leurs comédiens, leurs économistes et leurs lobbyistes. 

  A la faveur de cet aveu très kantien (lire ou relire la "Doctrine du droit"), on découvre enfin à visage découvert la véritable nature de ce pouvoir économiquement libéral et politiquement autoritaire. Les choses sont claires. Grattons un peu et l'on découvre sous la croûte la véritable nature de ce pouvoir : il réunit tout ce monde faisandé qui méprise le petit peuple dans ses dîners parisiens. Emmanuel Macron, Benjamin Griveaux, Édouard Philippe, Luc Ferry, BHL, Joffrin, Quatremer & C°, font bien leur boulot, chacun à sa place : tout est désormais en ordre de marche pour que la suite s'écrive avec du sang.  

Michel Onfray

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A noter que Luc Ferry est revenu sur ses propos, affirmant (de manière assez peu convaincante) qu'il n'avait jamais appelé les policiers à tirer sur les Gilets jaunes :

En complément de la tribune d'Onfray, il est utile de prendre connaissance du travail du journaliste indépendant David Dufresne, qui recense les violences policières depuis le début du mouvement des gilets jaunes. Son fil Twitter est, à cet égard, édifiant : 252 signalements documentés (filmés, photographiés) à ce jour.

Invité d'Aude Lancelin, le 7 janvier, dans l'Entretien Libre, sur Le Média, il revient sur l'intensité inédite de la répression policière subie par les gilets jaunes.

"On dénombre 11 morts depuis le début du mouvement, près de 2000 blessés, dont certaines mutilations très graves, et près de 45 plaintes ont déjà été déposées auprès de l'IGPN."

A lire aussi, l'enquête du site Reflets : "Les blessés éborgnés par les forces de l'ordre ne le sont pas par accident" (8 janvier 2019). Extraits :

"Selon le décompte partiel du collectif Désarmons-les, douze personnes ont perdu un œil dans la répression du mouvement des gilets jaunes. Quatre ont perdu une main. Les tirs de balles en caoutchouc avec les LBD 40 ne sont pas, contrairement à ce qu'affirme la police, imprécis. (...)

Rarement un mouvement social aura été réprimé aussi violemment. "Le bilan dépasse tout ce que l’on a pu connaître en métropole depuis Mai 68, lorsque le niveau de violence et l’armement des manifestants étaient autrement plus élevés, et le niveau de protection des policiers, au regard de ce qu’il est aujourd'hui, tout simplement ridicule", expliquait le chercheur Fabien Jobard dans un entretien au Monde le 20 décembre dernier. (...)

Au cours de chacune des manifestation que nous avons suivies depuis le 8 décembre, le processus se répète : les manifestants marchent dans le calme. Soudain, les forces de l'ordre organisent une nasse. Enferment les manifestants dans un périmètre restreint pendant une demi-heure ou une heure. La tension monte, les forces de l'ordre tirent des gaz lacrymogènes, la tension monte encore d'un cran, les affrontements deviennent plus violents, la police riposte avec des grenades de désencerclement et des tirs de LBD 40. (...)

Plusieurs policiers interrogés par Reflets plaident l’erreur lorsque les tirs de LBD atteignent les visages. « Vous savez, en manif, vous faites des tirs réflexe, ça peut très bien atteindre le visage par erreur. Il y a de la fumée partout… Et puis on trimbale les armes dans des sacs, dans des coffres de voiture, les viseurs peuvent être déréglés », explique l’un d’eux. Mais cette théorie ne tient pas.

En effet, comme l'a relevé un internaute, les LBD 40 sont tous équipés d’un viseur électronique (holographique) de la société EOTech, réglés et scellés.

Selon le fabriquant, il est très compliqué de rater sa cible avec un tel viseur. (...)

Au cours des dernières manifestations, nous avons pu constater que les tirs de LBD ne se font pas dans les jambes ou le torse, mais toujours à hauteur de visage ou au mieux, de plexus."

S'il est légitime de se soucier des violences que subissent les forces de l'ordre, il est cependant sidérant de noter l'absence quasi complète d'information, dans nos médias, et de compassion envers les innombrables Gilets jaunes qui ont été victimes de violences policières, au point parfois d'avoir été très gravement mutilés. Ces "gueules cassées" sont les grands oubliés des vœux d'Emmanuel Macron, qui a préféré stigmatiser une "foule haineuse". Rarement aura-t-on vu un gouvernement faire preuve d'aussi peu de tact. Son mépris du peuple suinte par tous ses pores.

Sinon, les médias libres et indépendants qu'il ne faut pas critiquer, vous en parlez quand ? Des reportages, des interviews, des portraits de ces gueules cassées, de ces vies brisées par la police ? ça vous dit, non ? pic.twitter.com/Zk9E1PPuo5

— Nathalie D (@Insoumise007) 30 décembre 2018


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