Michel Rocard au secours d’Alain Juppé ?

par Paul Villach
lundi 7 février 2011

« Alain » et « Michel » ont tous les culots ! Pourquoi se gêneraient-ils ? Qui peut les priver de micro ou de tribune ? Alain Finkielkraut recevait, le 5 février 2011, dans son émission du samedi matin, « Répliques » sur France Culture, deux anciens premiers ministres, M. Alain Juppé et M. Michel Rocard. Ils signent ensemble un livre d’entretiens avec un journaliste, Bernard Guetta, intitulé « La politique telle qu’elle meurt de ne pas être. » (sic !)

On reste tout ébaubi et on se frotte les yeux ! Ce n’est pas tant à cause de la présentation qu’en a faite Alain Finkielkraut : il était frappé de voir qu’entre ces deux personnalités, l’une gaulliste et l’autre sociale démocrate, « l’entente (primait) sur les désaccords  ».(1)
 
Mais ces deux ténors de la politique depuis quarante et cinquante ans sont-ils bien placés pour venir donner une leçon de conduite politique ? Ne sont-ils pas les représentants de cette politique qu’il dénonce et qui est « telle qu’elle meurt de ne pas être  » ? C’est un peu fort de café !
 
Une carrière exemplaire de M. Rocard… jusqu’en 2007
 
- Un rapport sur les camps de regroupements algériens en 1957
 
On objectera qu’on est injuste envers M. Rocard. N’est-il pas celui qui a incarné une rectitude de conduite politique jusqu’en 2007 ? On cherche vainement une affaire dans laquelle il aurait trempé. Ce n’est pas son style. Il n’a jamais été traîné en justice pour corruption ou prise illégale d'intérêts. Il s’est distingué dès 1957 par un rapport courageux sur les camps de regroupements, créés par l’armée française pour protéger la population algérienne de tout contact avec le FLN, mais qui accroissaient sa misère.
 
- Une rigueur intellectuelle et morale face à Mitterrand
 
Face au président Mitterrand, sa rigueur tant intellectuelle que morale tranchait. Il l’a payé cher. Mitterrand n’a pas cessé de l’humilier et de vouloir le détruire pour l’empêcher d’espérer lui succéder à la présidence de la République. Alors que devenu premier ministre le 10 mai 1988, il avait pris des initiatives qui ont fait date - le revenu minimum d’insertion, la CSG, l’apaisement de la crise en Nouvelle Calédonie - le président Mitterrand l’a congédié, le 15 mai 1991, comme un valet sans raison, si ce n’est celle d’avoir échoué dans son entreprise de destruction en le nommant à cette fonction ; Mitterrand pensait qu’il s’effondrerait dans le rôle de Premier Ministre, lui qui avait osé prétendre lui disputer la candidature socialiste à l’élection présidentielle de 1981.
 
Mitterrand s’est rattrapé, quand en 1994, M. Rocard est devenu premier secrétaire du Parti Socialiste : on s’accorde à penser qu’une candidature de l’affairiste Bernard Tapie a été encouragée sinon suscitée par Mitterrand aux élections européennes pour lui nuire. L’opération a dépassé les espérances : le PS a plafonné à 14,5 % des suffrages et M. Rocard a été contraint de démissionner de son poste et de renoncer à son ambition présidentielle à l’élection de l’année suivante.
 
- Un rôle de faire-valoir auprès du président Sarkozy ?
 
Mais pourquoi a-t-il fallu qu’il jette le trouble dans une carrière aussi rectiligne en se rapprochant depuis 2007 du président Sarkozy : on l’a vu dans un rôle peu flatteur qui n’a jamais été le sien. Il a accepté des fonctions à la tête de commission ou de conférence diverses où manifestement il servait de faire-valoir. Il l’a compris au moins une fois en démissionnant. Seraient-ce les distances que lui ou le PS ont prises l’un envers l’autre et la volonté de continuer à être utile, qui ne connaît pas la limite d’âge ? On se demande tout de même ce qu’il est allé faire dans cette galère. N’est-ce pas ce dont meurt cette politique telle que son livre la dénonce ? Et ce rapprochement avec M. Juppé au point que l’un et l’autre, comme l’a souligné A. Finkielkraut, s’appellent par leur prénom, Alain et Michel, à qui profite-t-il ? Qui a besoin de se refaire une virginité politique sinon M. Juppé, M. Rocard lui servant de caution.
 
M. Juppé, un politique peu scrupuleux et condamné
 
- L’occupation d’un logement de la Ville de Paris
 
Car s’il est un homme politique qui incarne cette « politique telle qu’elle meurt de ne pas être », c’est tout de même M. Juppé. À l’école de M. Chirac dont le procès doit s'ouvrir en mars prochain, ce ne sont pas les scrupules qui l’ont démangé. En 1995, il a été amené à devoir déménager d’un logement à loyer, fort modéré pour Paris, qu’il occupait indûment. Par ses fonctions aux côtés de M. Chirac, maire de Paris d’alors, il avait une délégation de gestion du parc immobilier de la Ville de Paris. Une plainte pour prise illégale d’intérêts avaient été déposée et classée pour prescription.
 
- Les emplois fictifs de la Ville de Paris
 
Le 30 janvier 2004, M. Juppé a été condamné en première instance à 18 mois de prison avec sursis et 10 ans d’inéligibilité pour ses responsabilités dans le recrutement d’emplois fictifs à la mairie de Paris afin de rémunérer au frais de l’État et donc du contribuable des militants de son parti, le RPR. : « (…) Agissant ainsi, a estimé le tribunal, Alain Juppé a, alors qu’il était investi d’un mandat électif public, trompé la confiance du peuple souverain (…) ». En appel, le 1er décembre 2004, il a vu sa peine réduite à 14 mois de prison avec sursis et... une petite année d’inéligibilité !
 
- Un poste de maire de Bordeaux gardé au chaud
 
S’il a démissionné aussitôt de son mandat de maire de Bordeaux et s’est exilé au Québec pendant un an pour y enseigner à l’École Nationale d’Administration Publique, fort de son expérience d’élu modèle, il a joui d’un traitement de faveur à son retour. Pendant qu’il était dans le froid canadien, son poste de maire était gardé au chaud ! La majorité UMP-UDF du conseil municipal de Bordeaux a démissionné pour lui permettre de retrouver par de nouvelles élections sa place de maire !
 
Ne l’a-t-on pas ensuite entendu dire que jamais il ne quitterait sa fonction de maire pour un poste ministériel ? Il a tenu parole : il est aujourd’hui et maire de Bordeaux et ministre de la Défense !
 
Est-ce « la politique telle qu’elle meurt de ne pas être  » qu’entend défendre M. Juppé et qu’il illustre si bien ?
 
Si M. Rocard a quelques titres à faire valoir, à la différence de M. Juppé, quel besoin a-t-il eu de venir servir de caution à un homme politique comme M. Juppé dont on ne comprend pas qu’il ait pu revenir aux affaires. Une condamnation pour manquement à ses obligations dans l’exercice d’un mandat électif devrait écarter pour longtemps sinon définitivement le coupable. Ce ne sont pas les citoyens qui manquent pour prendre la relève des défaillants. Sinon, faut-il s’étonner du discrédit croissant d’un personnel politique qui non seulement bénéficie d’une grande mansuétude de la part de la Justice, mais dont les carrières ne sont guère contrariées par leurs condamnations quand elles sont prononcées ? A-t-il donc échappé à M. Rocard qu’en s’associant ainsi à M. Juppé dans ce livre, il allait à l’encontre de l’exemple qu’il a donné toute sa vie, celui d’une politique telle qu’elle devrait être ? Paul Villach 
 
(1) Introduction d’Alain Finkielkrau dans son émission « Répliques », samedi 5 février 2010, présentant Le livre d’entretiens avec Bernard Guetta d’Alain Juppé et de Michel Rocard : « La politique telle qu’elle meurt de ne pas être  ».
« Que peut la politique ?  »
 
« L’un étant dans majorité et maintenant au gouvernement, l’autre étant l’une des personnalités les plus éminentes de l’opposition, l’un se réclamant du Gaullisme, l’autre de la tradition sociale-démocrate, on aurait pu s’attendre non sans doute à une empoignade ou à un affrontement mais à une confrontation civilisée entre propositions, options et opinions divergentes. Eh bien non !
 
Civilisé, ce débat, ce face-à-face l’est assurément mais il se révèle en plus très consensuel sur presque tous les sujets. L’entente prime sur les désaccords. La clé de cette harmonie, je l’ai trouvée page 192, dans une profession de foi d’Alain Juppé : « Le système de protection sociale fondé sur les valeurs de solidarité et de fraternité entre les membres d’une même collectivité nationale appartient au patrimoine commun de la France où il n’y a que quelques excités néo-libéraux pour le contester. Il n’y a pas de clivage en France sur le principe même de solidarité. Car il est normal que les riches paient un peu plus pour faire en sorte que les pauvres soient un peu moins pauvres. Ça me paraît enraciné aussi bien dans les valeurs socialistes de Michel que dans les valeurs chrétiennes qui sont les miennes. »
 
À la lecture de ce beau passage et du livre tout entier, une question me vient naturellement aux lèvres : la bataille politique entre la Droite et la Gauche est-elle un leurre ? Dissimule-t-elle sous la violence ostentatoire des discours l’inavouable ressemblance des politiques ou pour le dire de manière plus personnelle : Alain Juppé, vous n’êtes certes pas de gauche. Vous diriez-vous cependant de droite ou bien cette opposition ne sert-elle qu’à camoufler le remplacement de l’alternative des volontés par l’alternance des équipes, bref à amuser la galerie ? »

Lire l'article complet, et les commentaires