Migrations : comment dialoguer avec les déclinistes ?

par Alexandre Vuilleumier
jeudi 20 octobre 2016

Un des principaux enseignements du Brexit et de notre basculement dans un monde post-factuel est qu'une contre-vérité simple à expliquer vaut mieux d'un point de vue communicationnel qu'une réalité complexe. Voici quelques pistes pour tenter de trouver un langage commun avec la fachosphère, car il faudra bien un jour dialoguer avec elle !

"Comment opposer le calme d'une courbe à l'excitation d'un slogan" se demandait Patrick Boucheron, éminent médiéviste, à l'issue d'un mémorable Colloque de rentrée du Collège de France. Pendant deux jours et demi, la vénérable institution a ainsi fait dialoguer scientifiques de tous ordres, anthropologues, sociologues, démographes, historiens, responsables associatifs et politiques sur la question de la migration et de l'exil. Retenons les points saillants.

Pour commencer, il est utile de rappeler que l'humanité est tout entière sortie d'Afrique il y une centaine de milliers d'années et qu'en moins 7000 les paysans espagnols étaient plus foncés que blancs, comme l'exemplifiait Jean-Jacques Hublin, professeur et directeur du Max Planck Institute for Evolutionary Anthopology. Ce processus de passage d'une couleur noire à blanche a pris des dizaines de milliers d'années. Si la noblesse est la faculté de faire remonter sa famille le plus loin possible, les Blancs sont donc de vulgaires roturiers.

L'histoire du monde est malgré tout celle des migrations, à commencer par cet exode d'Afrique jusqu'à ce que tous les continents soient habités vers 15'000 avant avec l'arrivée sur le continent américain. Les tensions entre les peuples et les clichés xénophobes existaient déjà en 3000 avant, du temps du premier mur de l'humanité, celui des Amorrites. Les étrangers ont des traits de "singe", ils "n'ont pas de crainte", "ne causent que des troubles", il s'agit d'un "peuple qui déterre des truffes au pied des montagnes, qui ne sait pas plier le genou" (D. Charpin, Les "barbares amorrites" : clichés littéraires et réalités, Colloque du Collège de France, 2012). Toute ressemblance, etc.

Plus proche de nous, l'immigration algérienne, celle des années 1920-1960, était celle de migrants qui n'avaient pas de dénomination juridique - ils n'étaient ni français, ni algériens, et la Guerre d'Algérie les a laissés orphelins de leurs deux pays. La France ne s'est pas intéressée à ce sujet-là, comme le rappelait lors du Colloque Benjamin Stora, spécialiste de l'histoire de l'Algérie, puisque les universitaires ont commencé à parler d'immigration algérienne que dans les années 90 et que l'Education nationale n'aborde toujours pas le sujet dans ses manuels. Sans même de dénomination du problème pendant de nombreuses décennies, comment s'étonner que cette population ait rencontré des difficultés ?

Aujourd'hui, il faut rappeler qu'il y a 21 millions de réfugiés dans le monde dont 56% sont concentrés dans 10 pays qui représentent 2,5% du PIB mondial. La principale migration est intérieure, avec l'exode rurale qui agglutine des populations à la périphérie des villes. La non intégration de ces populations, l'absence d'ascenseur social, la guerre et l'incertitude conduisent à l'émigration.

Cependant, il faut bien comprendre que c'est l'élite - en tout cas au point de vue physique - de ces pays qui se lance dans l'aventure. Pour ne prendre qu'un exemple, traverser le Sahara s'avère encore plus périlleux que la Méditerranée, comme l'illustre parfaitement un article publié sur politico.

La lutte à mener pour ces migrants connaît son apogée une fois ceux-ci arrivés, puisque l'enfer administratif des demandeurs d'asile est parfois plus difficile à affronter que leur trajet jusqu'en Europe, sur fond de lâcheté des Etats à assumer leurs engagements internationaux en matière de droit d'asile, comme le soulignait Danièle Lochak, professeur émérite à Paris - Nanterre.

Les discours alarmistes oublient ainsi que depuis une vingtaine d'années ce sont grosso modo 200'000 immigrés qui ont reçu chaque année le droit de séjour, c'est-à-dire 3 millièmes de la population française. François Héran, directeur de recherches à l'INED, précisait d'ailleurs que les neuf années de responsabilité de Nicolas Sarkozy n'ont rien changé à ces chiffres. Quant aux musulmans, ils sont 90% en France à être d'origine maghrébine, comme le rappelait Benjamin Stora.

En conclusion, on comprend à quel point la fonction darwinienne de la traversée du Sahara, de la Méditerranée et de l'administration européenne atténue l'aspect "économique" de la migration ; cette aventureuse Odyssée ne cadre pas vraiment avec une migration d'assistanat comme la dépeignent parfois les déclinistes.

En effet, de même que la matière première la plus importante du Mexique est celle des transferts d'argent issus d'émigrés aux Etats-Unis, de même l'Afrique bénéficie au plus haut point de ce système de transfert Nord-Sud. Ce dernier point permet de soulever la question de ce qu'il faut faire à l'avenir.

Le Colloque du Collège de France a en effet très bien montré combien la "crise des migrants" et plutôt celle de la crise de l'Europe face aux migrants. Toutefois, ceux qui se plaignent que la France n'est plus attractive pour les migrants sont souvent ceux qui veulent les refuser. Si l'on suit cette logique, pour éviter que ces populations ne partent de chez elles, il faut faire le maximum pour les garder là-bas. Or, bien avant le début de la bataille de Mossoul, l'UNICEF annonçait 13 millions de dollars de manque de budget pour faire face à la crise migratoire qui arrive. Ceux qui se plaignent ont-ils cotisé ?

Ceci étant, dans l'idée finalement nécessaire de laisser aux candidats à l'exil la possibilité de faire ce qu'ils veulent dans l'idéal, à savoir rester sur place, pourquoi ne pas renverser la question et faire de la France un endroit où les migrants voudraient aller ? Le PIB de la Suède a en effet monté de plus de 4% l'année passée, et rien ne permet d'expliquer cela si ce n'est l'arrivée massive des migrants les années précédentes. Par ailleurs, tout le monde s'accorde à dire que la seule solution durable est celle du développement des économies sur place.

La jointure est du coup vite imaginée. Si cette élite physique de l'Afrique subsaharienne vient en France, elle aura fait preuve d'une motivation quasi surhumaine qui manque parfois ici, elle travaillera d'autant plus, concourra à l'économie nationale et surtout participera directement au maintien des familles sur place en leur envoyant des fonds.

La solution est évidemment mixte, il faut combiner les efforts ici et là-bas, mais surtout, elle réclame un travail commun de toute la société, en sachant tendre la main aux déclinistes, et ce d'abord en tentant de trouver un langage commun "post-post-factuel".


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