Mme Dati en couverture de VSD : l’arrivisme peut-il accoucher d’autre chose ?

par Paul Villach
samedi 3 janvier 2009

Avec Mme Dati, on n’en est pas à un paradoxe près ! Après les parades en robes Dior et les confidences sur un « réseau personnel », ce nouveau paradoxe saute aux yeux. Est-ce-bien d’une ministre de la justice cette photo, en couverture de VSD cette semaine, où une future mère s’exhibe ravie en train de se caresser le ventre  ? Comment est-ce possible qu’une ministre en charge de l’institution qui est l’ultime recours de la paix civile, perde la boussole au point d’oser se pavaner ainsi ?

Faire croire à une information fiable

Photographiée en plan moyen de trois-quarts, Mme Dati prend une posture stéréotypée que par intericonicité on reconnaît aisément : toutes les futures-mères, à un moment ou à un autre, l’adopte quand, le ventre bien rond, elles savent que la naissance est proche. Le petit bouge parfois jusqu’à leur faire mal : elles portent alors attendries les mains à leur ventre. Elles sont à la fois rassurées sur la santé de leur enfant et fières de bientôt le mettre au monde : ce n’est pas rien de donner la vie.

Mme Dati joue ici évidemment de façon infantile à celle qui a été surprise à son insu et/ou contre son gré. Ce leurre de l’information donnée qu’elle déguise en information extorquée fait toujours son effet auprès des naïfs : il tend à faire croire à une irruption inopinée dans l’intimité de la vie privée et à la fiabilité absolue de la scène savamment mise en scène. Mme Dati ne fait, en réalité que prendre la pose conseillée par ses stratèges en publicité : elle feint d’être recueillie, yeux fermée et tout sourire, en communion avec « le fruit béni de ses entrailles » qui vit en elle. Le lecteur est alors incité à ne voir d’autre cause à cet effet présenté par la métonymie qu’une maternité heureuse.

Stimuler le réflexe de sympathie



Nul ne songe évidemment à contester à Mme Dati, pas plus qu’à aucune autre future mère d’ailleurs, le droit de prendre en secret la mesure de cet instant grandiose où elle va donner la vie. Fût-elle chaque fois unique, cette expérience reste tout de même très commune, vécue quotidiennement par des millions de femmes : elles n’en font pas pour autant la couverture des magazines. C’est donc un premier paradoxe de voir Mme Dati éprouver le besoin de le crier sur tous les toits et un magazine de lui offrir sa tribune pour le faire.

Quelle solution cachée trouver à cette contradiction apparente, sinon l’intention de faire de Mme Dati une femme comme toutes les autres, confrontées à leur fonction traditionnelle de la procréation ? Sans doute ses conseillers en publicité ont-ils voulu par cette image humaniser une ministre décriée et stimuler chez nombre de lecteurs un peu benêts un réflexe socioculturel conditionné de sympathie à son égard. L’enfant et sa mère suscitent systématiquement l’attendrissement : une société se doit de protéger ses racines fragiles pour assurer sa survie.

Une image en boomerang imprévue, celle du nombrilisme

Mme Dati qui avait prétendu se distinguer par une promotion sociale inattendue comme par une vie sexuelle émancipée, redevient curieusement ici une mère comme toutes les autres, à une distinction près : c’est sa qualité de ministre qui lui vaut seule l’accès à la couverture de VSD. Ainsi croit-on chasser la fonction ministérielle, elle revient au galop. Or qu’une ministre de la justice éprouve le besoin de se cacher sous ce masque maternel, est un deuxième paradoxe. La même métonymie observée plus haut fait alors songer à une cause imprévue des stratéges publicitaires : admirativement penchée sur son ventre, Mme Dati paraît n’être plus préoccupée que de l’enfant qu’elle porte et se désintéresser de ce qui peut bien se passer autour d’elle. C’est une définition du nombrilisme.

Du coup, cette solution ouvre sur un troisième paradoxe qui confirme le précédent : assume-t-on la fonction de ministre pour être attentif à ses problèmes personnels ou à ceux de la collectivité publique dont on a accepté la charge ? Il semble que pour Mme Dati la réponse ne fasse aucun doute : plus rien ne compte que son enfant. C’est le second sens insinué de la légende ambiguë de VSD : « Une nouvelle vie commence ». La ministre a désormais d’autres chats à fouetter que d’administrer l’institution judiciaire.

Qu’a-t-elle à cirer que celle-ci ne remplisse plus son rôle de pacification de la société, que trop de jugements soient ressentis comme partiaux, que le droit soit méprisé, voire ridiculisé par les magistrats eux-mêmes, que les puissants bénéficient de passe-droits et qu’il arrive que des innocents croupissent par erreur en prison ? Mme la ministre a mieux à faire ! Après les robes Dior et des rêves de grandeur, c’est son ventre qu’elle caresse aujourd’hui, contente d’elle-même. Encore une fois, ce n’est pas rien de donner la vie, c’est sûr ! Mais ce n’est pas rien non plus de laisser ruiner celle des autres quand on a le pouvoir de l’en empêcher. Voilà un numéro de VSD à distribuer dans les parloirs des prisons pour remonter le moral des détenus !

Peut-on trouver image plus symbolique de l’aventure prometteuse qu’a d’abord représenté la promotion inattendue de Mme Dati au poste de ministre de la justice, avant de sombrer dans le fiasco, sinon le ridicule ? Manifestement, l’origine sociale, quelle qu’elle soit, ne fait pas la compétence et le « réseau personnel » pas davantage. Il est vrai que ce n’était pas la compétence que recherchait une stratégie politique en hissant ainsi sur la scène judiciaire une marionnette propre à faire admettre des contre-réformes répressives sans susciter de réactions désobligeantes. Ainsi, parmi ses dernières saillies, Mme Dati est-elle allée jusqu’à présenter l’incarcération à l’âge de douze ans comme « une mesure de bon sens » avant que le Premier ministre lui montre quel bon sens cette mesure devait prendre en la jetant à la poubelle. Faut-il s’étonner de l’échec de « la promotion à la Dati » ? L’arrivisme peut-il, à vrai dire, accoucher d’autre chose ?

Paul Villach


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