Modélisation du désastre grec
par Michel Koutouzis
samedi 11 février 2012


On ne tient pas à torturer le peuple grec vient de déclarer le grand argentier allemand. Non, bien sûr. Seulement l’affamer, le rendre fou de rage, faire monter chez-lui un ressentiment tel, que quel que soit le résultat électoral à venir tout prochainement la Grèce deviendra ingouvernable, avec un parlement incapable de donner une majorité, avec des prisons qui ont hermétiquement fermé leurs portes faute de place, avec une police dépitée qui envoie des mandats d’arrêt aux trois membres de la troïka, avec des bruits les plus fous circulant sur la présence de forces policières d’Eurocop basés normalement au Kosovo mais qui viennent souvent « s’entraîner » en Grèce. Avec des partis laminés, des syndicats radicalisés au point de s’abandonner aux positions les plus extrêmes qui ne font d’ailleurs que refléter la radicalisation du monde du travail. Le nouveau plan dit de « sauvetage », perçu comme un vulgaire ultimatum, un chantage ignoble, passera sans doute au parlement dont la représentation n’existe plus que pour donner un semblant de légalité aux mesures imposées par le FMI, la Banque Centrale Européenne et la Commission, eux mêmes sous la pression permanente du couple infernal franco-allemand.
A propos de la crise grecque Naomi Klein disait il y a quelques jours : Ce qui se passe actuellement en Grèce, ressemble en quelque sorte à ce qui s’est passé en Corée du sud durant la crise asiatique, dans le sens où il y a eut cette guerre évidente avec la démocratie. La Corée du sud était en pleine période électorale quand le FMI a obligé tous les candidats à la présidence à signer l’accord passé avec le FMI. En réalité le FMI a annulé le sens même des élections. Et peu importe le résultat des élections, l’accord reste inchangé parce qu’ils redoutaient que celui qui négocie avec le FMI, n’aura pas une grande influence politique pour imposer l’accord et perdra les élections.
C’est le moment ou le masque tombe complètement et où le système des marchés est en guerre avec la démocratie »… La visibilité politique en Grèce est nulle. Sa gouvernance se résume à ce que les pouvoirs publics puissent payer leurs emprunts (prioritaires) et les salaires dans les deux mois à venir. Le après c’est comme il ‘existait pas. Or les mesures draconiennes imposées (dont ni Merkel ni Sarkozy n’auraient osé proposer à leur propre peuple le centième) aboutissent dans une crise institutionnelle, politique, de repères élémentaires de l’Etat de Droit dont personne ne semble se préoccuper. On pourrait penser que c’est de l’inconscience. Mais le fait qu’en pleine restructuration une agence de notation dégrade la quasi totalité de la fine fleur des banques italiennes ou qu’en Irlande on décide, une fois encore, de prendre des nouvelles mesures d’austérité pour renflouer des banques qui n’ont rien à voir avec ce pays si ce n’est leurs investissements spéculatifs, indique que l’Europe se dirige vers un emploi structurel de la crise qui n’a comme but que de faire subir aux populations européennes des mesures sur le travail, la sécurité sociale ou les retraites, impossibles à mener autrement. Ce sont les superstructures institutionnelles qui sont désormais attaquées sans vergogne, le prix du travail, l’Etat de droit et l’histoire, deux fois centenaire, des acquis sociaux.
Le soi-disant modèle allemand qui privilégie les exportations aux dépens d’un marché intérieur (c’est-à-dire d’une amélioration constante des salaires et des services) est celui des Dragons Asiatiques qui s’écroulèrent tous il y a vingt-cinq ans. La compression de la masse salariale a peut-être été pour un temps un atout pour les exportations, mais au détriment de leurs propres populations et de leurs voisins, comme le fait remarquer la pourtant très libérale Christine Lagarde. En faire un modèle à copier-coller en France consiste à mettre en cause ce qui est attaqué frontalement dans tous les pays du sud européen, en Irlande et en Europe de l’est.
Le virage sur des positions ultra droitières par le président Sarkozy participe à la mise en place d’un clivage entropique qui permettait des mesures économiques et sociales dégradantes (dans tous les sens du mot) impossibles en l’état actuel. Et tandis qu’on déclare vouloir « sauver » la Grèce, on essaie, au contraire, de créer les conditions pour imiter le processus destructeur qui y sévit.
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