Mondialisation 2023 : clap de fin ?

par lephénix
mardi 3 janvier 2023

La « mondialisation » jusqu’alors triomphante aurait-elle heurté les limites du réel ? Le temps de la « démondialisation » serait-il arrivé ? L’économiste Guillaume Vuillemey invite à penser cette dernière comme « l’affirmation positive de biens communs qu’il s’agit de défendre politiquement sur chaque territoire ».

La « souveraineté » nationale s’applique-t-elle encore aux réalités du XXIe siècle ? L’étatisme de certains gouvernements ne serait-il que le paravent de leur impuissance à assurer un « intérêt général » introuvable depuis le déferlement des grandes eaux de la « mondialisation » ?

Professeur de finance à HEC Paris, Guillaume Vuillemey rappelle que le fait dominant de celle-ci n’est pas « l’allongement de la distance dans les échanges mais la mise en concurrence des pays et, in fine, la possibilité de s’abstraire presque complètement de toute contribution aux biens communs ». Telle est sa part certes occultée, mais manifestement de plus en plus perçue par des populations confrontées aux pénuries annoncées : « l’abondance de biens privés, doublée d’une raréfaction des biens communs »...

Pour le professeur de finance de HEC Paris, la dite « mondialisation » est « le produit d’un dédoublement du monde ». Ainsi, « en marge des institutions classiques, où les dimensions individuelle et communautaire de la vie humaine étaient toujours articulées l’une à l’autre, a émergé un monde où les seuls intérêts individuels ont pu prévaloir, sans considération pour les intérêts collectifs ».

 

Le fait central : la déterritorialisation des échanges

Avant l’ouverture des mers consécutives aux « grandes découvertes » des Xve et XVIe siècle, les échanges étaient liés au monde terrestre : « voyager, pour un bien ou un marchand, c’était traverser une série d’ordres politiques territorialisés qui tous imposaient leur droit, leurs redevances, leurs contraintes, et faisaient ainsi prévaloir une conception du bien commun ».

Avec le coup d’envoi de la première « mondialisation » en 1492, la mer est proclamée « libre », c’est-à-dire échappant à la souveraineté de tout Etat. Désormais, il devient possible de « joindre virtuellement n’importe quels points sur la planète sans avoir à traverser d’ordres politiques intermédiaires ». La haute mer permet, « en marge du monde des Etats territorialisés, la naissance d’un nouveau monde, fondé sur le contournement de l’ancien droit terrestre  »... Guillaume Vuillemey voit là « le basculement d’un monde dominé par l’élément terrestre vers un autre dominé par l’élément maritime ».

Est-ce à dire que les habitants des terres fermes se voient appliquer à leur insu le droit commercial maritime ? Voire l’antique droit phénicien ? La loi de la mer l’emporterait-elle sur celle de la terre ? La présumée « liberté des mers » ancre-t-elle la « déterritorialisation dans le droit » pour de vrai ? Offre-t-elle aux échanges commerciaux un « espace de liberté virtuellement sans interférences politiques » ? Manifestement, elle « altére la capacité des ordres politiques établis à poursuivre des intérêts collectifs  »... Toutes les grandes vagues de « mondialisation » jusqu’à aujourd’hui auraient-elles été des périodes de liquidation où une « logique maritime » aurait pris le pas sur une « logique terrestre » ?

Ainsi perdure ce clivage entre deux types d’acteurs : «  ceux qui restent du monde terrestre, d’une communauté politique particulière au sein de laquelle ils aspirent à un certain bien commun, et ceux qui sont du monde liquide, sans lieu, de la mondialisation soit des acteurs « mobiles » et « immobiles ». Les hommes des bateaux contre ceux des terres ou des arbres ?

Bien évidemment, « la hausse conjointe de la charge fiscale imposée aux immobiles et la dégradation des services publics locaux correspondent au processus qui accompagne beaucoup de pays européens » depuis quatre décennies. Nul doute que « la déterritorialisation des contribuables aisés leur permet d’échapper en partie au financement des infrastructures publiques dont ils bénéficient néanmoins ». Ce comportement peut-il durer indéfiniment ? Assurément, tant qu’une « masse suffisante de contribuables reste localement immobile de sorte que les services publics puissent continuer à être financés »...

La création, à partir du 31 décembre 1600, des Compagnies des Indes - à commencer par celle de la Compagnie britannique des Indes orientales (EIC) par une association de marchands et de spéculateurs inaugure une « nouvelle forme juridique appelée à une postérité considérable : la société anonyme ». Celle-ci permet la « maximisation de gains privés, potentiellement dommageable pour les intérêts collectifs  ». Elle donne le point de départ d'une épopée fondatrice du "capitalisme moderne"...

Par définition, cette « personne morale » place les intérêts de ses actionnaires avant le bien-être de la communauté et ne s’intéresse qu’à leurs bénéfices à court terme, tout en s’assurant que le public paie ses coûts externes. L’apparente prospérité de ces sociétés maintient toute vélléité de « civilisation » dans les basses eaux de rapports de domination et de profit à tout prix. Les coûts cachés de cette internationale du profit qui multiplie ses comptoirs se soldent notamment par un « renoncement à poursuivre des fins collectives dans un nombre important de domaines »...

Contrairement aux personnes physiques imposables dans leur pays, les multinationales peuvent « arbitrer à l’échelle mondiale entre une multitude d’environnements juridiques, réglementaires et fiscaux  ». Et le jeu des pavillons de complaisance permet d’opter pour l’environnement le plus avantageux...

Guillaume Villemey propose de « faire en sorte qu’il ne soit plus possible de poursuivre des intérêts commerciaux privés sans aucune considération pour le bien commun ». Comment ? Par l’exercice d’une « souveraineté fondée sur un protectionnisme social et environnemental  ». Un beau thème de tribune...

On peut toujours considérer que « le monde bouge » sous l’influence des idées ou la contrainte des faits. Alors que le mode de consommation imposé par le « progrès » fait place à une « sobriété » imposée, le « génie technicien » s’avère incapable d’ajouter une once d’or, une goutte de pétrole ou un watt d’énergie « propre » à la qualité de vie humaine - qu'il s'agisse de la vie des hommes des bateaux à celle des « cybercitoyens », tête dans leur écran... Ces derniers ne connaissent que « les réseaux » comme seul et unique « lieu commun » de leur e-monde irrigué par un gigantesque mais fragile câblage sous-marin...

Et s’il suffisait d’en finir avec la captation des richesses collectives et la prédation économique pour redistribuer les possibles ? Mais, alors que « le social » s’est fait digital sans frontières, quel génie politique libéré de la "capsule" cybernétique manifestera-t-il cette évidence contre le prétendu « réalisme » d’un « impératif technologique » réfractaire à tout retour aux finalités humaines de l’économie et de la « civilisation » ? Il y a urgence : la Maison de l'Homme brûle avec ses compteurs "intelligents" et l'exploitation cybernéticienne des hommes changés en objets est bel et bien terminale...

Guillaume Villemey, Le Temps de la démondialisation, Seuil, collection « la république des idées », 112 pages, 11, 80 euros


Lire l'article complet, et les commentaires