Mondialisation : le radeau de la Méduse

par Jacques-Robert SIMON
mardi 23 avril 2019

 Vous êtes l’Homme le plus riche de France, ceci n’est pas une raison de vous détester, ni de vous admirer. Je ne m’adresse pas à vous pour que vous distribuiez tout ou partie de votre fortune, ce qui ne changerait d’ailleurs rien à la situation dramatique que nous connaissons. Pourtant vous pourriez tant de choses…

 

 Louis XVIII est roi de France. L’empire a disparu avec la défaite de Waterloo. Les pays vainqueurs de Napoléon Ier, l’Autriche, le Royaume-Uni, la Prusse, la Russie et quelques autres, l’ont porté au trône. Les émigrés, environ 150 000 personnes parties suite à la Révolution, sont les tenants de la monarchie et d’un pouvoir absolu, ils ont obtenu ce pour quoi ils se battaient. Il faudra attendre plus de trente ans pour qu’une chancelante seconde république apparaisse.

 En 1816, Hugues Duroy de Chaumareys commande le navire ‘La Méduse’ ; c’est un noble très peu expérimenté n’ayant pas navigué depuis l’ancien régime. Il traite dès le départ ses subordonnés avec condescendance et préfère prendre les conseils d'un passager qui prétend connaître la côte d'Afrique. À bord embarque aussi le colonel Schmaltz, nommé gouverneur du Sénégal. ‘La Méduse’ est chargée d'acheminer du matériel, des fonctionnaires et des militaires affectés à ce qui deviendra le Sénégal. Le navire s’échoue sur un banc de sable pourtant bien connu des navigateurs. Plusieurs tentatives de renflouement sont faites sans succès. Il n'y a pas assez d'embarcations pour évacuer les quatre cents occupants : la frégate ne dispose que de quatre canots et d'une chaloupe. Schmaltz fait alors construire un radeau avec des pièces de bois récupérées dans la mâture afin d’y transférer du matériel et alléger le navire. Une liste répartissant les personnes dans les différents canots de sauvetage est établie par Schmaltz et Chaumareys en secret. Canots et chaloupe sont mis à l'eau. Le gouverneur Schmaltz exige d'être descendu à bord de son embarcation dans un fauteuil, suspendu à un palan. Sur le radeau s'entassent 150 marins et soldats avec quelques officiers, ainsi qu'une femme cantinière. Très vite, les amarres qui relient les chaloupes au radeau se rompent (ou sont rompues volontairement) et celui-ci part à la dérive. Sur la machine, nom donné au radeau, une « rébellion » éclate, et est noyée dans le sang : on comptera soixante-neuf cadavres. Quelques jours plus tard, une seconde « révolte » fait plus de trente morts. Au bout d'une semaine, il ne reste plus à bord de la ‘machine’ que trente survivants. Nécessité faisant loi, ils se sont mis à manger les cadavres de leurs victimes. Un conseil se réunit et décide que douze naufragés sont trop faibles pour survivre : ils sont jetés à la mer...

 Le commandant Chaumareys, qui a pu regagner la côte, a envoyé l'Argus non pas pour sauver les naufragés mais pour récupérer trois barils contenant des pièces d'or et d'argent. Le brick retourne sur le lieu du naufrage et le surlendemain récupère quinze rescapés du radeau.

 Erreur de cap ! Méconnaissance de la route à suivre ! Décideurs sans grandeur ! Foules exaspérées et excitées par les turpitudes ! Que d’analogies avec notre situation !

 Le dernier exercice budgétaire français à l’équilibre remonte à 1974, année du premier choc pétrolier, depuis lors la France vit à crédit : elle dépense plus qu’elle ne gagne. Cette même année, le taux de croissance baisse (à 5,7%), les salaires augmentent comme l’inflation, le gouvernement s’efforce de ne pas franchir le seuil de 700 000 demandeurs d’emploi. La dette publique de la France n’a pas cessé de croître depuis le premier choc pétrolier jusqu’en 1996 pour rester à peu près stable jusque la crise de 2008, la dette a ensuite ré-augmentée très brutalement. Tous les pays du monde sont endettés, les pays dits riches bien plus que les pays pauvres. Les pays les moins endettés sont la Russie, la Libye, l’Iran. Il n’est évidemment pas possible de relier le montant des dettes à un quelconque objet réel, celles-ci correspondent à un élément d’un rapport de force qui tient en compte maints aspects militaires, sociétaux et environnementaux.

 Il n’en reste pas moins que la France vit à crédit donc sous une tutelle de plus en plus grande du reste du monde. Dans l’ancien régime, les finances de la France sont presque toujours dans le rouge. Pour rétablir l’équilibre des comptes, le Roi utilise tous les moyens possibles : les emprunts, les spoliations, les faillites ; des guerres pouvaient aussi être déclarées justifiant alors des impôts extraordinaires difficilement contestables par la population. Toutes ces possibilités existent encore de nos jours avec un habillage différent. La mondialisation permet d’assurer une relative stabilité du pouvoir d’achat dans les pays riches tout en intégrant les pays pauvres dans le système global de production et en élargissant ainsi considérablement l’espace des investissements possibles.

 Une brisure du fait de la mondialisation peut être observée depuis 1990, et qui s’accentue dans tous les pays, elle concerne le creusement des écarts entre revenus du capital et revenus du travail, et également entre revenus du travail qualifié et non qualifié. La déification de l’argent devient telle que toute autre valeur immatérielle s’en trouve marginalisée ou ridiculisée, rendant obsolètes républiques et démocraties. Toute idéologie, au sens de sublimation de l’intérêt, est jugée dangereuse ou nuisible et on remplace la morale égalitaire par la philanthropie qui recueille d’autant plus de succès qu’une large publicité l’accompagne.

 Pourtant, un Monde sans morale ne peut que s’écrouler : c’est elle qui peut contenir l’animalité qui sourde par chacun des pores de tout individu. Pour qu’un frein à la bestialité soit possible, les vrais dirigeants, ceux qui détiennent les capitaux, ne doivent pas seulement être puissants, ils doivent être exemplaires.

 La planète va manquer de tout : laissera-t-on une infime minorité s’accaparer du peu qui reste ou pourrons-nous bâtir un monde pour l’ensemble des populations ? Le nombre de personnes vivant sur Terre était d'environ 650 millions en 1750, il atteint plus de 7 milliards aujourd’hui. Il est hors de question de fournir à tous le niveau de vie d’un américain ou d’un français. Qui va diriger la transition vers une sobriété nécessaire et pas forcément heureuse ? Les détenteurs de capitaux, volontairement ou pas, ont permis l’essor des pays dits émergents en augmentant toutefois significativement les inégalités dans chacune des nations. Il faut en effet un pouvoir fort pour imposer des sacrifices aux populations, même à celles qui bénéficient d’un trop plein de biens dont elles ne savent plus quoi faire. Les ‘marchés’, hors d’atteinte de la démocratie, ont permis d’imposer les efforts nécessaires. Corrélativement, les détenteurs de capitaux ont vu leur fortune augmenter avec leur puissance. Ce processus n’a pas de limite à moins d’en imposer une. Peut-être M. Arnault, vous qui êtes le plus riche d’entre nous, vous ne croyez pas plus que moi en Dieu ? Peut-être cependant accepterez-vous la direction qu’il indique, l’Amour, sans lequel aucune vie ne vaut d’être vécue. Alors bannissez les ‘Chaumareys’ qui abondent dans tous les lieux de pouvoir, vous nous aiderez, vous vous aiderez.

 


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