Monsieur Copé, la burqa n’est pas une pandémie tribale !
par Bernard Dugué
jeudi 14 janvier 2010


Je n’ai pas souhaité intervenir sur la question de la burqa pour l’instant. Et d’ailleurs, je n’ai jamais vu une seule femme portant le voile intégral et pourtant, je me balade parfois dans des quartiers à la composition sociale propice à ce genre d’apparition. Quoique, admettons que 500 femmes portent le niqab en France. Un calcul effectué grâce à la règle de trois indique qu’il y aurait pour la ville de Bordeaux deux ou trois femmes affublées du voile intégral. Et un seul Alain Juppé que j’ai eu l’occasion de croiser quelques fois. La burqa ne représente pas un problème pour moi. Par contre, la tournure prise par le débat politique m’incite à livrer quelques analyses assez brèves.
L’autre soir, un étrange débat, vite ennuyeux, entre François Hollande et Jean-François Copé qui se sont expliqués sur l’opportunité d’un projet de loi à présenter à l’Assemblée. Visiblement, il y avait consensus sauf sur la forme, Hollande jugeant Copé un peu trop pressé, surtout que la mission de réflexion sur cette question n’a pas rendu ses conclusions. Passons sur ces détails. Le plus saisissant fut de constater ce consensus, ce sentiment d’unité nationale et cette exhortation de Copé enjoignant Hollande de plaider sa cause et de dire, de confesser, d’avouer que oui, au moins sur le principe, il est d’accord pour légiférer. On aura dit un conclave d’ecclésiastiques visant à vérifier que les membres respectent scrupuleusement la doctrine, en l’occurrence, la doctrine de la foi républicaine. En filigrane, nous décelons le climat régnant dans cette affaire. Les femmes voilées intégralement testent la république dit Copé. Testent ? Menacent-elles la république, ces 500 femmes ? On peut penser que oui et que tout politicien se doit d’accepter le principe d’une réplique législative sous peine de passer pour un déserteur, ce qui est un délit symbolique valant une excommunication par la foi républicaine et la peine capitale quand c’était en temps de guerre.
Guerre ? Quand même pas. Mais force est de constater que cette mobilisation contre la burqa évoque une unité nationale où s’effondrent les clivages politiques. Ce type d’événement se produit en général par temps de crise. C’était le cas lors des précédentes guerres et cette situation est devenue courante en Israël, pays qui vit dans un climat de consensus politique croissant depuis deux décennies. La préoccupation envers la nation l’emporte sur les options politiques. Et les réunions de cabinet de crise y sont fréquentes. Autant dire que cette affaire de burqa ressemble de près à une procédure émanant d’un cabinet de crise où la nation s’unifie pour contenir un ennemi qui la menace. Tout récemment, nous avons vu un consensus se dessiner à propos de la pandémie grippale dès lors que l’OMS avait lancé l’alerte maximale. Pas une seule dissonance lorsque la ministre de la santé décida de déclencher son plan au début de l’été 2009.
Et donc, je souhaiterais dire à Monsieur Copé que non, la burqa n’est ni une pandémie ni une épidémie et d’ailleurs, aucune femme ne porte la burqa, le niqab oui mais en bon politicien, vous savez que les mots comptent, madame Bachelot en sait un rayon, elle qui parle encore de pandémie alors que les médias causent épidémie. Ne prenez pas en grippe ces quelques dames au visage caché. Il est préférable d’analyser le port du voile intégral comme une sorte d’extrémisme pratiqué par une très faible minorité de femmes. Bref, un peu à la manière des adeptes d’une secte. Un peu de connaissance historique permettrait de comprendre que le Coran, en raison de sa plasticité herméneutique, se prête à la formation de mouvance sectaires et que pendant le Moyen Age, des dizaines de sectes furent répertoriées dans l’empire islamique au plus fort de sa puissance. Si on voit dans la burqa une menace, alors interdisons carrément les témoins de Jéhovah qui ne se contentent pas seulement de s’afficher en public et viennent sonner à votre porte pour vous prêcher un galimatias de fausse prophétie biblique. Le voile intégral représente à mes yeux le refus d’un partage. Montrer son visage est une offrande à la société, voir un sourire est un présent qu’on reçoit. Refuser cet échange, c’est opter pour un suicide social. En bon républicain, je suis pour la liberté pour chacun de choisir son dessein, que ce soit d’être président ou de se suicider, symboliquement ou littéralement, sous réserve de ne pas entraîner dans son délire des enfants.
Pour achever cette analyse, on se demandera d’où vient cet empressement des politiques à mettre l’accent sur quelques phénomènes et à les dramatiser. Climat, pandémie, burqa. La classe politique dans son ensemble est prise dans une frénésie activiste en quête de résolutions et solutions. Pourtant, les vrais problèmes sont ailleurs. Les inégalités sociales et le chômage menacent bien plus la république mais je crains que les politiques n’aient pas de solution alors il faut bien qu’ils bossent sur des petits détails pour justifier leur mandat et leurs émoluments.
Un philosophe politique ira d’une réflexion plus poussée. Tiens donc, on ne les entend pas trop ces intellectuels. Que diraient-ils ? Sans doute que la France pacifiée s’ennuie et s’inquiète, cherchant des menaces. La burqa représente une menace, tout comme (pas plus que) l’ultra-gauche. Nous serions alors dans une conception du politique visant à définir et désigner l’ennemi et l’ami. Une conception pensée par Carl Schmitt. A l’inverse, nous pourrions imaginer une conception hégélienne de l’Etat comme instance reconnaissant toute les singularités. De quoi débattre. Pour ma part, je reconnais que si des millions de femmes portaient le voile intégral, je serais perplexe et pas très content. Mais pour l’instant, quelques centaines d’extrémistes, cela n’est pas de nature à inquiéter et je doute que la pandémie tribale du niqab ne se déclenche. Les raéliens sont aussi nombreux et ne menacent pas plus la république.