Mont Beuvray, un oppidum oł les Romains n’ont jamais mis les pieds

par Emile Mourey
mardi 5 février 2013

Il fut un temps où nous, Bourguignons, étions très fiers de notre passé gaulois. Avec l'implantation récente du muséoparc d'Alésia, les archéologues sont arrivés à nous persuader "qu'heureusement Vercingétorix perdit sinon nous ne serions pas aujourd'hui ce que nous sommes". Disparues, les querelles gauloises interminables entre deux partis rivaux ! Bienvenue à la civilisation romaine et à son administration ! Contribuables désormais disciplinés, nous venons d'apprendre que nos élus ont accordé plus de 2 000 000 d'euros de subventions au musée archéologique européen du mont Beuvray pour une exposition à la gloire de la romanisation.

Le 16 mars 2013, lors de la réouverture de ce musée, on expliquera aux ignorants que nous sommes, "couche archéologique par couche archéologique, génération par génération", que c'est grâce à la romanisation qu'est né, au mont Beuvray, pour la première fois, un embryon de ville. http://www.bibracte.fr/fr/magazine/musee-en-chantier_01_03.html

Il s'agit là d'une thèse très surprenante. Dans sa description détaillée de l'Espagne, Strabon évoque pourtant des villes dont la fondation remonte aux Phéniciens tandis qu'en Gaule, César considérait Bourges comme une des plus belles villes, ou peu s'en faut, du pays. Ce n'est certainement pas le mont Beuvray qu'il faut choisir en exemple ; pour les Gaulois, c'était principalement une position militaire avec un casernement sommaire et quelques édifices religieux. Enfin, pour qu'il s'y trouve des traces de romanisation, encore faudrait-il que les Romains y aient mis les pieds. Je m'explique.

Napoléon III était pressé de terminer son ouvrage sur Jules César. Il lui manquait une pièce essentielle : l'emplacement de la capitale éduenne de Bibracte mentionnée par le général romain dans ses Commentaires. C'était l'époque où la société éduenne se déchirait entre une localisation à Autun ou au mont Beuvray. L'empereur opta pour le mont Beuvray. En 1984, les fouilles reprirent grâce à François Mitterrand. Le mont Beuvray sera alors proclamé site d’intérêt national et les fouilles seront subventionnées. Quatre ans plus tard y sera créé le centre archéologique européen : le musée en Saône-et-Loire, le centre de recherche dans la Nièvre (cf.wikipedia). Les fouilles seront alors européennes mais n'ont toujours pas apporté les preuves probantes que les archéologues attendaient. Ces archéologues en sont réduits à "un faisceau d'indices qui les amènent, selon eux, à une probabilité presque certaine". Comme preuve scientifique, avouez que cela fait un peu léger !

Et pourtant, dès l'époque de Napoléon III, des latinistes de la société éduenne avaient démontré que les textes interdisaient une telle localisation. Hélas, on ne tint pas compte de leurs avertissements. Il est vrai que leur localisation de Bibracte à Autun n'était guère plus crédible. http://www.mediterranee-antique.info/Auteurs/Fichiers/PQRS/Rossigneux/Bibracte/Bibracte.htm

Et pourtant, en mettant au jour, au mont Beuvray, des poteries boïennes, Joseph Déchelette aurait dû penser à l'oppidum de Gorgobina où César installa les Boïens après la fameuse bataille qu'il livra contre eux et les Helvètes ; et il aurait cherché Bibracte ailleurs. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/bibracte-la-decouverte-qui-tue-101713

Et pourtant, quand Strabon place Bibracte entre la Saône et le Dubis, il était tout de même assez facile de comprendre que le Dubis désignait à la fois le Doubs et la Dheune (Dubos > Dubina > Düenne > la Dheune : cf. Norbert Guinot, linguiste, "La bataille de Bibracte", page 93). Il fallait traduire, non pas "entre la Saône et le Doubs", mais "entre la Saône et la Dheune", ce qui excluait le mont Beuvray du territoire désigné. Erreur d'autant plus impardonnable que Strabon, dans sa vision de voyageur, dit la même chose pour les Ségusiaves. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/bibracte-au-mont-beuvray-une-104874

Loin de moi l'idée de dénigrer le mont Beuvray ! Pour un militaire possédant un minimum d'expérience et de sens du terrain, il saute aux yeux que c'était une position stratégique de premier ordre.

Cette position stratégique de premier ordre n'a pas échappé à l'oeil exercé d'Arioviste qui y a infiltré une troupe de 15 000 guerriers, d'où la première enceinte que les archéologues ont mise au jour. Lorsque l'armée gauloise, emmenée par les Eduens, a fait mouvement pour les attaquer, les Germains les ont devancés et les ont surpris alors qu'ils avaient dressé leurs camps à Mesvres, le Magobrium des chartes ; la logique de l'affrontement se devine sur le terrain comme le nez au milieu d'une figure. César a mentionné la bataille sous le nom de Admagetobriga. Il suffit de rajouter un g à Magobrium pour retrouver le Magobrigum originel, et le "ad", car l'usage était de dire qu'on allait à Magetobriga. La racine du mot étant, de toute évidence, le grand pont (de Mesvres).

Le mont Beuvray était une position stratégique. C'est bien pour cela qu'après leur défaite de Magetobriga, les Eduens ont fait appel aux Helvètes pour en déloger les Germains alliés aux Arvernes. Manifestement, les Helvètes se dirigeaient vers le mont pour le prendre d'assaut et s'y installer à la place des Germains, mais, cette fois, en alliés des Eduens. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/mais-ou-diable-la-bataille-des-66910

Mais lorsque César écrit que les Helvètes firent demi-tour, n'importe quel latiniste devrait comprendre qu'ayant modifié leur plan, ils tournaient désormais le dos au mont Beuvray. "Itinero converso" se traduit littéralement par "le cheminement ayant été inversé". Il faut vraiment ne rien s'y connaître en latin pour y voir un changement d'itinéraire, vers Montmort ou un autre lieu. Et si les Helvètes ont fait demi-tour, c'est pour s'en prendre à César qui n'arrêtait pas de les harceler sur leurs arrières. Poursuivi par les Helvètes, César écrit qu'il se dirigeait vers Bibracte, c'est-à-dire vers le Mont-Saint-Vincent. Comme l'a écrit Strabon, Bibracte - le Mont-Saint-Vincent - se trouve entre la Saône et la Dheune, à l'opposé du mont Beuvray.

Après avoir vaincu les Helvètes et les Boïens à Sanvignes, http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-extraordinaire-bataille-des-125313 César a renvoyé les premiers en Helvétie mais il a passé un accord avec les Boïens. La suite des événements en révèle les termes. Les Boïens se sont emparés du mont Beuvray pendant que César est allé régler son compte à Arioviste dans la plaine d'Alsace. De toute évidence, la mission que César a donnée aux Boïens était de surveiller le pays éduen et, plus tard, de l'empêcher de se rallier à l'insurrection de Vercingétorix. La deuxième enceinte mise au jour par les archéologues sur le mont Beuvray est probablement celle des Boïens. 

Ensuite, quand Vercingétorix viendra mettre le siège devant Gorgobina, c'est pour rallier les Boïens à sa cause. Quand César se met en campagne en plein hiver, c'est pour aller les secourir. Quand Vercingétorix redescend sur Nevers, cela signifie qu'il a réussi dans son entreprise. Quand César arrive à Nevers, il est trop tard. Alors, il modifie son plan et se dirige vers Bourges pour s'emparer de la ville. Le texte est d'une clarté aveuglante. César n'a jamais mis les pieds au mont Beuvray.

Position stratégique, le mont Beuvray avait tous les atouts pour être également un site mystique, une nouvelle olympe consacrée au séjour des dieux. La preuve est le nom de Montjeu - la montagne de Jupiter - que le massif a conservé au-dessus d'Autun, également les monnaies qu'on y trouve en abondance, sachant que les Gaulois en jetaient dans les bûchers funéraires.

Enfin, comment expliquer le nombre considérable d'amphores brisées qu'on y a découvert, sinon par le fait qu'il a bien fallu ravitailler les Germains puis les Boïens pendant leur séjour ?

Grandes enceintes, amphores brisées, monnaies, tels sont les arguments que donnent les archéologues pour justifier leur thèse de Bibracte au mont Beuvray. Or, ces trois arguments prouvent justement le contraire.

1. La force d'une capitale gauloise réside, non pas dans son étendue, mais dans la hauteur de ses murailles et de ses tours (23 mètres à Bourges ; la base de trois tours monumentales y a été mise au jour).

2. Il n'existe pas d'exemple de capitale gauloise se signalant par autant d'amphores brisées. Ce n'est donc pas un critère de référence, bien au contraire.

3. Il n'existe pas d'exemple de capitale gauloise se signalant par autant de médailles perdues, à l'exception d'un site : Corent en Auvergne, mais c'est un lieu sacré où se tenaient des festins funèbres. 

Les Bourguignons sont d'une crédulité incroyable. Parce qu'Augustodunum était le nom ancien de leur ville, les habitants d'Autun s'imaginent qu'elle a été fondée au Ier siècle par l'empereur Auguste. On a beau leur dire qu'en latin, l'adjectif "augustus" est un terme courant pour qualifier un site consacré, notamment à l'Auguste du ciel, on a beau leur dire que Strabon, si précis sur l'oeuvre d'Auguste, n'a jamais signalé qu'il ait fait quelque chose dans la région, ils ne veulent pas en démordre.

Ils s'attribuent la gloire d'habiter une ville qui aurait été honorée, dès cette époque, du titre de soeur de Rome, alors que ses murailles, ses portes monumentales et son théâtre ne datent que du IVème siècle, au temps de Constance Chlore. Ils ne veulent pas comprendre que leur ville n'était que la ville colonie d'une cité nommée "Augustodunum" dont la capitale/forteresse se trouvait à Mont-Saint-Vincent. Ils ne veulent pas admettre que les écoles moeniennes, c'est à Mont-Saint-Vincent qu'on en trouve la trace et que toutes les tribulations de l'Histoire, pillages, destructions, batailles, etc, c'est le Mont-Saint-Vincent qui les a connues. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/exceptionnelle-decouverte-103369 par exemple, le trésor de Gourdon.

Certes, en fondant le monumental Autun, Constance-Chlore avait bien l'intention d'en faire une ville capitale. Force est de constater qu'au temps des ducs de Bourgogne, c'était encore Chalon-sur-Saône qui l'emportait en tant que ville marchande.

La gloire d'Autun, c'est sa cathédrale. Encore faudrait-il que les Autunois la comprennent et qu'ils expliquent correctement aux touristes les merveilles qui s'y trouvent. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-tympan-de-la-cathedrale-d-autun-115239

Copie aux responsables politiques, culturels et médiatiques concernés qui, pendant ce temps, bayent aux corneilles.

Madame la Ministre de la Culture

Monsieur le Directeur de la DRAC Bourgogne
Monsieur le Président du Conseil régional de Bourgogne
Monsieur le Président du Conseil général de Saône-et-Loire
Monsieur le Président du Conseil général de la Nièvre
 
Monsieur le Député de S-et-L, 3ème circonscription, Philippe Baumel
MM. les Sénateurs de S-et-L, René Beaumont, Jean-Patrick Courtois, Jean-Paul Emorine
 
Monsieur le Maire de la ville d'Autun
Monsieur le Rédacteur en chef du journal de Saône et Loire
Monsieur le Directeur de FR3 Bourgogne
 
Il me semble qu'il est de votre responsabilité de faire en sorte : 
1. que la vérité soit établie dans cette affaire, une commission d'enquête faisant appel à des latinistes et à des militaires indépendants et compétents pouvant être une solution.
2. éventuellement, qu'une enquête soit diligentée afin de déterminer les responsabiltés aux différents niveaux du service public.
 
Emile Mourey
ancien officier de carrière
17 rue du château
71100 SAINT REMY
emile@mourey.com 

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