Moralisation politique : une chimère

par Michel Koutouzis
samedi 6 avril 2013

Plusieurs économistes, et pas des moindres, keynésiens mais aussi libéraux pure jus constatent que le capitalisme n’est plus que l’ombre de lui-même. Il est devenu pathétique s’insurge Michel Santi. Les keynésiens pointent son incapacité de penser la croissance et le prix de l’inégalité à payer - par tous - de ses dérives. Le prix Nobel Joseph Stiglitz les condamne dans sont dernier opus en soulignant que quand les valeurs universelles d’équité sont sacrifiés sur l’autel de la cupidité, le sentiment d’injustice se mue en sentiment de trahison. Certains libéraux, paradoxalement, pointent son manque d’objectifs, et, tout dernièrement et par ricochet son incapacité de planification. En effet, si les uns lorgnent vers le New Deal, les autres sont fascinés par le dynamisme et l’optimisme chinois, en oubliant un peu vite, qu’il n’existe pas dans l’Histoire un exemple de planification aussi rigoureuse du capitalisme comparable à celui de la Chine. D’autres en tirent les conséquences. Philippe Boche prône un capitalisme patient, et le libéral Daniel Pinto n’hésite pas (en prenant soin d’enrober le tout dans une critique idéologique du « déclinisme occidental ») à pointer comme maladie suprême la fascination de l’instant, ce qui est une manière élégante de parler de cupidité. Cependant il voit juste : la cupidité est un défaut humain. Par contre, la culture de l’instant (en en conséquence le manque d’anticipation, de programmation, d’objectif à long terme) est une tare structurelle non seulement de l’économie mais aussi d’une civilisation, la notre. Gagner à chaque seconde (désormais l’étalon de la finance), sacrifier le long terme au profit de l’instant, détruire pour gagner ne peut et n’a jamais été un objectif de société sauf pour les razzias, les sacs et autres faits de guerre que l’on nomme communément barbarie. Or c’est exactement à quoi on assiste, et, quelle que soit la manière dont les économistes parlent du phénomène, ils s’accordent pour la définir comme une caricature morbide : Le capitalisme occidental, explique Daniel Pinto, soumis au « court-termisme » pour penser à ses investissements et ses projets, baigne dans une utopie destructrice d’un présent perpétuel.

Dans mon ouvrage Crime trafics et réseaux, géopolitique de l’économie parallèle, j’écrivais, il y a bientôt un an (et sous le titre annonciateur Esprits criminels) : Un monde imaginaire se met ainsi en place, qui baptise marathon une course de cent mètres. Ce monde « crée » Lehmann Brothers (faux bilans, sentiment prométhéen), Madoff (culture de l’instant, extraction de soi-même des règles et des lois), Enron (corruption, prédation, sentiment d’impunité), la BCCI (proximité d’un milieu délinquant, escroquerie généralisée sur quatre continents), Fannie Mae (fuite en avant, profit immédiat d’une escroquerie « légale » prêts hypothécaires endossés en tant que produit financier), ou Siemens (corruption massive et systématique en vue de monopoliser un marché national).

Les économistes, bien ancrés dans leurs calculs et leurs analyses d’un monde formel qui part à la dérive, sont à des lieues des objectifs et de la mentalité criminelle. Celle-ci, pourtant envahit le monde de l’économie, justement à cause de la culture de l’instant, propre à l’esprit criminel comme l’avait définit le criminologue canadien Maurice Cusson dans ses travaux sur le présentisme. Si, en effet, le criminel « classique » a tendance à se considérer comme une « victime du système », contre lequel il se « révolte » par des pratiques déviantes et à s’extraire en conséquence de toute responsabilité, le « délinquant des élites », partie prenante du système, intériorise parfaitement les règles et les lois, mais, un sentiment prométhéen le persuade qu’il n’en est aucunement concerné. Souvent, il n’envisage même pas qu’il commet une faute ou même qu’il puisse en commettre. C’est ainsi que Bernard Madoff, après avoir été reconnu coupable pour escroquerie (juin 2009), a porté plainte contre la banque J.P. Morgan, pour avoir fermé les yeux « à sa propre escroquerie », considérant que celle-ci « ne pouvait pas ne pas savoir » et que donc, elle était « complice ». Dans sa plainte, il explicite : « Leur attitude était de dire : si vous faites quelque chose d’illégal nous ne voulons pas le savoir ». Le professeur Michael Levy, spécialiste des crimes à col blanc, ne dit pas autre chose quand il nous déclare « le banquier dépense énormément d’argent et d’efforts pour ne pas savoir  ». Cette quête d’ignorance du fait délictueux s’accompagne du sentiment d’appartenance à un milieu navigant loin des rivages (offshore), hors des murs protecteurs de la Cité mais aussi de ses lois. D’autant plus que le système financier propose aux heureux élus, en toute impunité, de délocaliser leur responsabilité, de défiscaliser leurs avoirs, et de leur permettre d’échapper à l’enfer qu’il a lui même créé en leur proposant l’école buissonnière citoyenne au sein des paradis fiscaux. Ainsi, se promeut une infantilisation éthique des élites, qui, pris (rarement) la main dans le sac, s’insurgent du sort de bouc émissaire que leur promet la cité à la dérive. 

Plutôt que de proposer des referendums sur la moralisation politique, nos élites infantilisées devraient apprendre à penser de manière autonome. Puis, de changer ce système économique infernal pour atteindre, enfin, l’âge adulte. 


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