Moraliser la politique ?

par Blaise
samedi 13 avril 2013

La morale est une réalité intérieure (subjective), qu’on la conçoive comme spontanée (innéisme) ou comme acquise (par l’éducation). On ne peut donc contraindre une personne à être morale, car la moralité n’est pas dans l’action mais dans les motifs de l’action : je ressens, ou non, l’obligation morale d’agir de telle manière, cela se passe entre moi et moi, et personne n’y peut rien. La loi civile est une réalité extérieure (objective), elle ne peut que s’appliquer à ce qui est extérieur (l’action), elle peut donc rendre l’action immorale coûteuse (punition) et ainsi dissuader de l’entreprendre, mais elle ne saurait rendre les sujets auxquels elle s’applique moraux. Si je suis un être moral, ce n’est pas parce que j’ai peur de la sanction que je m’abstiens du crime, c’est parce qu’il me fait horreur ; et si je m’abstiens du crime pour la seule raison que je redoute la punition, je ne suis pas moral pour autant, je n’ai pas été moralisé. Ainsi donc, une « loi de moralisation » est un non-sens, une pure absurdité démagogique. La loi qui sanctionne le meurtre est-elle faite pour rendre les citoyens plus moraux ? Bien sûr que non. De même, une loi qui réprime les abus rendus possibles dans et par une situation de pouvoir ne peut prétendre rendre moraux les acteurs politiques : la question n’est donc pas celle de la moralité, mais celle de la légalité, la fraude de Monsieur Cahuzac est sans doute immorale, mais, du point de vue de l’état, il suffit qu’elle soit illégale. Si l’on veut être sérieux, qu’on nous propose donc l’inéligibilité à vie comme sanction pour ceux qui trahissent la confiance par laquelle ils se retrouvent en charge de la chose publique. Après tout, n’est-ce pas là le plus grand crime concevable dans une république ?

 On pourra sans doute objecter que la loi, à force d’encadrer la vie, change les mentalités et rend les citoyens vertueux en créant ce que l’on nomme un habitus. C’est possible, mais cela ne devient vrai que si la vie est, pour ainsi dire, faite d’un seul bloc, sans contradiction aucune, comme on l’imagine de la vie dans les cités antiques. La vie moderne est bien loin de cette unicité, l’individu est tiraillé d’un intérêt à l’autre, il est individu avant que d’être citoyen, l’intérêt privé vient toujours contrebalancer l’intérêt général. S’agissant de la caste politique, que l’on pense seulement à toutes les trahisons, duplicités, mensonges et autres ruses qu’il faut mettre en œuvre pour arriver, à force de jouer des coudes, à une position en vue dans tel ou tel parti. Et l’on prétendrait qu’une simple loi suffirait pour rendre cette caste morale ? Quelle plaisanterie… A dire vrai, si l’on voulait moraliser la politique au vrai sens du terme, il faudrait que la société entière ne soit plus tournée vers le profit individuel, ce qui reviendrait à rompre avec le capitalisme. Les socialistes ont depuis bien longtemps abandonné ce projet, dans leur bouche, comme cet article voulait le montrer, une moralisation de la politique ne peut donc qu’être parole creuse, confusion des genres (morale et loi civique), rhétorique, bref démagogie. Le discours de la moralisation de la politique est donc, il semble bien, un discours immoral.


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