Mort aux jeunes !

par Manuel Atreide
vendredi 8 décembre 2006

Voilà que nous apprenons une information intéressante : en Seine-Saint-Denis, certains supermarchés et centres commerciaux seraient désormais interdits aux mineurs non accompagnés. Cette mesure viserait non seulement les mineurs seuls, mais aussi - voire surtout - les « groupes de jeunes ».

Un grand groupe de distribution au nom évoquant les équipements routiers invoque un "souci de sécurité" pour justifier ce nouveau règlement. Un article du Figaro rapporte que le président du tribunal pour enfant de Bobigny a jugé cette mesure "illégale" car fondée sur une discrimination par rapport à l’âge. Fait significatif, la rubrique dans laquelle est classé l’article est "délinquance".

Cet "incident" vient à la suite d’une longue liste d’autres faits qui, tous, témoignent d’un phénomène inquiétant. Notre pays a peur de la jeunesse. Pire, il ne l’aime pas - ou plus. Il la craint, dans certains cas, il la déteste. Phénomène paradoxal dans l’un des pays d’Europe qui possède l’un des plus forts taux de fécondité ?

Pas si sûr.

Il y a quelques jours, une responsable politique importante a été sifflée lors d’une intervention où elle tâchait de faire passer l’idée que la jeunesse n’était pas un risque mais une chance. Elle a été chahutée, bousculée, sifflée et cela, par les membres de son propre parti politique. Quelle est donc cette idée si dangereuse qu’on n’hésite pas à attaquer violemment un membre de sa propre famille politique ?

A la rentrée scolaire, nous avons vu dans les médias un certain nombre de reportages montrant la difficulté des enseignants. La plupart étaient d’une tonalité telle que l’on pouvait penser que ces pauvres professeurs n’étaient rien d’autres que des agneaux apeurés, lâchés sans défense au milieu d’une meute de loups. Deux ou trois événements dramatiques, notamment un tir dans une classe depuis l’extérieur sont venus accréditer la rumeur qui veut que désormais, les collèges et lycées sont des endroits dangereux. D’ailleurs, les règlements intérieurs visant certains détails des tenues vestimentaires se multiplient. Un presque candidat à l’élection présidentielle a même proposé qu’on interdise... les strings ! Qui va vérifier la bonne application de cette interdiction ?

Passons sur le CPE. Les manifestations contre ce projet ont été massivement organisées par les mouvements de la jeunesse estudiantine, mais l’accent était au moins autant mis sur les groupes de "jeunes casseurs" que sur les revendications des leaders du mouvement. Quand donc a-t-on fait autant de bruit médiatique autour des violences en marge d’une manifestation de viticulteurs ? A-t-on à ce point stigmatisé les pêcheurs lors de l’incendie du Parlement de Bretagne à Rennes en 1994 ? Comprenez-moi bien, je ne justifie en rien les violences. Je pointe du doigt les différences de traitement d’événements similaires.

Les émeutes de la banlieue parisienne de l’automne dernier ont été le théâtre d’un grand déballage médiatique sur la jeunesse. Le moins que l’on puisse dire, c’est que certains ont relâché bretelles et ceintures. Je n’ai quasiment pas vu d’interrogation sur ce qui aurait pu pousser deux adolescents à fuir les forces de l’ordre dans un état d’angoisse tel qu’il en sont venus à se réfugier dans un transformateur. Le propos était plus de chercher à savoir quels délits - voire crimes ! - ils avaient commis pour ne pas "avoir la conscience tranquille".

A cette occasion, combien ont appelé, vitupéré, vociféré la demande, parfois l’exigence, d’envoyer l’armée ? N’y avait-il pas derrière ces propositions ineptes l’envie plus ou moins consciente de "mâter" ces jeunes séditieux ? On a glosé à l’infini sur le coût de ces émeutes. A-t-on pensé à chercher ce que voulait dire l’acte de mise à feu de la crèche où vient chaque jour son propre petit frère ?

Depuis la rentrée, il ne se passe quasiment plus un jour sans qu’on ne parle de "violence des jeunes". Traquenard des forces de polices dans une cité par quarante, cinquante,ou même deux cents jeunes (oui, j’ai aussi entendu ce chiffre). Ce traquenard, finalement, n’en était pas un. Cela n’atténue en rien la gravité de l’attaque vécue par ces policiers, mais parler de "guet-apens", de "traquenard" dénote selon moi une vision hystérique du problème.

Que dire du triste anniversaire de ces émeutes dont je viens de vous parler ? Pendant presque deux semaines, les grands médias nationaux nous ont abreuvés d’images d’archives d’incendie, de rixes, de quasi-scènes de combats au cours desquelles les forces de l’ordre étaient attaquées frontalement. Finalement, le remake redouté - ou attendu - n’a pas eu lieu. Quelques bus ont brûlé. Dans un cas, une tragédie s’est nouée. Une jeune femme a été quasiment brûlée vive. Allez voir la teneur des propos tenus, par exemple, sur les forums de France2 , c’est édifiant. Pour autant, qui sait dans quel état est cette femme ? Qui s’en soucie encore ? Pour rappel, elle s’appelle Mama Galledou, elle a vingt-six ans et est française.

D’après l’enquête, les auteurs des faits étaient des gamins. Est-on en train, dans ce pays, d’élever une génération de psychopathes dénués de toute morale, de toute compassion, uniquement assoiffés de sang, de violence et de haine ? Qui peut sérieusement croire cela ?

Il est temps, comme le disait Alain Duhamel, dans une chronique du 2 novembre sur RTL, de parler vrai avec la jeunesse. Terminé le temps de la victimisation ? Je suis d’accord à 100%. Mais, en parallèle, il est temps aussi de faire le ménage ailleurs. De dire que les universités françaises ne sont plus en voie de clochardisation, mais qu’elles sont clochardisées. De dire que la jeunesse du pays affronte le fléau du chômage comme aucune autre classe d’âge. De dire que les violences policières, pour minoritaires qu’elles soient, existent quand même bel et bien. De dire que l’incivilité, ça passe aussi par le regard condescendant d’un adulte et le tutoiement qui vient tout de suite à la bouche lors d’un propos qui sera tenu, sans souci d’une quelconque politesse, en fait.

Il est temps de rappeler enfin que notre jeunesse est éduquée par ses aînés. Que les papys-boomers ne peuvent pas se laver les mains de ce qui est fait pour mieux hurler contre le comportement de la jeunesse. Qui, au demeurant, va payer leur retraite. Il est peut être temps de s’interroger sur cette classe d’âge qui aborde la soixantaine.

Que les seniors hurlent sur la jeunesse, cela ne date pas d’hier. Je n’ai qu’à vous rappeler ce film de 1983 avec Marlon Brando. Vous souvenez-vous de l’équipée sauvage ? Pour autant, je ne pense pas qu’on soit arrivés, même à cette époque, à un tel degré de méfiance, pour ne pas dire de peur.

De quels crimes la jeunesse française actuelle est-elle chargée ? Pourquoi ce regard si négatif, parfois si haineux ? Est-ce un cri de rage contre le temps qui passe ? Une révolte contre leur propre jeunesse, enfuie celle-là ? Je ne sais pas. Mais il est temps de chercher des réponses. Et d’apaiser la situation.

Nous vivons dans un pays qui n’aime pas sa jeunesse. C’est plus que dommage. C’est dangereux. C’est dramatique. Arrêtons ces discours démagogiques. Arrêtons ces mesures imbéciles qui ne peuvent que vexer des adolescents systématiquement refoulés dans une image de délinquance. Revenons à la responsabilité et au respect. Ce respect qu’on exige tant de la jeunesse, il est temps de se rappeler qu’il n’existe que dans la réciprocité.

Manuel Atréide.


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