Mort pour Facebook

par hommelibre
mardi 17 juin 2014

La rivière est Vilaine. C’est son nom. Elle coule en Bretagne. Une rivière, un fleuve au vrai, qui se noie dans l’Atlantique. De nombreux affluents lui donnent par endroits des profondeurs impressionnantes : jusqu’à 6 mètres de fond.

C’est le cas là où un jeune homme de 19 ans s’est noyé. Attaché à son vélo. Il répondait à un défi Facebook. Le nom du défi : « A l’eau ou au resto ». A l’eau ? Rien à voir avec Nabila. Le défi ? Se jeter à l’eau, froide si possible, avec ses habits ou quelque chose de spécial, et demander à trois amis de faire pareil. S’ils ne remplissent pas le défi, s’ils se « dégonflent », ils devront payer le resto.

Le jeune homme s’est fait filmer dans sa tentative - la vidéo devant ensuite être postée sur Facebook au titre de preuve de sa prestation. Il a plongé avec son vélo, attaché à sa cheville par une corde de un mètre pour ne pas le perdre. Il n’a ‘as perdu son vélo. Il a perdu la vie. Le vélo l’a emporté au fond. Mort noyé sous les yeux de deux camarades qui n’ont pu le sauver.

Il y a quelques temps un autre jeune homme a plongé dans la mer tête la première, dans un petit fond : il est aujourd’hui hospitalisé, peut-être paralysé à vie.

Le désir de se mettre en danger ou en scène fat partie d’une création de son identité et d’un dépassement de soi. A 17 ans les adolescents Masaï vont lutter contre un lion avec une simple lance : rite de passage de l’enfance à l’adulte. Ici, sur Facebook, on trouve certainement un même élan à se surpasser, mais l’enjeu est nettement moins grandiose. Se jeter dans l’eau vous fait éventuellement gagner un repas au restaurant, pas une considération sociale ni un diplôme de survie. A moins d’en mourir, les héros sont petits bras. Mais bon, c’est parfois par le petit qu’on apprend le grand.

Si le désir de dépassement et le besoin de prouver socialement sa valeur sont très humains, rien n’empêche de répondre à des défis avec un minimum de réflexion. Si l’on me mettait au défi de courir un marathon, je déclinerais l’invitation. Je ne tenterais même pas de m’entraîner. Ce n’est ni dans mes ambitions ni dans mes capacités. Pas cap pour ça.

Dans ce défi Facebook, le fait de nommer trois autres personnes doit être considéré comme un voeu, pas comme une contrainte. Car non, nous ne sommes « pas cap » de tout. Et il n’y a aucune honte à cela. Nous n’avons pas plus l’obligation de payer le resto si nous ne remplissions pas le défi. L’injonction nominative n’a aucune valeur si nous n’en avons pas décidé par nous-même. Nous restons libres de choisir le domaine que nous estimons assez important pour mettre notre vie en danger.

Dans ce défi FB, avec des vidéos mises en lignes, les héros ne sont pas ceux qui se jettent dans l’eau froide. C’est inconfortable mais pas impossible. On oublie vite ceux qui sautent et que nous ne connaissons pas. Les amis du réseau ne sont pas des amis mais des modules viraux. Le héros c’est le réseau lui-même qui rend viral et diffuse rapidement des exploits qu’un groupe aléatoire a décidé. Le réseau est visité, les créateurs du défi font le buzz, et les internautes regardent défiler les vidéos l’une après l’autre. L’exploit, si c’en est un, est bien plus de réunir autant de gens pour un enjeu assez maigre que de plonger sans réfléchir.

Il serait intéressant de savoir si, depuis ce décès, la page a été davantage visitée. Page qui pourrait être sous-titrée : « A l’eau ou au resto, ou mourir pour Facebook ». Ça a quand-même plus de gueule, non ?

Image Ifremer, la Vilaine


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