Moyen-Âge : la féodalité, un système mutualiste

par hommelibre
samedi 22 décembre 2012

Quelques mots encore sur la féodalité, système politique en vigueur pendant des siècles à partir du Moyen-Âge central. Le seigneur avait la fonction de rendre la justice et de défendre militairement les habitants. Ils était aidé par ses hommes d’armes, des hommes libres qui faisaient allégeance au seigneur pour le servir : les vassaux. La vassalité impliquait des devoirs et des droits stipulés par un contrat oral connu de tous et établi devant témoins.

 

La société médiévale française était à la fois horizontale et verticale. Horizontale : décentralisée, aux centres de pouvoir multiples, et verticale : hiérarchique, certains nobles étant dotés de pouvoirs plus étendus que d’autres et ayant autorité sur eux. Le vassal disposait d’un fief, généralement une terre dont il devenait propriétaire ou qu’il exploitait à son compte grâce aux serfs qui y vivaient. Le serf étant attaché à la terre (le servage concerne en effet la terre et non l’homme) il changeait de maître quand un vassal en prenait la propriété ou l’exploitation. Ce qui a pu faire dire que le serf était la propriété -entendez l’esclave - d’un maître. Un des thèmes de la "Légende noire" du Moyen-Âge. Or les serfs n'étaient pas des esclaves.

Si l’on croit à cette fable qui décrit les seigneurs comme brutaux et cruels, disposant de leurs serfs comme ils l’entendaient, les seigneurs se seraient tant affaiblis qu’ils auraient perdu leur seigneurie. Pourquoi ? Pour la raison de confiance brisée et de mutualité non respectée. La société médiévale ne vivait, comme toute société, que par un contrat moral tacite de confiance. Elle était très maillée : les gens étaient proches les uns des autres et non dispersés en pleine campagne. Chacun savait ce qui se passait à côté de lui. Les exactions n’auraient pu être ignorées. Les paysans nourrissaient les seigneurs qui, en échange, leur assuraient leur protection. Des serfs malmenés n’auraient plus accepté de travailler pour un seigneur brutal au comportement arbitraire et cruel. Le système féodal, loin d’être une dictature, assurait ainsi sa propre limitation et sa police. La société médiévale était mutualiste, l’interaction des différents corps sociaux assurant l’équilibre de l’ensemble, à la différence des sociétés centralisées actuelles où le pouvoir et son contrôle sont entre très peu de mains.

Nous avons vu dans le précédent article qu’un serf pouvait changer de seigneurie, moyennant une taxe. Sans serfs le seigneur aurait perdu sa subsistance. Ses vassaux l’auraient désavoué. S’il a existé des seigneurs cruels, ils n’ont jamais pu survivre très longtemps sans qu’un autre seigneur - son suzerain hiérarchique - ne les rappelle à l’ordre ou ne les combatte. L’église elle-même ne pouvait cautionner des comportements immoraux au risque de perdre son influence. Or, de sa bonne parole et de sa position juste et morale dépendaient les dons dont elle vivait.

L’église n’avait pas d’activité économique en elle-même, hormis la location des domaines (que les moines avaient défrichés) à des serfs. Elle a aussi vécu sur les dons : dons pour les messes à intentions, mais aussi pour soutenir les nombreuses écoles religieuses et les institutions caritatives et les hôpitaux dont elle se chargeai. L’Etat n’existant pas à ce niveau, le social était l’apanage des religieux. Elle s’est ainsi enrichie au cours des siècles, ce qui lui a permis de diffuser le savoir et la culture à travers l’Europe et progressivement de contribuer à unifier le droit, à mettre fin aux mariages arrangés, à participer à la prospérité générale du bas Moyen-Âge. La construction des cathédrales - en plus des châteaux-forts et de remparts de protection - en atteste. Les ouvriers étaient-ils des esclaves ? Voici ce qu’en dit l’historienne réputée Régine Pernoud dans Le Moyen-Âge : pour quoi faire ? :

« Reste qu'on entendait encore, il n'y a pas si longtemps, des assertions simplistes : les cathédrales gothiques, par exemple, ne pouvaient avoir été bâties que par des esclaves, comme les pyramides, ou par de pauvres hères corvéables à merci. Mais nos archives recèlent trop de rôles de paiement d'ouvriers libres et salariés pour laisser la moindre place à une telle hypothèse. Elle pouvait venir à l'esprit des gens aux XIXe et XX siècles, lorsque, même si l'on avait aboli l'esclavage (ce qui fut fait, on le sait, en 1848 pour ce qui concerne les possessions françaises outre-mer), on avait conservé le travail forcé, la corvée : c'est-à-dire que les masses de main-d'oeuvres transplantées, par exemple pour la construction du barrage du haut Niger, n'étaient pas payées et devaient être nourries par leurs familles pendant tout le temps de ce travail. Le travail forcé dans les territoires d'outre-mer n'a été aboli qu'en 1946 (loi du 5 Avril 1946) par le général de Gaulle. On peut se demander si l'on en célébrera le 40e anniversaire comme on a célébré celui du Débarquement. Quoi qu'il en soit, n'était-ce pas pour "se dédouaner" inconsciemment qu'on le croyait partout pratiqué durant l'époque féodale ? »

On a reproché à l’église - à juste titre - la période de l’Inquisition. La cruauté et les débordements furent certes insupportables dans une société morale et organisée. On ne peut chiffrer réellement combien il y eut de morts sur les bûchers. Probablement moins que l’on n’imagine : les confiscations de biens étaient beaucoup plus nombreuses que les condamnations à mort. L’inquisition étant un thème à part entière je ne développerai pas plus ici.

On a également stigmatisé l’église pour le massacre des albigeois. L’hérésie des Cathares fur noyée dans le sang et dans le feu des bûchers. L’église romaine et le pape de l’époque ont probablement craint cette concurrence spirituelle. Mais cette hérésie était somme toute très limitée en nombre d’adeptes. Pourquoi en faire un tel exemple ? Parce que derrière le motif religieux se cachait un motif politique : la conquête du sud. La croisade a permis au royaume de France et aux seigneurs du nord de s’emparer du Languedoc, puis par mariage du Comté de Toulouse, et plus tard des régions de Narbonne et Albi. Pendant ce temps un frère du roi Louis IX occupait la Provence et s’empara du royaume de Naples et de Sicile, en éliminant au passage la dynastie adverse de Frédéric II, dont la papauté s’était fait un ennemi. 

On met en faute l’église d’alors des décisions et massacres, mais ils servaient bien plus le pouvoir politique que religieux. La royauté française allait peu à peu vers la monarchie absolue et vers un pouvoir étendu et centralisé. Rappelons-nous que personne n’a vraiment été choqué de la proclamation de l’Empire par Napoléon, juste après la révolution. Quel paradoxe !

Une autre fable sur le Moyen-Âge est celle des femmes considérées comme des sous-humaines et n’ayant aucun statut social. Le discours féministe déjà cité ici a pris de l’ampleur. Deux auteurs, Marie-Christine Morin et Mélissa Théroux-Fontaine, affirment sans documenter qu’« Au Moyen-Âge, dans les pays européens, la femme ne possède aucun droit ; elle n’est donc absolument pas à l’abri de toutes formes d’agressions sexuelles ou de viols. À cette époque, le viol est une réalité quotidienne et il est considéré comme un art de vivre. » Il s’agit dans leur texte d’accréditer un peu plus la thèse victimaire universelle, fondement d’un féminisme marxisant, hostile aux hommes et falsificateur de l’Histoire.

Régine Pernoud a étudié dans les détails le Moyen-Âge et écrit ceci dans l’ouvrage déjà cité :

« Si l'esclavage est aujourd'hui interdit, en principe en tout cas, il semble qu'il y ait beaucoup à faire pour amener la situation respective de l'homme et de la femme à l'équilibre qui a caractérisé notre civilisation féodale. Car les droits que la femme exerce alors, en tant que telle, la rendent pratiquement autonome. Les deux partenaires jouissent de droits et de devoirs très différenciés, qui font d'eux des égaux, bien que très dissemblables. »

Elle continue :

« La tendance aujourd'hui en Occident serait de confondre égal et semblable, de nier contre toute évidence des différences essentielles, de ne concevoir l'égalité que dans la similitude, ce qui relève d'un raisonnement assez sommaire auquel les faits apportent un démenti constant. Une publicité qui paraissait assez souvent à la télévision dans les années 82-83 montrait une jeune femme et un jeune homme arrivant ensemble au bout d'une même course d'obstacles, cela pour appuyer les revendications de travail égal, salaire égal ; image particulièrement mal choisie, car dans certaines catégories de sport, aux jeux Olympiques, aucune femme n'obtiendrait la moindre médaille si elle participait aux mêmes épreuves que les hommes ; publicité mensongère donc. »

Régine Pernoud rappelle combien la condition des femmes était avancée au Moyen-Âge. Le christianisme y a contribué, par l’égalité devant Dieu et en établissant une symétrie dans le couple : « Que le mari rende à la femme ce qui lui est dû, et pareillement aussi la femme au mari. La femme n’est pas la maîtresse de son corps, il est à son mari. De même l’homme n’est pas davantage maître de son corps, il est à sa femme » Qui a écrit cela ? L’apôtre Paul (I Cor. VII, 3-4). Cette symétrie était une véritable révolution culturelle mutualiste.

C’est à la Renaissance, période supposée « humaniste », qu’une misogynie s’est développée, limitant les droits des femmes, et après un XVIIe siècle plus féminin cela culmina au XIXe siècle. Toutefois il ne faudrait pas conclure que les hommes avaient tout pouvoir. La majorité d’entre eux appartenant aux classes sociales dépourvues de pouvoir et de biens, leur sort du point de vue juridique n’était guère meilleur.

La Légende noire a été inventée et a servi entre autres à un transfert des biens, richesses et pouvoirs de la noblesse et l'église vers la bourgeoisie. La révolution française était une révolution bourgeoise. Elle n'a pas aboli la racine même de la domination. Elle a contribué à mettre fin au système décentralisé et mutualiste de la féodalité pour instaurer un Etat central dirigiste et autoritaire, suite logique de la monarchie absolue.

Sources : Régine Pernoud, Jacques Heers.


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