Mystère en patagonie : 9,5 tonnes d’or au fond de l’eau

par morice
jeudi 30 avril 2009

Vous le savez, j’adore les histoires de pirates. Oh non, pas ceux de Somalie, pour lesquels j’ai disons un autre regard que celui de la presse actuelle. Non, pour les pirates et les chercheurs de trésor. Ou les renfloueurs de bateau qui ont sombré au fond des eaux, chez lesquels il peut aussi avoir des pirates. Mais d’un autre genre, disons car il existe semble-t-il des faux et des vrais pirates. Je vous avais aussi parlé du Koursk, il fut un temps. En ne citant pas ou prou il me semble la société qui l’avait renfloué... en cisaillant tout son avant, resté au fond de l’eau pour des raisons que j’ignore et qui ont provoqué bien des spéculations. La société s’appellait Mammoet, elle était hollandaise et a déjà pas mal de choses de ce genre à son actif étant donné qu’elle est spécialisée dans les convois exceptionnels. Les grues gigantesques, c’est elle. C’est elle aussi qui c’était chargé du Tricolor, ce bateau-porte voitures qui s’était couché dans le détroit. Lui aussi avait été découpé en août 2003 et remonté en 9 tranches, les infortunées voitures découpées elles aussi par le terrible câble saucissonneur diamanté. Chez Mammoet, ils ont l’art de manipuler tout ce qui est grand, avec des engins assez étonnants, comme le montre leur vidéo promotionnelle. Vraiment bluffante. Du grand art industriel, expliqué dans des dépliants d’entreprise drôlement bien fichus (attention c’est assez lourd à télécharger). Sûre d’elle, l’entreprise s’est fait construire un immeuble assez renversant aussi pour servir de siège social. Elle n’est pas la seule sur le créneau, il y a également Dockwise, elle aussi hollandaise, spécialiste des transports... de sous-marins (ou de bateaux) grâce à ses étrange navires semi-submersibles, comme le Transshelf. Qui a déjà pris sur son dos des engins tels que des sous-marins de la classe Kilo, le K-147 et le K-370, deux sous marins russes retirés du service. Dans le même genre, la firme Clockwise possède aussi la taille au dessus : le Blue Marlin (et son sister ship le Black Marlin), qui a ramené aux USA l’USS Cole après son attentat. Très impressionnant, comme dimensions ! Mais aujourd’hui, c’est Mammoet qui revient faire la une des journaux, mais pour une histoire qui vaut son pesant d’or, c’est le cas de le dire (16.5 millions de dollars exactement au cours du jour). Malheureusement, une somme qui ne la concerne pas vraiment... Mammoet vient en effet de voir s’échapper un contrat juteux, contrat conclu à la suite d’événements bien mystérieux pour tout dire. 

Ça commence très loin de la Hollande par une histoire assez banale, celle d’un mine d’or argentine. Le pays est quinzième producteur mondial d’or, et ne désespère pas de finir dans les dix premiers avant 2011. Les argentins, depuis quelques années ont en effet un peu oublié leur soulier d’or et ses buts marqués de la main pour creuser comme des fous à la recherche de l’or véritable. Comme des fous, car c’est simple, la production argentine de métal jaune a augmenté de 6 000% de 2003 à 2008 !!! Les argentins, mais ils ne sont pas les seuls. Des concessions ont été accordées à d’autres pays, dont les Etats-Unis et l’Angleterre. Ce jour là, le 14 janvier, un tout petit bateau, le Polar Mist (brouillard polaire !) un petit rafiot chilien ressemblant à un joli petit remorqueur (c’est en fait un ancien chalutier) a quitté Punta Quilla et sa mine d’or, pour se rendre à Punta Arenas, au Chili. Situé en plein Détroit de Magellan, et où il n’y aurait que des pingouins et des chercheurs d’or, paraît-il. Il appartient à la firme Isla del Rey, et n’est plus vraiment de première jeunesse. De là, il devait remonter vers Valparaiso, pour y déposer son chargement de minerai déja converti en barres jaunes. 474 barres à bord, voilà qui doit faire une bonne palette à transporter. Direction ensuite l’aéroport de Santiago, via la route, pour un vol vers la Suisse. Terre d’accueil, de travail et de lingots, c’est bien connu. Demandez donc à UBS ce qu’il en pense !

Surprenant, se dit-on, que ce vieil esquif datant de 30 ans puisse servir de convoyeur d’or, mais le navire était un habitué de ce type de transport apprend-on : il fait ça depuis six années déjà, car il est affrété par la plus grande mine argentine : Cerro Vanguardia, et doit aussi prendre au passage de l’or et de l’argent des Mines Triton. Cerro Vanguardia est en fait une mine anglo-américaine, qui a le droit d’exploiter le gisement depuis 1996, pour une durée de 40 ans. "Cerro Vanguardia SA was formed in December 1996 with rights to explore and exploit the property for 40 years. AngloGold acquired the 46.25% Anglo group interest in 1998–99 and the equal Perez Companc holding in 2002, then merged with Ashanti Goldfields to form AngloGold Ashanti in April 2004. Fomicruz has a 7.5% carried interest."  Une exploitation tradtionnelle, à coups d’explosifs, de gros camions et de tamisage, pas toujours facile en 24 heures sur 24 : "Mining is conventional drill-and-blast, with a load-haul fleet of medium-sized equipment including Caterpillar 988 wheel loaders. Despite the harsh semi-desert climate, with –20°C winters, Cerro Vanguardia mines around the clock, all year". Extraire l’or, c’est impliquer aussi pas mal de problèmes environnementaux, ne l’oublions pas. A bord du frêle esquif, sept marins et un seul passager, qui accompagnent 9,5 tonnes d’or au fond de la cale, pas moins. Oui, vous avez bien lu, presque 10 000 kilos d’or pur (en réalité dedans il y a environ deux tonnes d’argent). Jusqu’ici tout est normal, me direz-vous. Mouais. A part que le tonnage peut surprendre quand même : en or, ça dépasse le tonnage annuel d’extraction de la mine ! "The annual production target was originally approx. 6t of gold and 60t of silver. During 2000, some 365,000 milled tonnes yielded 4,101kg of gold at a cash cost of $146/oz. Production fell to 193,000oz in 2002, recovered in 2003, and increased again in 2004".Un bateau minuscule donc, sans aucun garde spéciale, sans aucune escorte, pour convoyer la production d’une année de mine d’or dans un détroit maritime réputé dangereux ? Alors que les bulletins météos existent et qu’on savait qu’ils étaient mauvais dans les jours à venir ? Avec qui a-t-on joué là ? Avec la Terre de Feu ?

Car dès le lendemain, le bateau est pris au milieu d’une très violente tempête... en plein Détroit de Magellan au point que l’équipage, repéré par un Orion P-3 de la flotte aéronavale argentine, demande d’être secouru au plus vite par les hélicoptères des gardes côtes argentins. Des gens plutôt efficaces, arrivés vite sur le site de ce qui pourrait devenir très vite un naufrage catastrophique : les infortunés marins enfilent tous leurs combinaisons de survie... et sont hélitreuillés. Déjà, là, on s’inquiète un peu... pour la cargaison. "A las 13.50 finalizó el rescate de los tripulantes Patricio Olivares Huerta (capitán), Sandro Campos Matus, Omar Álvarez Aro, Juan Navarro Ramírez, Demetrio González Valdebenito, Enrique Oluc Foschino, Pedro Galindo y el pasajero Rolando Norambuena Pavez quienes fueron evacuados a bordo del Sea King hasta Río Gallegos donde recibieron las atenciones correspondientes" dit un journal local. Tous sont grimpés à bord d’un Sea-King argentin dépêché sur place, et le bateau laissé à la dérive. Etrange.

Pire encore : ayant décrété que le navire devrait polluer en restant sur place (?) , on laisse son moteur en marche, la barre ayant été fixée pour lui faire faire des cercles. Deuxième surprise, car le bateau fait 23 mètres de long et les creux font 10 mètres. Le laisser faire des ronds est-il vraiment plus efficace que de le laisser dériver ? La troisième, c’est la présence pendant tout le sauvetage d’un remorqueur chilien, le “Beagle", venu en renfort précipitamment. Qui tente alors de le faire tenir un cap, en le tirant ....vers le Chili ! Le remorqueur est vigoureusement prié par radio de le faire plutôt vers Rio Gallegos, en Argentine. C’est finalement ce qu’il se décide à faire, et il y arrive en à peine deux jours. Seulement voilà : ce jour-là les bateaux de pêche du port sont de sortie, dans une zone de pêche à une quarantaine de km des jetées, entre Punta Loyola et le phare du cap Virgenes, et il est interdit de s’approcher du port, car on coupe alors à coup sûr leurs filets. Le Beagle et sa proie arrivent et attendent donc leur tour, et c’est le mauvais moment que choisit le Polar Mist... pour couler, en eau calme, avec toujours à bord ses 9,5 tonnes d’or. Enfin, on suppose. Etrange naufrage : le bateau a survécu à des creux de 10 mètres mais a sombré sur une mer d’huile ?

On comprend alors pourquoi je vous parlais au début de Mammoet. C’est eux qu’appellent les assureurs, dont la Lloyd’s, pour tenter d’aller pêcher à 75 m de profondeur le fabuleux trésor. L’idée est donc bien de relever toute l’épave, palette d’or comprise ! Mammoet affrète aussitôt un énorme navire spécialisé, le Skandi Patagonia, de DOF Management AS, des norvégiens, alors au service du groupe pétrolier Total (chez qui il sert de ravitailleur de stations de forages en mer) . Total est depuis 1978 en Argentine, et passe des accords avec d’autres sociétés, parfois, ayant découvert depuis des gisements plus rentables, notamment en Terre de Feu. En février dernier, Total signait encore des contrats dans ce sens "Total annonce avoir signé avec les autorités argentines un accord pour l`extension de dix ans (de 2017 à 2027) des concessions Aguada Pichana et San Roque situées au Nord-Ouest de la Patagonie, dans la province de Neuquen". Au pays où on donne le nom de Fangio a un indice d’octane... Le Skandi Patagonia est une fort belle bête de mer, au demeurant. Et quand on dit qu’il est affrété tout de suite, c’est un peu faux : entre le naufrage et la demande de récupération, il s’est déjà passé un mois. Un bon mois pendant lequel personne n’a rien su de ce naufrage, ce qui peut se concevoir à connaître sa cargaison, mais intrigue néanmoins. Cela, ajouté au surprenant comportement de l’équipage, laisse après coup plutôt songeur. Faut-il tant de temps pour déclarer un naufrage ? L’affaire paraît déjà bien étrange...
 
Mais attendez, ce n’est pas fini ! dernier coup de théâtre, les plongeurs de Mammoet se déclarent subitement en grêve illimitée... à moins qu’on ne se décide à leur graisser un peu la patte. Avec la "rémunération spéciale" qu’ils exigent pour aller chercher le trésor englouti. Patatras : le Skandi Patagonia, qui coûte si cher à déplacer, ne va pas faire un rond de plus dans l’eau en attendant que ça se décoince syndicalement chez les hollandais (comme quoi il n’y a pas qu’en France !) : l’opération est tout simplement annulée par la Lloyd’s le 21 avril dernier . Enfin faire des ronds, pas exactement non plus : l’engin est doté de 6 hélices au total, et sait se positionner exactement au dessus d’un endroit et y rester, quelque soit l’état de la mer, et c’est pourquoi il coûte si cher à louer ! Les plongeurs récalcitrants ont dépassé le temps de location du monstre rouge de 92 mètres de long hyperdoué, Total le réclame à nouveau, le pétrole de la Terre de Feu, il est vrai, ça n’attend pas.
 
On en est aujourd’hui là, avec près de dix tonnes d’or sous 75 mètres de fond. Et pas un navire spécialisé sous la main. Et pas mal de mystères qui subsistent. Celui du trajet initial déjà : pourquoi passer par le Chili ? Celui du bateau, ensuite, construit en 1979 par Martec à Coquimbo sous le numéro 7946289. La firme a toujours fait dans le petit navire, mais pour la recherche océanique comme avec le "Carlos Porter" construit dans les années 70. Peut-on assurer un transport aussi important dans pareilles coquilles de noix, dans un endroit du monde ou gisent 350 épaves, dont celles des bateaux de Magellan ? Des coquilles comme celles de Puerto Natales ? N’est-ce pas prendre un risque trop grand ? Celui de l’équipage ensuite, qui quitte un peu vite semble-t-il un bateau qui en a vu d’autres et décide surtout de laisser son moteur en marche : est-ce voulu ou les marins se sont trouvés dans l’incapacité de l’arrêter, sachant qu’il finira par le faite faute de fuel ? Enfin celui du mystère de l’action véritable du Beagle, qui a bien dû s’approcher du navire. Ne serait-ce que pour lui passer une élingue ou arrêter son moteur ! Le Beagle en aurait-il profité pour chaparder le contenu qui l’avait tant intéressé ? Et, enfin, du délai qu’auront mis les assurances pour se décider à investir 3 millions de dollars pour ne pas avoir à en verser d’avantage en dédommagement. C’est en effet le prix des recherches et le tarif certainement de Mammoet. Et dernière inquiétude pour elles comme pour la mine d’origine : l’or est-il encore au moins au fond ? Personne n’avait donc songé à munir la palette d’or d’une balise émettrice ? Il semble qu’on ait agi avec énormément de légèreté avec ses 16,5 millions de dollars qui ne savent évidemment pas flotter...

On peut déjà en douter, en effet, de la présence au fond de ce tas d’or. Fin février, on apprenait qu’une autre entreprise avait été contactée par les assureurs : Sermares Nautilus, une chilienne. "Il serait très intéressant d’aborder la tâche. Oui, nous avons été contactés pour prendre en considération si nous avons le matériel et la capacité à trouver le navire et plus tard de récupérer les contenants avec le métal  », affirme Ayarza Francisco, le gérant de la société de sauvetage qui a déclaré cela à La Prensa Austral de Punta Arenas, dans l’extrême sud du Chili La compagnie en vaut bien une autre, équipée de rovers tout ce qu’ll y a de plus moderne.. mais on laisse l’option relevage pour tomber dans l’option vérification seulement : "La compagnie a été impliquée dans l’exploration et de récupération sous-marine depuis 1959 le long de la côte chilienne et de ses équipements sophistiqués est sous contrôle à distance des véhicules, ROV Seaeye 600 et le ROV Seaeye Tiger. Elle comprend plus de 600 immersions, des deux côtés de la côte de Patagonie (Argentine et Chili) et Tierra del Fuego". Nautilus a-t-il été contacté pour dresser le bilan d’une disparition pure et simple de l’or ? Elle est spécialisée dans la recherche, mais pas dans le relevage ! La Llyod’s en serait-elle déjà à ne plus songer qu’à aller vérifier la présence ou non des lingots au fond ? Et si Odyssey s’y était déjà mis en route, à la recherche de cette épave ? La firme dont nous avons déjà expliqué les méthodes disons surprenantes... mais efficaces. Elle en avait remonté 17 de tonnes d’or, en monnaie de galion. Transportées au final dans l’avion particulier de l’entreprise. La moitié ou presque est largement à sa portée... à part que la zone de naufrage doit être étroitement surveillée depuis par la marine argentine, du moins on l’espère. Il va bien y avoir quelqu’un pour louer le container de Thether Management Systems, prêt à plonger à 80 mètres, non ? Et au fait, le fameux Skandi Patagonia en possèdait bien un à bord, de ROV... un système Argus, datant de 2000. "A brand new multi-purpose support vessel, the "Skandi Patagonia", is Argentina bound with a shiny new ROV system aboard. ALL OCEANS were contracted by the Norwegian ROV manufacturer ARGUS Remote Systems of Bergen to supply a TMS and Launch and Recovery System to suit their electric work class ROV" nous précisait en effet à l’époque un spécialisé, All Oceans.

Reste alors à échafauder des théories : sur le net, celle de l’escroquerie à l’assurance fait florès. On comprend mieux pourquoi en ce moment même, des plongeurs de Semares Nautilus s’apprêtent à faire un tour, eux ou leurs robots, au fond de la mer, à fouiner dans les vestiges d’un bateau qui gît pas loin d’un endroit célèbre. C’est ici le 21 octobre 1520 en effet que Magellan apercevait le Cap Virgenes, qui marque l’entrée du détroit qui allait porter son nom, ouvrant la route du Pacifique et du tour du monde. Un an après il mourrait sous les coups des indigènes, dans les Philippines. Mais ça c’est une autre histoire. Qui n’a jamais été un mystère, elle.

 

 

 

 

 

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