Mythologie de la cabane en marche, et de l’an 01
par velosolex
mardi 30 avril 2019
L'émergence des cabanes est une nouveauté sociologique du paysage ! Qu'elles soient construites par des gilets jaunes, des zadistes, des amoureux, ou des marginaux, elles apparaissent comme les symboles d'un nouveau mode de relation au monde. Revient en écho les années 70, et les utopies, qu'on avait oubliées. Mais elles mêmes ne s'inspiraient-elles pas de courants plus anciens ?
" Il n’y a personne, il y a tout le monde. On ne sait pas, ça prend comme une mayonnaise ! " Constate dans « l’an 01 » un conseiller éberlué du président. Un film datant de 1973 mais qui nous parle bien mieux des manifestations actuelles que certains analystes. Cette année là, Gébé, Doillon, Alain Resnais, Jean Rouch, et l’équipe d’Hara Kiri sortent un film étrange, une utopie apparemment absurde et déjà écologiste s’appelant. « L’an 01 ! » avec un slogan résumant la pensée de l’œuvre : « On arrête tout et on réfléchit ! »….( Film complet : https://bit.ly/2IMSDLd )
« Alexandre le bienheureux » d’Yves Robert, a été tourné en 67, et « Les valseuses », de Bertrand Blier en 74. Deux films, qui s’ils ne donnent pas de message politique, s’attaquent aux valeurs « bourgeoises », dont le symbole à cette époque est la DS Citroën. Mais le sens du collectif, de la lutte en sont absents. Cet esprit frondeur disparaîtra peu à peu du paysage, et Michel Polac, animant « droit de réponse », en 1981 en sera une des dernières figures, avant d’être jugé trop impertinent et son émission trop scandaleuse. L’utopie et le social, furent vilipendés, ringardisés, quand on ne désigna pas carrément l’hédonisme, et l’esprit alternatif de 68, comme responsable de la crise. Refrain connu : Déjà en 40, Pétain avait rendu responsable le front populaire de la débâcle...
Les cabanes sont au beau milieu du rond point. Un assemblage astucieux de planches de récupération, et de matériaux de chantier. On se croirait dans une scène de « l’an 01 ! Le même univers enfant et bucolique. Les hommes et femmes de tous âges, un microcosme de la France profonde, ont tenu tout l’hiver, avec bonnets et écharpes, se réchauffant au moins autant de leur présence mutuelle que de feux de palettes, et de grandes tasses de café. Certains sympathisants klaxonnent en passant devant, et les « gilets jaunes » répondent, en levant la main.
C’est qu’ils ont reconnu ce vieux rêve libertaire, surgi brutalement de leur enfance. Un après midi, avec une bande de copains du quartier, ils étaient partis dans ce petit carré de forêt qui résistait à l’agrandissement des lotissements. Ils avaient dix ans, cet âge de grande maturité, où l’on est devenu assez malin pour comprendre l’essentiel, et pas encore assez vieux pour se faire avoir par les hormones, vous écrasant l’intelligence et le discernement.
Que veulent exactement nos gilets jaunes, mouvement sans structure interne établie ?.. Certains se rassureraient d’un leader, avec sa liste de revendications précises, rassurante. L'émergence de ces fleurs sauvages n'est elle pas liée à une crise de civilisation profonde, et à une volonté de changer radicalement la vie ?
A dix ans, on se laisse pas avoir ! Le futur n’existe pas. On n’est pas encore Narcisse perdu dans le miroir de son smartphone. L’éternité à la durée des grandes vacances. Les pieds ne touchent pas par terre quand on s’assoit. On a encore la tête dans les nuages ! Être une sorte de gnome permet de se glisser encore dans tous les trous de souris. Il faudra attendre parfois bien longtemps dans sa vie d’adulte pour retrouver les saveurs de l’enfance, le goût de la cabane et du dépouillement.
Nous reviennent nos rêves d’enfance, comme un balbutiement, nous rendant amers nos trahisons, et nos renoncements. Quel a été le sens de notre vie ?.. Ne somme nous pas passé à coté de l’essentiel ? Ainsi cette scène finale du chef d’œuvre d’Orson Wells, « Citizen Kane ». Le regret du traîneau perdu et nommé « ROSEBUD » qu’on arracha des mains d’un petit garçon, pour l’envoyer dans une des ces institutions prestigieuses, afin d’en faire un patron d’industrie.
« Je m’en allais dans les bois, parce que je souhaitais vivre délibérément, ne faire face qu’aux frais essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu’elle avait à m’enseigner, et non découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n’avais pas vécu. » Ecrivait-il dans son journal https://bit.ly/2GyovzG
A l’époque où certains se faisaient construire de magnifiques demeures coloniales en Virginie, sur le dos des esclaves noirs travaillant dans les plantations, Thoreau se lance dans un projet plus simple, celle de la construction d’une cabane dans les bois, à proximité du lac Walden.
« Longue de 15 pieds, large de 10, percée de deux fenêtres et d’une porte sans serrure, elle n’est meublée que d’un lit, un bureau, un miroir, et trois chaises : "Une pour la solitude, deux pour l’amitié, et trois pour la société. "
Pendant deux ans il va vivre une vie conforme à ses aspirations, le plus autonome possible, excluant de s’encombrer de tout ce qu’on nommerait aujourd’hui, des gadgets inutiles. Son livre racontera son projet, sa réalisation, ses apprentissages de défrichement, et ses expériences philosophiques et potagères.
Le grand Leon Tolstoï https://bit.ly/2GO4Htv était un admirateur de Thoreau. Il avait envisagé de se débarrasser de ses biens matériels, et de vivre lui aussi dans une simple cabane.
Nos cabanes étaient éphémères, branlantes, menacées par les intempéries, et par les autorités. Exactement comme les cabanes construites au centre des ronds points. La grande différence avec celles des gamins, c’est qu’elles ne se tiennent pas cachées. Bien au contraire elles proclament leur présence, leur visibilité, arborhant des drapeaux de toutes couleurs .
Les ronds points sont apparus à la fin des années 80. Le projet était de diminuer la vitesse des voitures, et de fluidifier la circulation, en se substituant aux feux tricolores….. La France est devenue championne du monde du rond point. La nature a horreur du vide. Encore davantage notre conception du paysage à la Française, où tout doit être ordonné, urbanisé, aseptisé.
« L’an 01 » fut oublié pour un temps. Avant qu’il ne revienne hanter l’esprit des ronds points. Un film en relation avec « La belle équipe », de Jean Duvivier,. Tourné en 1936, il raconte lui aussi l’histoire d’un autre collectif , et d’une autre utopie, semblant tout de même plus réaliste.
C’est là encore l’esprit de la cabane et de la camaraderie, qui donne tout à coup au ciel et à l’avenir une hauteur considérable, quand les cinq gars prennent de concert marteaux et clous, et se livrent à de joyeuses libations…. https://bit.ly/2L8MT0a
C ’est le meilleur moment du film, avant que les ennuis ne s’abattent sur le groupe et le divise, en relation peut être avec les lourds événements de cette époque qui était à la fois faite d’espoir fous et de grande inquiétude. Que ce soit « Quai des brumes », « La bête humaine » « la règle du jeu », « le jour se lève » « la fin du jour », toute la filmographie de cette époque est d’ailleurs baignée d’un grand pessimisme, que les événements qui suivirent ne purent pas tourner en dérision.
La crise crée différentes sortes d’abris. Le survivalisme s’est développé énormément aux Etats-unis. Même le milieu de la Sillicon valley investit dans des formes d’abris individuels, qui, quand ils ne sont pas antiatomiques, sont pourvus de nourriture, d’armes et de munitions. https://bit.ly/2ZIyfQv (Pourquoi les millionnaires de la sillicon valley se préparent à la fin du monde)
On fait des stages pour survivre dans un monde hostile, où l’autre ne sera plus perçu que comme un ennemi potentiel. La cabane est alors cachée, sous les feuillages, au plus profond de la forêt, pour se décliner en bunker. Sans doute qu’une angoisse sourde germe de nos sociétés, et qu’elle se conjugue pour chaque peuple, à une tentative singulière de s’en sortir.
« My absolute darling » a été le grand succès littéraire l’an dernier aux USA.
Les problèmes à venir ne peuvent pourtant pas se contenter de solutions individuelles, où seuls les prédateurs survivraient quelques temps. Cela ne serait qu’une extension de la pensée capitalisme, d’où n’émergeraient que quelques vainqueurs, au détriment de l’ensemble.
A ce titre, les cabanes des zad et des mouvements sociaux font écho contraire à celles du survivalisme, qui ne serait qu’un nouvel âge des cavernes. A Notre Dame des Landes, architectes et sociologues ont compris, eux, avant l’arrivée des bulldozers et de la pensée totalitaire, le génie de ces cabanes, montrant comment urbanisme et vie sociale sont intimement mêlés. https://bit.ly/2Vubocb
Individuellement, nous ne pouvons rien faire, mais ensemble nous pouvons changer la face du monde. Tous les travaux sociologiques le confirment, le bonheur repose sur des notions d’équilibre, où les questions de sens, de soin, de dignité, d’attention pour chacun, travaillent au bien commun, et sont déterminantes, pour la bonne marche de l’ensemble.
Et pourquoi pas une cabane en bois, où nous pourrions nous retrouver, comme les musiciens de Brème, avant que le soir ne tombe ?