N’est visible que la différence
par Michel Koutouzis
mercredi 23 février 2011
L’identité nationale c’est comme la politique étrangère (et vice verça). C’est grâce aux nuances, aux différences, aux divergences, aux discours de Phnom Pen que l’on existe. Pour l’une comme pour l’autre nous n’entendons plus que cris exhibitionnistes et ne voyons que coups d’éclats vides de sens voulant effacer un alignement total, une échine courbée à ce que l’on croit être le discours hégémonique, la pensée hégémonique, la force hégémonique.
Mais les cris cachent mal une stratégie, des options, qui effacent le différent, l’original. Il n’y a pas un espace, une fenêtre qui indiquerait aujourd’hui que la France joue sa propre partition, certes fidèle à ses alliés mais, comme toujours, fidèle aussi à son identité. Les relations avec les Etats Unis, ne sont pas une affaire de concours entre divas. Dès lors que l’on s’aligne aux choix stratégiques de ce pays depuis l’Afghanistan et l’Iraq jusqu’à l’intégration de l’OTAN et la politique africaine, ce n’est pas les rodomontades concernant une prisonnière au Mexique qui peuvent faire la différence. Avoir une politique méditerranéenne ce n’est pas co-présider une coquille vide avec les Ben Ali et des Moubarak. Et encore moins s’interdire toute action prenant en compte le renouveau du monde arabe en sauvegardant un ministre qui ne peut plus y mettre les pieds. Œuvrer pour l’Europe, ce n’est pas céder systématiquement aux pressions allemandes, elles mêmes orientées bien plus par l’intérêt national qu’européen. Militer pour la bonne gouvernance en Afrique ce n’est pas revenir à des concepts néo-coloniaux et aux intérêts des investisseurs (toujours les mêmes) qui continuent leurs partitions de prédateurs et leurs copinages avec des kleptocrates. Vouloir jouer un rôle au Moyen Orient ce n’est pas suivre en tous points la position américaine ni s’acoquiner avec des dictateurs en fin de règne. Vouloir des parts du gâteau chez les pays émergeant et les nouvelles puissances ce n’est pas accepter tout et encore moins les chantages de leurs fonds souverains et les transferts paniqués de notre technologie.
L’identité, comme la diplomatie se pense, s’inscrit dans le long terme, se bâtit et n’est en aucun cas une expression sanguine de l’instant. Prendre des risques, certes. Le « vive le Québec libre » en était un. Mais il s’inscrivait, malgré les apparences, à une longue réflexion de différentiation à l’hégémonie américaine. Quelle est désormais la voix de la France au sein de l’OTAN ? Quelle est la voix de la France aujourd’hui, adulée après le discours onusien sur l’Iraq et risée de tous après celui de Alliot-Marie sur l’aide sécuritaire à la Tunisie ?
Certes les choses vont vite, il faut être réactif, mais cela n’empêche en rien d’anticiper, d’avoir une vision globale, diplomatique et géopolitique. D’après la commission parlementaire, la fusion des agences de renseignement français est parfaite. Mais les renseignements on ne les juge pas par leur structure mais par leur efficacité. Déclarer que personne n’a vu, personne n’a anticipé n’est pas une réponse et c’est une contre vérité : ce n’est pas un concours de compétences, c’est un travail d’expertise et d’évaluation qui se fait au nom des intérêts de la France. Celle-ci est censée bien connaître les espaces où elle s’est le plus trompée. Trop et trop tard. La visite de Kadhafi censée normaliser une situation entérinée par les américains qui avaient leur intérêt propre (et ont eu ce qu’ils voulaient au moment où ils le voulaient) indique une fois encore l’aspect brouillon et le manque de vision. Laissons aux Italiens la tâche de se débrouiller avec leur mauvaise conscience, contrebalancée par la manne libyenne, constante depuis trente ans, et n’assumons pas, sans aucun bénéfice concret, « l’inassumable ».
C’est un euphémisme : il faut impérativement recadrer tout cela sous peine d’absence totale de la scène internationale. Il faut réapprendre le métier de maçon, de bâtisseur et oublier celui de prédicateur évangéliste télévisuel.