Nadine Morano est-elle vulgaire ?

par Chem ASSAYAG
lundi 16 janvier 2012

Le débat sur la « vulgarité » de Nadine Morano est né à la suite d’une chronique de Sofia Aram sur France Inter ; la dite chronique a provoqué une réaction outrée de la Ministre, des affirmations des uns et des autres sur la réalité des excuses de la station de radio, ou encore une tribune cinglante de l’humoriste dans Libération. Mais pour tout dire la question n’a pas grande importance et cette polémique a tout de l‘affaire microscopique du microcosme.

 

Un nouveau « politiquement correct »


En revanche ce qui nous paraît intéressant c’est ce que cette « affaire » révèle sur une forme de « politiquement correct » qui s’est répandu d’étrange façon dans notre société jusqu’à contaminer un membre du gouvernement.

En effet que reproche Nadine Morano à Sofia Aram et plus largement à ses détracteurs : elle leur reproche de la dénigrer non pas en raison de ce qu’elle dit ou fait mais en raison de ses origines, modestes en l’occurrence. Nadine Morano accuse les journalistes d’une espèce de mépris de classe, figure classique du dénigrement des « petites gens » par les bourgeois ou ceux de la haute comme on disait autrefois.

Ici Nadine Morano essaye de faire passer, bien sûr sans l’affirmer ouvertement, une idée insidieuse et dangereuse : parce qu’elle a des origines modestes on ne pourrait plus la critiquer et se moquer d’elle, la qualifier de « vulgaire » ou railler son inculture… ses origines agiraient alors comme un bouclier en déniant par avance aux autres la possibilité de la critiquer, puisque tout critique serait liée à ses origines. Formidable boucle qui se referme sur elle même et contraindrait tout contradicteur au silence. 

 

Mais la ministre ne fait ici que reprendre une argumentation qui est de plus en plus prégnante dans le champ de la communication publique. En effet tous ceux qui sont membres de « minorités », et elles sont nombreuses et de toutes sortes, - noirs, juifs, handicapés, gays, musulmans, féministes, catholiques intégristes, arabes, voire femmes…- tendent à user de plus en plus souvent du procédé : vous ne pouvez pas me critiquez car vous me critiquez pour ce que je suis et non pas pour ce que je dis ou je fais. Or comme on l’a dit la technique est imparable puisqu’elle annihile a priori toute possibilité de contradiction, l’appartenance à la minorité revendiquée étant en effet difficilement contestable. Dès lors on assiste à un renversement absolument sidérant : les dites minorités qui auparavant avaient effectivement du mal à faire entendre leur parole se retrouvent dans la position de ceux qui dénient à d’autres, quels qu’ils soient et quels que soient leurs arguments, la possibilité de la contester. Le débat se vide alors de son sens puisque l’échange n’a plus de substance, la potentialité même d’un affrontement fécond devient impossible, et l’interaction se limite à des monologues qui se juxtaposent sans jamais se croiser.

 

Diversité contre Egalité


Or ce phénomène illustre, dans le domaine de la communication, une des grandes erreurs idéologiques et tactiques de la gauche au cours des trente dernières années, et a contrario une victoire de la droite qui a bien su en user tel un judoka profitant des mouvements de son adversaire pour le déstabiliser. Cette erreur c’est celle d’avoir privilégié la notion de diversité à celle d’égalité, ou encore d’avoir préféré dans le monde des idées la diversité des expressions (en raison de l’origine de ceux qui la portaient) à celle de leur pertinence. Ce n’est parce que l’on est noir, juif, handicapé, gay, musulman, féministe, catholiques intégriste, arabe, voire femme, qu’on dit ou fait des choses plus justes ou intéressantes que ceux qui ne le sont pas. Mais de la même manière ce n’est parce que l’on est noir, juif, handicapé, gay, musulman, féministe, catholiques intégriste, arabe, voire femme, qu’on dit ou fait des choses moins justes ou intéressantes que ceux qui ne le sont pas. Cette préférence de la gauche pour cette posture de la diversité (« s'agit-il de répartir les inégalités sans discrimination d'origine et de sexe, ou de les supprimer « ) avait d’ailleurs été remarquablement analysée par un universitaire américain, Walter Benn Michaels dans un petit essai tonique, intelligent, et salutaire « La Diversité contre l'égalité  » (Ed Raisons d'Agir) il y’a quelques années.

La « passion » pour la diversité avait fait oublier à certains, ou en tout cas avait remisé au second plan, la permanence et l’accroissement des problèmes d’inégalités économiques qui aujourd’hui minent nos sociétés et pourraient bien les faire exploser. Cette myopie aura été très coûteuse…

 

Quant à Nadine Morano on conclura en disant que l’argument du mépris de classe paraît un peu inhabituel pour quelqu’un qui occupe une position publique très visible et qui a fait d’une expression assez libre et directe sa marque de fabrique. Mais qu’elle se rassure ses origines ne l’empêchent pas de dire des choses tout à fait remarquables, …ou pas.


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