Ne cours plus camarade, ton vieux monde est déjà mort

par Gilles Mérivac
vendredi 3 février 2017

Le mouvement hippy, celui de « faites l'amour et pas la guerre », de la chanson « Imagine » et la fraternisation universelle viennent d'être enterrés par deux fois, à Nice et à Berlin. Les coups de boutoir des attentats islamistes ont fait voler en éclat l'écran qui cachait la réalité que personne ne voulait voir, une grande partie du monde est profondément hostile à l'Occident parce qu'il a trop bien réussi et a trop voulu rendre son modèle universel.

Le rêve américain comme modèle universel

Au lendemain de la guerre, l'Europe était en grande partie un champ de ruine, elle était moralement épuisée et incapable d'imposer une direction quelconque à un monde qui se reconstruisait. Seuls les USA disposaient de la puissance économique et militaire pour jouer ce rôle. Ceux-ci, prenant conscience de leur importance, essayèrent avec enthousiasme de promouvoir partout le modèle qui fonctionnait bien chez eux. L'époque était celle de la guerre froide avec l'URSS, à coups de surenchères sur les armes nucléaires et de rivalité dans l'espace.

Même pour une grande puissance, il était impossible de jouer partout les protecteurs, la guerre du Viet-Nam s'éternisait et le tribut payé par les familles américaines était de plus en plus élevé, alimentant une contestation qu'il devenait impossible politiquement à écarter d'un revers de main. Les manifestations répétées mirent fin à la guerre du Viet-Nam qui devenait trop impopulaire. Les chansons de Bob Dylan et Joan Baez taillaient en pièces et ridiculisaient les actions militaires (With God in our side, Angelina) dont la cote s'effondrait petit à petit auprès de la population américaine. Les faucons républicains cédaient peu à peu la place aux humanistes démocrates animés de l'esprit de la fraternisation universelle incarné dans les grand-messes hippies comme Woodstock ou l'île de Wight.

Avec l'effondrement soudain de l'URSS, les stratèges américains avaient enfin les mains libres, ils commencèrent donc à planifier en vue de réaliser leur but ultime, transformer la planète en une gigantesque succursale des USA, en laissant çà et là quelques traces de folklore pour montrer combien ils pouvaient tolérer la diversité. La mondialisation des échanges sera le prétexte idéal pour uniformiser le monde et éliminer ainsi les modèles concurrents. Le succès fut d'abord indéniable, les nations dont la culture permettait le développement du savoir faire en bénéficièrent grandement, en particulier les pays asiatiques, mais également le Brésil et quelques autres régions, adaptant tant bien que mal la religion du travail concurrentiel à leur société. En contrepartie, les consommateurs occidentaux pouvaient acheter à bas prix des articles autrefois inaccessibles, consacrant l'ère du produit jetable ou éphémère. Pour cela, le crédit se développa de manière exponentielle.

Mais peu à peu, la porosité des frontières et la facilité des échanges commençait à produire des effets indésirables, et le modèle prétendu gagnant-gagnant devenait moins évident. Les délocalisations massives entraînaient la perte de pans entiers de l'économie des pays développés, et les cohortes de sans-emploi enflaient de manière inquiétante en passant dans les pourcentages à deux chiffres. Mais ce n'était encore que le début d'une tendance qui n'inquiétait pas grand-monde, après tout les affaires étaient florissantes et les puissants groupes internationaux se consolidaient.
 

Le séisme du 11 septembre

Avec la diffusion quasi instantanée des informations sur la planète, la stupeur fut totale. Le monde entier vit pratiquement en direct les Twin Towers, symboles de la puissance financière américaine, s'écrouler sous ses yeux. En quelques images, les américains réalisèrent que leur modèle était contesté violemment, qu'il existait une opposition hostile à l'extérieur de chez eux, capable de leur porter des coups terribles sur leur propre sol.

La logique qui prévalut alors sous la direction de Bush était dans le droit fil de celle qui existait déjà, rien ne fut remis en cause. Il fallait remodeler le Moyen Orient, d'abord par des actions militaires puis en favorisant des systèmes démocratiques à l'américaine. Pas une seule fois ne fut mis en doute le fait que ce genre de régime n'était pas forcément adapté à tous les peuples. Tout le monde connaît la suite, depuis la mise en place en Irak d'un régime précaire et contesté, la guerre en Afghanistan toujours recommencée et jamais gagnée, les drapeaux américains brûlés dans un Pakistan jouant un double jeu.

Mais de même que l'on ne peut arrêter subitement un train sur sa lancée, et alors même que les revers militaires s'accumulaient, la politique économique cherchait à s'imposer de plus belle. Faisant feu de tout bois, les mouvements de fraternisation universelle, incluant les trotskystes et même les sociaux démocrates européens furent mis au service du mondialisme économique et de l'abaissement des frontières, le terrain de jeu privilégié étant cette fois l'Europe. Les tours de verre bruxelloises étaient faciles à subvertir par les groupes Bildelberg et autres disposant d'hommes dans tous les centres de décision importants. L'influence qu'ils continuent à exercer à travers les nombreux médias que leurs membres possèdent est énorme et fabrique une opinion favorable à leur buts.

L'Europe qui se dessina fut donc mondialiste, acceptant des droits de douane très faibles pour les produits étrangers, et sommée d'accepter une immigration délirante. Par un curieux paradoxe, ce furent ceux qui méprisaient le plus le modèle américain et qui encensaient l'ancien régime soviétique, comme les no-borders ou les écologistes, qui s'acharnèrent le plus à défendre l'idée d'une Europe ouverte à tous les vents. La propagande avait réussi ce qu'on avait pu croire impossible, l'alliance entre une grande partie de la gauche et le capitalisme sans frontières.

Toutes les stratégies cependant ont leurs limites, et comme disait Lincoln, "On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps." Les pertes d'emploi au cœur même de l'Amérique profonde devenaient si importantes que la toute puissance des moyens d'information ne pouvait masquer l'évidence, le contraste dramatique entre la poignée de gens qui possédait presque tout, et les autres qui devaient se contenter de presque rien. A la surprise générale, Donald Trump est élu le 8 novembre 2016. Encore aujourd'hui, les tenants de l'ordre anciens ne veulent pas désarmer et multiplient les manifestations à l'encontre du nouveau président. Les intérêts en jeu sont évidemment gigantesques puisqu'ils concernent la répartition globale de la richesse et du pouvoir et la lutte sera titanesque.
 

Le décalage français

La mentalité française peut s'expliquer par une donnée psychologique simple, notre pays qui brillait et attirait les intellectuels du monde entier au siècle dernier a subi à trente ans d'intervalle une semi défaite puis une défaite humiliante face à l'Allemagne. Depuis ce temps, il essaie de compenser en suivant un chemin hors des sentiers battus, en ne faisant surtout pas comme les autres. Tandis que presque tous les pays d'Europe se sont débarrassés d'un parti communiste archaïque après la disparition de l'empire soviétique, il subsiste encore chez nous, pratiquement sous sa forme initiale. Les syndicats européens ont pratiquement tous abandonné la lutte des classes, mais elle est plus vivace que jamais dans nos entreprises publiques et privées, les négociations sont toujours un véritable bras de fer entre le patronat et les organisations syndicales, et l'état est souvent réclamé pour arbitrer les conflits.

La reconstruction du pays à la sortie de la guerre a amené le plein emploi et l'augmentation vertigineuse du niveau de vie due principalement au bas prix des ressources pétrolières mena à l'époque appelée les trente glorieuses. C'était un moment euphorique, il suffisait que les travailleurs menacent de manifester et ils obtenaient une augmentation. Georges Séguy, alors secrétaire de la CGT, réclamait une échelle mobile des salaires, c'est-à-dire des salaires qui augmentent dès qu'il y a une inflation.

C'est dans ce contexte où tout paraissait possible, que les émeutes de mai 68 se déclenchèrent brutalement, non parce qu'il y avait des injustices intolérables, mais juste parce que la société baignait dans un climat tel que l'on pouvait tout demander, tout exiger. Contrairement aux USA où ce type de mouvement avait pris une forme mondialiste et pacifiste, le nôtre était extrêmement politisé, à cause de la prépondérance des marxistes de tous bords dans nos milieux intellectuels.

Le mouvement gagna de l'ampleur avec les grèves des salariés qui prenaient le relais des troupes estudiantines, et aboutit à une capitulation du pouvoir avec les accords de Grenelle, qui mirent à peu près fin à la contestation. Mais le pouvoir incarné par de Gaulle en était sorti profondément ébranlé, le lien de confiance avec les citoyens s'était dégradé. De Gaulle fut le dernier président ayant une vision de l'histoire, tous ses successeurs ne furent que des gérants d'hypermarché. Il n'avait pas vu venir ce retournement majeur, il comprit donc qu'il valait mieux passer la main, ce qu'il fit en utilisant un vague référendum pour tester sa popularité qui évidemment avait fondu comme neige au soleil.

Cet événement devint presque un mythe fondateur pour les partis de gauche qui assumèrent l'héritage de cette période. Ils imposèrent peu à peu leur idéologie, en noyautant les syndicats et les associations, puis les milieux artistiques et journalistiques. Être de gauche était et reste un passeport qui permet aujourd'hui encore de faire une carrière dans les médias, l'enseignement ou la justice. Les lois du ministre communistes Gayssot furent votées, interdisant le négationnisme et le racisme, ce qui ouvrait la porte en grand sur la limitation de la liberté d'expression et la subjectivité des jugements rendus sur ces sujets. Désormais, les associations comme le MRAP ou SOS-racisme pouvaient porter plainte sur une simple suspicion, poursuivre en justice des journalistes qui avaient le tort de ne pas suivre la pensée progressiste dominante. Toute une meute criait au fascisme dès qu'une personnalité osait s'exprimer différemment, les hommes politiques s'excusaient et retiraient leur propos au moindre signe de lynchage médiatique. Peu à peu, la France était bâillonnée.

C'est dans ce contexte délétère que survinrent les premiers attentats au nom de l'islam. Les signes avant-coureurs étaient pourtant bien là, avec des banlieues contestant l'ordre public et l'enseignement, se transformant en zones de non-droit, les voiles et les niqabs de plus en plus présents dans l'espace public, mais comme ces événements ne collaient pas à l'idée de fraternisation avec les opprimés, on les ignorait ou on les minimisait. Les victimes de « touche pas à mon pote » étaient devenues hostiles à notre société, mais on ne voulait pas le voir. La situation s'est nettement aggravée pendant le quinquennat de Hollande, qui débuta symboliquement par une nuée de drapeaux étrangers sur la place de la Bastille. Par peur de perdre l'électorat musulman, la réponse du gouvernement envers les attentats fut coupable de faiblesse et d'indulgence, alors même que l'état d'urgence était décrété et que nos compatriotes perdaient un peu plus de liberté. Le pays restait une passoire où les terroristes continuaient à circuler sans problème, comme l'a si bien montré l'attentat de Nice. La contradiction entre la lutte intérieure et l'aide aux mêmes terroristes luttant contre Assad était criante, mais pas grand-monde ne bougeait.

Les prochaines élections seront capitales, mais la population engluée dans un matraquage médiatique impressionnant saura-t-elle se réveiller et prendre conscience des enjeux réels ? Rien n'est moins sûr. Pendant ce temps-là, des forces tapies dans l'ombre attentent leur moment ...


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