« Ne nous fâchons pas » : les armes de Kadhafi
par morice
mardi 19 avril 2011
Si des civils, ne mouraient pas autant en masse, en Libye, la situation du colonel Kadhafi pourrait ressembler à celle décrite par Lautner dans son film "Ne nous fâchons pas", où on voyait notamment un colonel fou, au bord de son palais, saluer le départ de son escadron motocyliste, ses mercenaires, tous vêtus de l'uniforme de teen-agers anglais, prêts à aller jouer les kamikazes en ville. Comme le dictateur de pacotille de Lautner, Kadhafi s'est moqué de tout le monde, et tout le monde a suivi ses fantasmes de pouvoir parce qu'il avait de l'argent, beaucoup d'argent (en liquide, notamment !). Et un stock d'uranium enrichi, élaboré lors d'un programme nucléaire avorté, dont on ne sait pas vraiment ce qu'il est advenu, à part qu'il a échappé aux convoitises d'un dénommé... Nicolas Sarkozy. Aujourd'hui, on apprend que Kadhafi est allé encore plus loin dans l'abjection, en bombardant ses propres concitoyens avec des armes dont on a interdit l'usage voici plusieurs années. Et dont la provenance est... espagnole. Décidément, tout le monde est venu manger dans l'auge libyenne.
Entre 10 et 20% de la monnaie mondiale est en effet traitée par des firmes privées, rappelait à l'occasion le magazine Slate. Citant à l'occasion également les grands bénéficiaires de l'impression des billets de la dictature : l'anglais De La Rue, d'où sortaient les billets de Kadhafi (l'imprimerie fait aussi dans les passeports !), la Canadian Banknote Company, Giesecke & Devrient en Allemagne, et Crane, en Suède et au Massachusetts.
Parmi les pays n'ayant pas signé le traité, la Libye, certes, mais aussi les USA et Israël, rappelons-le. L'Espagne, elle, avait certes signé le traité, mais la firme espagnole Instalaza, productrice des engins de mort découverts en Libye, jouant elle sur les mots, et annonçant sur son site que celles en circulation n'ont pas été livrées "après le traité" où étant "tellement de bonne qualité qu'elles n'éclatent pas après", si elles ne l'ont pas fait à l'impact : c'est un cynisme fort déplacé. Le porte-parole libyen, Mussa Ibrahim avait immédiatement nié (ici dans cette vidéo), malgré les faits accablants découverts à Misrata.
Le 28 mars 2011, près d'Ajdabiya, c'étaient enfin des mines qui avait été découvertes."Les mines ont été trouvées à quelques mètres de la route principale entre Ajdabiya et Benghazi, une voie à forte circulation dans une zone également fréquentée par de nombreux passants, constituant donc une menace directe à la population civile. Compte tenu de la forte circulation dans cette zone, les mines ont de toute évidence été posées alors que les forces gouvernementales se trouvaient à Ajdabiya" concluait Human Watch, rappelant que "la Libye est l'un des 37 pays n'ayant pas encore signé le Traité d'interdiction des mines de 1997", dont font partie 156 pays... Human Watch ne spécifiait hélas pas d'où venaient les mines. La Libye en avait importé des tonnes de Russie, des modèles POMZ-2 and POMZ-2M à fragmentation (c'est plutôt une grenade montée sur un bout de bois , le déclenchement se faisant par fil !). Le pays avait été truffé de mines lors de la seconde guerre, déjà, et on estimait que 11 845 cas d'explosions avaient été recensés entre 1940 et 1995, tuant 6 749 et en blessant 5 096. Ce genre de mine russe truffe encore tout l'Afghanistan.
L'Espagne, la Belgique, mais aussi l'Angleterre et un bon nombre de pays européens parmi ceux à l'attaquer aujourd'hui. "Un rapport sur le contrôle de l’armement réalisé par l’Union Européenne affirmait que ses états membres ont signé un accord en 2009 pour l’autorisation de la vente d’armes et de systèmes d’armement à la Libye pour une valeur de 333, 657 millions d’euros". En troisième position, l'Allemagne, réticente aujourd'hui à attaquer le dictateur avec 43,2 millions d'euros de vente d'armes en 2009. "La Grande-Bretagne a accordé des autorisations aux entreprises d’armement pour la vente d’armes à la Libye pour montant de 24 millions d’euros et le Colonel Kadhafi a aussi payé pour qu’on envoie les SAS pour entraîner en anglais sa 32e Brigade" peut-on lire ailleurs. Les anglais avaient surtout vendu du matériel de brouillage électronique. Le Portugal a engrangé 14,5 millions plus 4,6 millions pour des drones, qui peuvent servir à surveiller la populace. La Bulgarie fermant la marche avec 3,7 millions négociés en 2008.
Le "boum" des ventes de 2004 consécutif au renoncement de Kadhafi au terrorisme et au nucléaire a principalement bénéficié à la Russie et à l'Italie, note Space War. La Russie a signé pour 2 milliards de dollars d'armements. L'Italie, partenaire étroite de Kadhafi, qui a investi dans des entreprises d'armement du pays, et qui en 2009 a atteint un score des ventes de 205 millions d'euros, juste devant... la France avec 143 millions d'euros. Ce sont les terribles canons autoportés italiens, les obusiers automoteurs de 155 mm Palmaria, qui ont pilonné les insurgés à plusieurs reprises et fait d'énormes dégâts dans les villes. Et dans les ruines, on a aussi retrouvé des vestiges de missiles de type Kornet (voir photo ci-dessous), le fameux missile utilisé par le Hezbollah (et fournis par la Syrie) pour repousser les chars israéliens au Liban. L'engin est capable de percer le blindage des Merkava Mark III (l'attaque du 7 avril dernier d'un bus israélien par le Hamas aurait été faite par le même missile). Kadhafi s'est bien fourni partout, ou presque.
Fournir du matériel de guerre à Kadhafi, c'était pourtant prendre le risque de voir ce matériel redistribué ailleurs, comme cela a pu être le cas pour des armes fournies par les anglais : "un document confidentiel montre à titre d’exemple comment les Etats européens donnent l’impression de plier aux pressions des ONG mais finissent toujours par vendre de l’armement, par le biais d’intermédiaires, au régime du dictateur. Ce document indique comment une livraison de plus de 100 000 Kalachnikov AK47 a pu parvenir à ses des factions tchadiennes ou soudanaise malgré un semblant de blocus.
"Quelque 5,2 kilos d'uranium hautement enrichi avaient été conditionnés dans sept conteneurs destinés au transport et non au stockage et abandonnés en novembre 2009 dans une installation nucléaire libyenne sous la protection d'un seul garde armé, selon le quotidien anglais le Guardian. Le New York Times, qui publie également les notes américaines, indique que l'ambassade des Etats-Unis à Tripoli avait alors averti : "si l'uranium enrichi n'est pas retiré des conteneurs dans un délai de trois mois, l'augmentation de la température pourrait fissurer les conteneurs et entraîner des fuites de matériaux nucléaires radioactifs" dans l'atmosphère". Etant donné le danger de se faire subtiliser le matériau, les deux superpuissances s'étaient entendu semble-t-il : "Diplomates américains et russes avaient alors pressé les responsables libyens d'autoriser un avion russe à venir récupérer les conteneurs".
L'enjeu nouveau de l'abandon du nucléaire pour les américains était le pétrole, avec un pacte anti-terroriste à la clé : "ouvrez les portes, les règles du jeu, et regardez ce qu'ils y ont à gagner. Si les sanctions américaines sont levées, les compagnies pétrolières américaines bénéficieront des Libyens d'autant de pétrole que Kadhafi pourra l'autoriser, mais pour ça il faut prendre du recul et laisser faire pendant que la nouvelle garde oriente la Libye dans une direction jusque-là impensable. "Nous pouvons être très utile pour les Américains. Et nous pouvons les aider, ils peuvent nous aider", affirme Seif Kadhafi. "Nous pouvons combattre ensemble le terrorisme. Nous pouvons apporter la prospérité et la paix en Afrique et au Moyen-Orient. Et nous pouvons faire la paix ensemble." Kadhafi s'était refait ainsi une virginité politique complète, alors qu'il continuait à truffer le pays de bunkers, achetait à tout va des armes anti-personnelles et continuait à réprimer toute velléité au sein du pays. Tous les vendeurs d'armes étaient venus le courtiser. Depuis qu'il parlait de paix, on pouvait lui vendre des engins de mort à la pelle, et sans avoir honte, visiblement ! Joli paradoxe !
On a donc décidé d'attaquer un pays qui s'est doté ces dernières années d'armes destinées à renforcer sa piétaille, avec force achats d'armes destinées au combat de rue avec des avions absolument pas faits pour ce genre de combats. Il y a visiblement un défaut d'analyse militaire à la base de la décision. Si l'aviation de Kadhafi, on l'a vu, ne valait plus tripette, ses unités au sol venaient de recevoir des armes sophistiquées idéales pour le combat de rue. L'assymétrie que connaissent tous les dirigeants militaires, et surtout les américains, empêtrés dans le concept en deux endroits du monde, on semble s'être assis dessus, et mener une guerre de type napoléonienne. Les rebelles devaient c'est sûr être soutenus, mais il semble bien qu'aucune réflexion de fond n'a été prise avant de décider du mode de l'intervention, ingagnable par la seule voie des airs. Aujourd'hui, on s'interroge sur le bien fondé non pas de la décision, mais de l'option militaire choisie. Dans les Think Tanks, ça cogite sec à ce propos.
Sans oublier les retombées sociales, en France, du confit. Le plus bel exemple étant celui du paquebot lybien décidé en grande partie par la mégalomanie d'Hannibal Kadhafi, un paquebot en cours de construction en France par STX à St-Nazaire, et qui pourrait très bien se retrouver parmi les biens saisis du dictateur, en étant loin d'être achevé : avec comme conséquence inédite des ouvriers CGT n'appréciant pas trop le manque à construire induit par l'intervention sarkozienne, le même président étant venu quelques mois auparavant annoncer monts et merveilles et même faire passer le vent du Mistral, aujourd'hui lui aussi dans les choux... Le chantier naval prenant les devants en cherchant déjà un repreneur potentiel !
Au final, en tout cas, il peut bien jubiler, le givré du désert : tous sont venus manger dans sa main, pour aujourd'hui s'écharper sur le nom du pays où l'expédier (avec ses billets ?).