Nécrologies électorales
par Sandro Ferretti
vendredi 3 février 2012
« Etre vieux, c'est quand vous connaissez toutes les réponses, mais que personne ne vous pose plus de questions » (Bert Kruger Smith). C'est un peu la leçon qu'il faut tirer du retrait de la candidature de Jean-Pierre Chevènement, qui n'a surpris personne. Pas même lui, sans doute. Trop vieux, semble dire le consensus mou, les caricaturistes et la bien -pensance de permanence. 72 printemps, électron libre (trop libre ?) du paysage politique, la langue au vent et non de bois, fils d'instituteurs de province, avec tout ça « le Che » n'avait aucune chance de s'en tirer. Il ne s'en tira pas.
-Le jeunisme m'a tué
Chevènement trop vieux ? Mais tout le monde sait qu'il y a encore quinze ans, un moins de 60 ans n'avait aucune chance de paraître crédible pour « la magistrature suprême » (qui, du reste, est souvent fâchée avec la magistrature tout court). De Gaulle, Pompidou, évidement. Plus récemment, Mitterrand avait 70 ans sonnés lorsqu'il fut réélu en 1988. Balladur, Marchais, Barre, Raffarin n'étaient pas des perdreaux de l'année. Personne ne s'autorisait pourtant à les caricaturer en chaise roulante, sirotant une soupe à l'hospice.
En Italie, les Présidents des deux dernières décennies, Cossiga, Scalfaro, Napolitano frisaient ou dépassaient les 80 ans.
Le renversement copernicien du jeunisme en politique a débuté avec la finale de l'élection 2007, de triste mémoire. La pimprenelle du Poitou contre l'agité juvénile compulsif de Neuilly. Débrouille toi avec ça.
Dans leurs bagages, ils ont amené les quinquas. Ceux qui sont au gouvernement aujourd'hui. Aussi un quadra : le sémillant Baroin, le fils de l'assureur, qui nous dit sans rire que l'augmentation de la TVA, si on pense à autre chose, qu'on respire à fond, qu'on mord l'oreiller et qu'on sait se détendre au bon moment, on ne sentira rien, ou presque. A peine un souffle chaud sur la nuque et une douleur fugace au fondement.
Itou pour ceux qui briguent aujourd'hui les suffrages dans le camp d'en face. DSK expulsé du ring pour priapisme tardif (un cas médical rare, aux dires des proctologues), ils nous ont lâché « le meilleur d'entre eux », le Juppé repeint en rose : Moscovici. La voix de son maitre. Celui-là est redoutable : rompu aux affaires européennes, aux réserves d'examen, aux notes de bas de page et aux compromis mous. Il ne disconvient donc pas que ça va faire mal aux hémorroïdes, mais que tout de même, il existe des pommades qui arrangent bien les choses. Bien sûr, elles seront taxées à 21, 3 % et non remboursées par la SS, mais qui n'a pas ses petites misères, hein, qui ?
Même l'extrême gauche nous avait sorti un gai postier pédalant avec nos accusés de réception et nos recommandés. Hop, mise à l'hospice Arlette, elle et ses « travailleurs, travailleuses » chevrottés entre deux gauloises et un ballon de rouge. Allez, un discours, un transat, et ouste, à la retraite. Du balais, du mollet, du postier, du frais, du qui bande encore ferme. A la Ligue, on a su faire sa révolution.
Même Marine nous a tué le père. Dans la collection automne / hiver, on est passé du kaki - trop daté- au bleu marine, plus seyant et plus passe-partout.
Il n'y a que chez les écolos qu'on est allé nous chercher une mamie, un vétéran du Conseil de la Magistrature, Grand Croix de la banquise qui nous les brise, Chevalier des fjords qui fondent et du saumon qui crève en tentant de remonter le courant des sondages défavorables. Etrange.
Alors qu'il y avait le petit Hulot qui aurait bien mieux fait le job : un qui pète la santé, tiens. Qui s'accroche à une seule main au câble au bout de l'hélicoptère survolant le Zambèze, comme moi j'allume une Gitane. Un qui, sur son Vélib dans les côtes du Sacré Cœur, eh bien, il est même pas essoufflé et ses carnassières canines blanches à rayer le parquet sont tout juste découvertes par l'effort. Les jeunes mamans bobos du quartier qu'il croisait en étaient d'avance toutes humides sur leur selle, rien qu'à le voir fendre la bise sur son fier destrier pour aller à TF1. Dans Zambèze, elles ne retenaient que la dernière syllabe.
En vain. Monde cruel.
Oui, aujourd'hui, on veut du djeune, du geek, de l'urbain, du métissé aux vents du Sud. Du branleur en Vélib, le pétard rougeoyant aux lèvres, le préservatif sous le bras et l'Ipad en bandoulière. Epicétou.
Non, t'avais aucune chance, Jean-Pierre (vous me pardonnerez de vous appeler Jean-Pierre, moi qui ai 20 ans de moins que vous et qui vous doit le respect).
- Parisianisme, cartes et territoire :
Jean-Pierre Chevènement, c'était aussi le symbole de la carte et des territoires jambon / beurre houellebecquiens. C'est bon pour avoir le Goncourt, mais pour louer le 55 Faubourg Saint Honoré, c'est un handicap pour les mecs de l'agence immobilière qui montent le bail à 5 ans. Un mec de province, pouah, mais ça pue... Et puis entre nous, « Territoire de Belfort », ca ne sent pas que les saucisses de Mortaux, les stations Avia délabrées et les clochettes au cou des vaches qui regardent passer les trains. Ca vous a des relents de bastion, de sécessionisme, de château-fort. Un féodal, quoi. Encore une grande gueule, capable de nous dire non à Maastricht comme merde aux beurs en capuches qui cassent de la petite vieille attendant le bus.
Tandis que le féodalisme du 16 eme arrondissement, on le cherche encore. Ca fait moins peur.
Et puis quand même, son CV, il était bizarre, non ? Fils d'instituteurs (de père et mère), on n'avait plus vu cela depuis Pompidou. Enarque, bon d'accord, mais pas l'ombre d'un MBA, pas fait l'ESSEC. Pfuutt, pas sérieux ça. Et puis « lauréat du concours général de grec et de géographie »... Déjà, ca veut dire quoi, Papa, « concours général » ? Et puis géographie, bon, on voit bien, c'est ce qui a manqué aux pilotes du vol Rio/ Paris. Mais grec, c'est quoi ce truc ? Un machin pour crypter les codes nucléaires, c'est ça ? A moins que ce ne soit la langue de ces pédés qui philosophaient en se tenant le menton avec le poing sous les colonnades et qui ont fini en statue ? Nan, pas de ça chez nous, mon bon Monsieur. Un CAC 40, sinon rien.
-Contradictions :
On nous rebat les oreilles avec le vieillissement de la population française, les 30% de plus de 60 ans, le 4 eme pouvoir qui serait constitué de dentiers déposés dans le verre, de Viagra pour monsieur et de gels lubrifiants pour ces dames, de charters entiers de papy se pressant aux aéroports et chez Costa Croisières.. et il n'y en aurait pas eu un seul pour voter Chevènement ?
Etrange.
Jamais la population française (et singulièrement la population inscrite sur les listes électorales) n'a été aussi proche de l'hospice, et on voudrait nous faire croire qu'il ne faudrait personne pour les représenter ? Alors que le moindre chasseur a son vaillant représentant pour défendre le taquinage de grive et le droit de tuer « accidentellement » son voisin lors d'une partie de chasse ( au lieu de prendre bêtement perpète, comme le font ces cons d'urbains avec leur Kalachnikov)...
Etrange, décidément.
-L'ombre portée de la faucheuse :
La vraie raison de l'échec de J.P Chevènement, à mon sens, est à la fois plus simple et plus compliquée : il faut la chercher le 2 septembre 1998. Opération classique, anesthésie banale, mais allergie inconnue au curare. Une semaine de coma stade 2. Deux mois au Val de Grâce. Et puis la grâce est venue. Sursis avec mise à l'épreuve, a dit la justice immanente qui ne s'est pas voulue imminente. « Le miraculé de la République », comme il se définissait lui-même avec humour, est sorti. Il est revenu chez les vivants. Plus mûr, plus prudent. Ironique, plein d'auto-dérision. Plus présidentiable, en apparence.
Ses premières paroles publiques, fin 1998, furent pour les gens amassés dans la Mairie de Belfort, qui voulaient toucher pour croire.
« La mort , l'ai bien vue
De près m'a regardé
De moi n'a point voulu »
a-t-il dit en parodiant l'accent paysan de Belfort.
Tout était dit. « Seuls le soleil et la mort ne peuvent se regarder en face », dit-on. Et les gens n'ont plus aimé ce mort-vivant, ce type qui était allé « là-bas » et qui en était revenu.
Ce Monsieur qui avait vu un bout du fameux tunnel, la salope de camarde, sa faux et tout le toutim, et voulait nous en dire deux mots.
Non, ça n'a pas plu. Ils n'ont pas voulu écouter ce qu'il avait à dire. On ricanait sous cape.
Moi, j'aurais bien écouté encore un peu « celui qui avait vu ». Parce que quand méme, comme disait mon voisin sur son Massey Ferguson, « tant qu'on n'a pas vu, on n'a pas vu ».
Ouais, mais « La vie, c'est pour les vivants », m'avait dit un jour dans un avion l'acteur Roland Blanche, un whisky à la main, quelques temps avant de crever le décor.
Apparemment, les gens préféraient « le che » des années 80, écharpe rouge au vent, verbe haut et parfois définitif, à l'intolérance parfois stalinienne.
Et pourtant, c'est ce même Staline qui disait :
« A la fin, toujours la mort gagne ».
Dans la vie, comme en politique.
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Crédit illustration : Aurel