Netflix et l’exception culturelle

par Danic
mardi 12 août 2014

En s'implantant au Luxembourg, Netflix tente de contourner le système de l'exception cuturelle française. Une raison suffisante pour boycotter Netflix.

À la rentrée 2014, un géant américain est attendu au tournant, Netflix. Créée en 1997, cette société s’est d’abord fait connaître en louant des DVD envoyés par correspondance. Reed Hastings, son fondateur, aime à raconter cette histoire, affirmant qu’elle aurait été l’élément déclencheur :

« En 1997, j’avais loué le film Apollo 13 en cassette vidéo et comme je ne l’ai pas rapporté à temps, j’ai eu droit à une amende de 40 dollars. Cela m’a mis très mal à l’aise. J’ai alors réfléchi à la situation et je me suis dit qu’il y avait un énorme marché à conquérir… »

Telle est l’histoire qu’il répète à qui veut l’entendre – ce fut notamment le cas dans une édition du magazine Fortune de 2009 qui l’avait désigné comme Personnalité de l’Année. Selon le co-fondateur de Netflix, Marc Randolph, qui a depuis quitté l’entreprise cette histoire serait une pure invention. Elle sert en tout cas à Hastings qui aime expliquer qu’à partir de là, il a eu l’idée d’envoyer à ses clients des DVD qu’ils pouvaient garder aussi longtemps qu’ils le désiraient sans payer d’indemnité de retard.

Tout comme d’autres start-ups nées à la même époque, Netflix a dû affronter sur son parcours plusieurs mastodontes comme la chaîne Blockbuster qui était déterminée à n’en faire qu’une bouchée. Netflix a toutefois survécu. Dès lors que les vitesses de connexion ont été suffisamment bonnes, Hastings a converti Netflix en un service de diffusion de films à la demande, via Internet. Son succès est devenu tel que, aux USA, il est arrivée que Netflix ponctionne à lui seul un tiers du trafic Internet !

L’une des clés de ce succès a été un tarif unique, et alléchant : 8 dollars, soit environ 6 euros pour avoir accès à un catalogue de films où l’on peut puiser sans limite.

Voilà le service qui s’apprête à arriver en France et qui soulève bien des inquiétudes. Par comparaison, le tarif de Canal Plus est aux alentours de 40 euros, ce qui pourrait provoquer bien des défections. En France, nous avons droit à l’exception culturelle et de ce fait, une partie des recettes du cinéma américain finance le cinéma français. De plus, cette même production locale est favorisée au niveau du temps de diffusion afin d’éviter que notre cinéma ne soit écrasé par les productions yankee, comme cela s’est passé dans bien d’autres pays.

Le souci pouvait émerger si Netflix s’installe au Luxembourg, ce lui permettait de passer outre de telles mesures. Le suspense n’a pas été long.

Reed Hastings a décidé d’implanter Netflix au Luxembourg ce qui pourrait permettre de contourner les limites de l’exception culturelle. Cette décision pourrait influer sur le comportement d’une partie au moins public français, qui pourrait rechigner à soutenir une société refusant de jouer le jeu local.

Nous n’avons pas intérêt à ce que l’exception culturelle soit affaiblie. À elle seule, cette initiative a contribué à sauver la production cinématographique française là où d’autres cinémas européens (on pense aux films italiens jadis si savoureux) ont vu leurs parts de marché locales fondre comme peau de chagrin.

Le cinéma français ne joue pas à armes égales en la matière. Outre Atlantique, les réalisateurs disposent d’un marché incroyablement plus énorme pour rentabiliser leurs films avant même de les exporter chez nous : les États-Unis mais aussi les divers pays anglophones comme l’Australie. De plus, par faute d’une absence d’ouverture du public américain à d’autres cultures que la leur, nos films percent rarement là-bas.

Il paraît donc essentiel de sauvegarder notre spécificité, de conserver un environnement qui puisse favoriser la création locale. Il est donc souhaitable que Orange ou Free développent sans attendre des offres concurrentes. Dans notre prochain numéro (juillet), nous allons d’ailleurs consacrer plusieurs pages à l’événement que constitue l’arrivée de Netflix pour mieux cerner ces enjeux.

Le point positif de Netflix ? Il réside dans un fait curieux : lorsqu’on donne le choix des films aux usagers, ce sont souvent des films un peu secondaires qui (re)prennent du poil de la bête. Là où la qualité du cinéma américain a fortement diminué en 20 ans, du fait de la pression pour produire avant tout des ‘blockbusters’, Netflix attire une large population qui est intéressé par le cinéma indépendant ou tout au moins des films qui ont pu connaître une ‘petite’ carrière en salles et trouver ainsi un nouveau public. Hastings a d’ailleurs étendu son rayon d’action en produisant une série télévisée, House of Cards avec Kevin Spacey, généralement saluée par le public comme par la critique.

La vidéo à la demande pourrait-elle avoir sur le cinéma indépendant l’effet que le livre numérique a eu sur la littérature ? C’est fort possible. Rappelons juste que plusieurs best-sellers récents sont des livres d’auteurs qui les ont d’abord publiés sur le Kindle ou sur l’iPad.

Il demeure que la décision de Netflix de s’implanter au Luxembourg pourrait lui coûter très cher. Il ne tient qu’à Free ou à Orange de profiter de l’occasion pour lui couper l’herbe sous le pied...


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