Neuf années après le neuf - onze…
par Michel Koutouzis
samedi 11 septembre 2010
J’étais assis, à la terrasse du café attitré de l’OM au Vieux port, fraichement débarqué à Marseille. Je regardais en direct l’attentat quand le garçon de café changea de canal au profit d’une soap opéra américaine. Deux touristes anglo-saxons se mirent à crier, à gesticuler, mais le garçon de café ne comprenait rien.
« Qu’est-ce qu’ils veulent encore ceux là » me dit-il, étant le seul autre client.
« Ils regardent un attentat en direct à New York » lui répondis-je.
« Et c’est quelle série » ?
« Non mon vieux, c’est du vrai, les news »
« Les quoi » ?
« Les infos, c’est du vrai, remets LCI, les anglais vont attraper un infarctus »
« D’accord, d’accord, mais c’est l’heure de Gloire et beauté, les polards américains, ils n’ont qu’à les voir chez eux, non mais ». D’un geste désinvolte, il repassa aux images en direct. Et, bourru, cessa de regarder « le polard américain ».
Entre temps, la deuxième tour venait de s’effondrer.
Je regardais autour, avec le sentiment que ces tonnes d’acier et de béton tombaient chez nous. Mais les voitures continuaient à circuler ; en face, les touristes entraient et sortaient du ferry du Frioul, les poissonnières continuaient à vendre leurs sardines, bref la vie continuait, estivale et nonchalante, sous quelques nuages annonçant l’automne.
Heureusement que les touristes anglais, scotchés sur l’écran, étaient toujours là, sinon j’aurais fini par croire que LCI s’était mise à la fiction pour faire concurrence à « Gloire et beauté ».
Le sentiment d’irréalité ne dura pas longtemps. Bientôt, la rumeur (la seule info qui compte à Marseille) rattrapa le Vieux port, et le garçon de café, enfin au courant, fixa l’écran et me dit « j’espère que ces avions ne sont pas partis d’Orly, sinon, bonjour les emmerdes ».
Non, les avions n’étaient pas partis d’Orly, ni de Roissy ni d’aucun autre tarmac européen, cependant, nous n’avons pas fait l’économie des emmerdes.
Un monde nouveau venait de naître au sein des ruines des sœurs jumelles, fait de mélanges de fiction et de réalité, de peurs et de mensonges, un monde qui attendait impatiemment le 11/9 pour rugir et surgir. Une guerre de religion éclata ce jour là, pas celle des médias, opposant chrétiens et musulmans, mais civile, interconfessionnelle, si on comptabilise - comme il est d’usage dans les guerres -, l’identité des victimes. Elles sont mille fois plus nombreuses et se situent dans leur quasi-totalité en terres musulmanes.
Une nouvelle guerre expéditionnaire se prépara et vit le jour, dont on annonce depuis des années le fin, mais qui ne vient jamais. L’Occident, blessé et moralisateur est parti rendre justice et il y est toujours, roi nu et incapable de cacher des objectifs obscurs dépourvus de moyens.
Victorieuse, la télévision nous rappelle, neuf ans plus tard, qu’elle tient toujours les reines de ce char en folie, montant en flèche un prédicateur obscur, d’une secte obscure, d’un coin paumé de l’Amérique profonde, qui, tout seul, s’en va en guerre et que les puissants du monde prient humblement de l’arrêter.
Un monde fou – fou - fou, qui sacrifie à l’image, au paraître, à la fiction, l’essence même de la réalité.
Un monde qu’on aurait dû, comme la garçon de café, éteindre depuis longtemps.