« Ni voiles ni burqa », un autocollant du site « Riposte laïque » qui claque au vent…

par Paul Villach
mardi 29 septembre 2009

Il fait mouche, l’autocollant du site Riposte Laïque qui mène campagne contre le voile et la burqa. Une masse d’informations y est, en effet, concentrée et livrée en pleine figure d’une seule salve. Peut-on, pour en livrer autant, user d’une plus grande économie de moyens  ? On n’y voit qu’une jeune femme, en plan moyen, buste dénudé, brandir le drapeau français dans une totale mise hors-contexte sur fond blanc ; et la légende se limite à un slogan auquel l’ellipse, par la suppression des mots inutiles, confère un maximum de frappe : « Ni voiles ni burqas ! Vive la République laïque !  ».

Deux leurres au choix

Quel leurre, parmi les deux utilisés, capte en priorité l’attention ? C’est selon la culture de chacun. Les seins nus et bombés de cette jeune femme dont la robe a glissé des épaules à la taille dans l’élan où elle est emportée, sont à l’évidence un beau leurre d’appel sexuel qui stimule en principe le réflexe inné d’attirance, voire la transe du voyeurisme. Pourrait même pimenter la scène la pilosité du dessous de bras qu’une longue tradition artistique et une mode féminine se sont employées à raser.

Mais l’évidente citation du tableau d’Eugène Delacroix, « La Liberté guidant le peuple », coupe court à tout fantasme, du moins chez ceux qui sont en mesure de la reconnaître, même tronquée comme elle l’est et mise hors contexte. Cette toile est si célèbre. Du coup, le slogan « Ni voiles ni burqas ! », écrit aux couleurs nationales, bleu et rouge sur fond blanc, propres à favoriser le réflexe socioculturel conditionné du patriotisme, est replacé dans le contexte historique des journées révolutionnaires de juillet 1830 contre la monarchie intégriste de Charles X. Ce sont elles qu’Eugène Delacroix a stylisées et immortalisées par sa toile.

La métonymie choisie ne montre pas seulement comme effet une jeune femme que l’on voit s’élancer, drapeau au vent, pour entraîner une foule de civils, armes à la main, derrière elle puisque, peinte le visage de profil, elle veille à s’assurer qu’elle est bien suivie. Cette jeune femme est surtout une allégorie de la Liberté dans la République française : elle en brandit les symboles, le bonnet rouge phrygien et le drapeau tricolore, qui sont les plus sûrs stimuli du réflexe patriotique.

Plus encore, par intericonicité, elle s’inscrit dans la longue tradition culturelle gréco-romaine. Elle a, par exemple, « le nez grec », reconnaissable à l’alignement du front et de la crête nasale. Surtout, sa nudité et le drapé de sa robe-tunique qui la découvre jusqu’à la taille prise dans une ceinture, sont manifestement ceux de la statutaire grecque : ils s’apparentent ici, par exemple, à ceux de la Vénus de Milo, conservé au Musée du Louvre.

Le sourire de l’humour

Le sérieux du sujet n’empêche pas pour autant qu’il soit traité avec humour, cet art de parler légèrement de ce qui est grave ou inversement. On le reconnaît dans le contraste burlesque entre l’image et le slogan : une femme exhibe publiquement en toute impudicité les charmes de sa poitrine, bien au-delà même de ce que la morale du groupe social français autorise, surtout au 19ème siècle, tandis que le slogan rappelle qu’on en est aujourd’hui, au 21ème siècle, à devoir combattre encore l’enfermement vestimentaire de la femme par le voile et la burqa !

Un contexte historique tragique

Mais le choix de l’allégorie de Delacroix évite tout malentendu. Le symbole inscrit ce dévoilement du corps féminin non pas dans un mouvement d’asservissement sexuel mais dans celui d’une libération progressive des préjugés dont les femmes ont souffert si longtemps. La citation de la toile de Delacroix, qui n’offre, en bonne métonymie, qu’une partie pour le tout, renvoie à son contexte guerrier et sanglant. On sait que la jeune femme enjambe les cadavres de combattants morts pour cette libération qui, on le voit, n’a pas été une promenade de santé : elle a été arrachée et beaucoup y ont laissé leur vie.

Le paradoxe final

Le slogan « Ni voiles ni burqas – Vive la République laïque » acquiert ainsi dans le contexte de cette citation de la toile de Delacroix une gravité qu’on ne saurait minimiser ni détourner de son objet. La libération des femmes françaises et celle des hommes qu’elle a entraînée par le fait même, ont été trop cher payées pour se montrer tolérant envers ceux qui ne le sont pas et rêvent d’incarcérer à nouveau le corps des femmes et leur esprit pour se les assujettir. Du coup, « La Liberté guidant le peuple » dans cette mise hors-contexte sur fond blanc, n’est pas de l’Histoire ancienne mais d’une actualité brûlante. C’est bien le paradoxe de cet autocollant qui claque au vent pour finir : voici qu’au 21ème siècle, on se retrouve à devoir combattre comme au 19ème siècle les mêmes forces obscurantistes. Décidément, rien n’est jamais définitivement acquis ! Paul Villach 

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