Nick Conrad : idiot utile de l’extrême-droite

par Nicolas Kirkitadze
vendredi 28 septembre 2018

Nick Conrad, un nom jusque là inconnu même pour des fans de hip-hop comme l'auteur de ces lignes. L'artiste est pourtant à l'origine d'une polémique médiatique depuis 24 heures. Il s'agit d'un jeune rappeur de 28 ans demeurant en région parisienne, dans la tourmente à cause d'un clip long de dix minutes où l'on peut clairement entendre le chanteur proférer des propos contre les "Blancs". Le titre du clip, "PLB", a été décrypté par le Figaro comme "Pendez Les Blancs". Le clip montre également deux personnes de couleur tabassant un skinhead – reprise inversée d'une scène de l'émouvant film états-unien American History X.

Une vidéo qui a suscité un véritable tollé médiatique. Le Parquet de Paris s'est saisi de l'affaire et ordonne l'ouverture d'une enquête pour "provocation à la commission de crime" et "incitation à la haine raciale", délits passibles de cinq ans d'emprisonnement. "J’ai porté plainte immédiatement après avoir vu ce clip. D’abord, parce que ce monsieur n’avait pas l’autorisation de tourner un clip dans la ville de Noisy-le-Grand. Par ailleurs, il fait une très mauvaise publicité à la ville", déclare, quant à elle, la maire de Noisi-le-Grand, Brigitte Marsigny – une élue proche de Laurent Wauquiez. Le député LR Éric Ciotti a également réclamé "une peine très très lourde", tandis que Gilbert Collard demande à la LICRA de déposer plainte.

Derrière chaque "affaire", se cache une histoire. Quelle est celle de ce Nick Conrad ? Né et éduqué en région parisienne, il a grandi dans un milieu fort modeste mais intellectuellement et artistiquement florissant. Très tôt, ses parents mélomanes lui auraient donné le goût de la musique, et, en particulier du jazz. Le jeune homme, atteint d'une maladie génétique rare et incurable, dit avoir passé des journées entières dans les hôpitaux à écouter ces musiques entraînantes sur son baladeur. Son admiration pour Miles Davis le pousse finalement à étudier la trompette au conservatoire de Noisy, d'où il sort avec les compliments des ses professeurs et l'estime de ses pairs. Délaissant le jazz, il s'oriente dès les années 2010 vers le hip-hop, sans grand succès. En 2015, il avait réalisé le clip 130 Cercueils, en hommage aux victimes tuées dans les attentats du 13 novembre 2015. Il y dénonçait "la haine qui dicte le cœur des hommes".

Aujourd'hui, suite à la polémique, il a tenu à réagir. "Dans mon clip, qui n’est que de la fiction, j’ai voulu inverser les rôles de l’homme blanc et de l’homme noir et proposer une perception différente de l’esclavage". Le jeune homme tient à tempérer ses propos : "Ce clip est supposé amener à réfléchir et pas rester en surface. Le seul but est d'interpeller les gens en inversant les rôles entre Blancs et Noirs, c'était une fable. Nous restons des humains, d'un côté comme de l'autre", déclarait-il au micro de RTL.

Nombre d'entre vous éprouveront de la colère face aux propos de ce jeune artiste. J'éprouve, quant à moi, de l'affliction. Affliction d'ouïr un enfant du pays de Voltaire tenir de tels propos envers une patrie qui n'a visiblement pas su gagner son cœur. S'agit-il d'une simple fable comme il l'affirme ou est-ce une véritable déclaration de haine ? A chacun son avis ; je suspends pour ma part mon jugement, le laissant au tribunal éternel de l'histoire. Quoi qu'il en soit, Nick Conrad a attisé un feu de haine immédiatement ravivé par une extrême-droite à la traîne qui cherche à tout prix de basses polémiques sur le fumier desquelles elle prospère et fleurit ses fleurs vénéneuses.

A MM. Collard, Ciotti, Dupont-Aignan et autres élus dextrogyres écumant sur les réseaux sociaux leur désir de telle ou telle condamnation judiciaire, nous rappellerons cette édifiante citation de Montesquieu : "Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative".

En ce qui concerne Nick Conrad, qu'il soit raciste ou non, il est dans tous les cas un idiot utile de ce qu'il prétend combattre. Comment ne pas se douter que de tels propos feront jaser dans un pays où les nationalistes totalisent presque 12 millions de voix ? Comment ne pas se douter que des propos hostiles aux Blancs – fussent-ils sur le ton de la fable – entraîneront en réaction une haine envers les Noirs. A l'instar du géant Antée, dont la force dédoublait chaque fois qu'il touchait terre, l'audience et le pouvoir de l'extrême-droite croissent chaque fois que leurs valeurs phares (chrétienté, blancheur, roman national) sont mises à mal même humoristiquement.

Que ce jeune homme soit condamné, c'est là une chose normale. Car il serait contraire à nos valeurs d'égalité de condamner le racisme contre les Noirs et de laisser agir un racisme contre les blancs. Soit l'on adopte une liberté d'expression totale à l'américaine, soit l'on applique la même sanction judiciaire pour toutes les formes de haine, d'où qu'elles viennent. Mais on ne saurait dénoncer à juste tire le racisme des uns et fermer les yeux devant le haine d'autres personnes. Outre le caractère immoral et antihumaniste d'une telle duplicité, ce serait donner raison à une extrême-droite ramenarde guettant la moindre complaisance face au racisme anti-blanc afin de l'instrumentaliser. Charognards des faits divers, maraudeurs d'internet, les voici, l'armée des ombres, à l'affût de la moindre faiblesse de Marianne pour l'occire en meute. Non, la main de la République ne saurait trembler. Nous demanderons, dès lors, la même sévérité envers les "chanteurs" nationalistes tels que Kroc Blanc, auteur d'une Ode à la haine, et Amalek, dont le dernier clip – composé après sa sortie de prison – s'intitule On va casser du pédé

Quant à vous, Nick Conrad, puissiez-vous dire vrai : puisse votre chant n'être qu'une fable. Vous qui, alité, écoutiez les jazzmen blancs Benny Goodman et Django Reinhardt ; vous qui étiez au conservatoire un trompettiste prometteur ; vous qui pleuriez les victimes de la barbarie terroriste. Eh quoi ! Cet amoureux du jazz, ce républicain convaincu, ce héraut de la cause multiculturelle aurait-il laissé place à un vengeur impavide désireux d'infliger aux Blancs ce qu'ils firent jadis à vos ancêtres ? Je n'ose le croire, cher ami. Hélas, hélas, vous voici, à seulement vingt-huit ans, privé de tout avenir artistique en France. Que diable êtes-vous allé vous mettre dans cette galère… Pire que tout, par vos propos, vous avez renforcé cette extrême-droite que vous combattez. D'aucuns vous diront ennemi de la France, islamiste ou raciste. Je préfère voir en vous mon frère noir, égaré sur le sentier cahoteux d'une colère certes légitime mais qui ne saurait ni refléter votre véritable nature ni apaiser les maux que vous dénoncez. Reprenez-vous !


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