Nicolas Sarkozy défenseur de l’irresponsabilité pénale pour les milieux d’affaires

par Henry Moreigne
mardi 4 septembre 2007

En déclarant le 30 août, à l’occasion de l’université du Medef, vouloir “mettre un terme” à la pénalisation du droit des affaires, Nicolas Sarkozy a fait plus que créer une polémique. Il a adressé un signe fort aux milieux d’affaires et au reste de la société. La délinquance en col blanc, au prétexte qu’elle relèverait du goût du risque et d’entreprendre, ne devrait plus être, contrairement à la délinquance ordinaire, sanctionnable pénalement. Rachida Dati, ministre de la Justice, a été invitée à faire rapidement des propositions en ce sens.

On savait Nicolas Sarkozy héraut d’une nouvelle droite, totalement décomplexée. Pour autant nul n’aurait osé prédire que le plus haut responsable d’un Etat de droit aille jusqu’à prôner, au nom du droit d’entreprendre, l’irresponsabilité pénale des chefs d’entreprise. L’annonce a fait l’effet d’une bombe dans le microcosme judiciaire.

Les syndicats de magistrats se sont vivement émus des propos présidentiels et n’ont pas caché leur inquiétude devant le risque de mettre l’éteignoir sur certaines malversations. Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche, s’est déclarée atterrée par les propos de Nicolas Sarkozy et a estimé que le chef de l’Etat avait “choisi le camp” des patrons “indélicats”, avant d’ajouter que Nicolas Sarkozy “durcit sans cesse son propos et la législation contre les plus faibles, mais a la plus grande mansuétude envers les patrons qui auraient détourné l’intérêt social de leur entreprise au profit de leur intérêt personnel”.

L’Union syndicale des magistrats (USM), majoritaire dans la profession, traditionnellement plus modérée, a plaidé pour le maintien d’une “régulation pénale” du monde des affaires “afin que ceux qui franchissent la ligne rouge soient sanctionnés”. Son président n’a pas manqué de rappeler qu’il y a en France “une pénalisation extrêmement faible du droit des affaires” en comparaison avec la justice américaine, avant d’extraire la réelle problématique de l’annonce de Nicolas Sarkozy : faut-il y voir le souhait que la justice ne se mêle plus du monde des entreprises ?

Le sujet a beau être d’importance, hormis quelques entrefilets, il a été étrangement peu repris par la plupart des médias. L’approche présidentielle alimente pourtant les critiques formulées par l’extrême gauche lors de la campagne présidentielle qui accusaient Nicolas Sarkozy d’être le candidat du Medef et du CAC 40. L’actuel locataire de l’Elysée serait-il le président des patrons, avant d’être celui de l’ensemble des Français ?

Nicolas Sarkozy est un président qui aime la réussite et les gens qui réussissent. Il connaît personnellement tous les grands patrons (Bolloré, Arnault, Lagardère, Decaux, Betancourt, Pinault...) et entretient avec eux des relations étroites et ambiguës dignes d’un système de cour dans lequel ces princes de la finance cherchent à s’attacher sinon les faveurs au moins la bienveillance de ce puissant. Homme politique paradoxalement populiste au style proche de Berlusconi, il a pu compter sur leur soutien sans faille aussi bien avant que pendant et après la campagne présidentielle.

Le Monde du 31 août révélait que Dominique Desseigne, PDG du groupe Barrière, l’avait hébergé plusieurs mois dans l’une de ses luxueuses villas pendant la campagne. En remerciement, la victoire électorale du 6 mai a été célébrée dans les salons du Fouquet’s, propriété du groupe. Dans le même style, personne n’a oublié l’épisode maltais sur le yacht de Vincent Bolloré qui n’avait pas hésité également à prêter son avion personnel. Simple geste amical ? Le doute est permis au regard des importants intérêts que possède le groupe éponyme en Afrique. Un continent sur lequel l’Etat français joue depuis des décennies un jeu politico-économique des plus troubles. Le séjour américain de la famille Sarkozy dans une somptueuse villa prêtée par de généreux amis anonymes laisse comprendre qu’il s’agit là d’un mode de relations, d’échanges entre sphères du pouvoir politique et économique.

Les affaires aiment le secret des alcôves. Dans ce milieu on n’aime pas que des petits juges viennent mettre leur nez. On compte alors sur ses relations politiques pour donner des instructions et faire rentrer dans le rang, à coups d’opportunes promotions, les fonctionnaires trop zélés. Dans ce combat inégal, la délation, la lettre anonyme est souvent l’une des rares armes qui permet de faire émerger des pratiques illicites. Valable pour lutter contre le terrorisme, la méthode deviendrait inacceptable lorsqu’il s’agit de la haute finance. De la haute tout court.

A l’évidence Nicolas Sarkozy n’a toujours pas digéré sa mise en cause bricolée dans l’affaire Clearstream. De faux listings pour une vraie affaire. Les ennuis, à la pelle, auront été, en l’espèce, exclusivement réservés à Denis Robert, le journaliste d’investigation trop curieux qui l’a soulevée.

En revendiquant l’impunité pénale pour les affaires économiques au motif que “les erreurs de gestion” doivent se régler au civil, Nicolas Sarkozy fait preuve d’un détestable réflexe clanique : protéger ceux qu’il considère comme les siens. Il met au passage un sérieux coup de canif à un principe de base de toute démocratie : une justice égale pour tous.

La mise en exergue inattendue par les médias des derniers propos d’Eva Joly à France Info mardi permettra peut-être d’ouvrir le débat. L’ex-juge déclare notamment : “Il me semble que les valeurs que dessine le président Sarkozy ne sont pas celles de la France que j’aime. Les méthodes qu’il suggère sont celles de M. Berlusconi. Pour moi, c’est un extraordinaire et étrange choix que de choisir de soutenir les délinquants contre les victimes”, avant d’ajouter : “Je ne comprends pas un pays qui responsabilise ses enfants et ses fous et irresponsabilise ses élites et cela me paraît une grave erreur et surtout une absence de compréhension de ce que veut dire la criminalité organisée et économique”.

Crédit photo : Christophe Ginisty

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