Noël : Réveillon... Réveille-toi !

par George L. ZETER
jeudi 27 décembre 2018

Ah, le réveillon de Noël... Encore faut-il avoir des parents, grands-parents, des enfants, même de lointains cousins avec qui célébrer, bâfrer, picoler et messe de minuit si affinité. Quant aux amis, eux, c’est plutôt pour le nouvel an qu’on gueule le décompte avant que les confettis tombent, que les bises volent et que les verres tintent.

Durant des années j’ai célébré Noël avec un groupe d’amis, comme moi déracinés à San Francisco, et dont les familles se trouvaient sur d’autres continents.

On a bien fait ça quatre ans de suite, dans l’appartement d’une amie éthiopienne, Rachel et son ami Messikir. Il y avait un gars de Colombie, un ou deux autres Éthiopiens, un Allemand, Italien, ma compagne de l’époque vénézuélienne, moi et un ou deux autres oubliés de Chine ou d’ailleurs. On s’offrait des petits cadeaux, on dégustait les plats nationaux que chacun avait concocté, on se faisait la bise en pensant bien fort à ceux restés « là bas », tout un sablant du champagne mexicain... Comme les communications téléphoniques coûtaient bonbon, les mots gentils très certainement adressés aux êtres aimés de chez nous restaient coincés dans la gorge, et nous essayions malgré tout de passer un bon moment avec parfois des rires forcés. Ces quelques soirées de la St Sylvestre sont restées en moi, de par cette ambiance un peu « radeau des rescapés », joie intériorisée, et surtout que toutes les races, toutes les religions, cultures, horizons peuvent cohabiter en bonne amitié autour d’une célébration abracadabrantesque qui prend pour thème : Un marmot naissant dans une étable (bonjour l’hygiène), d’une mère vierge ( ???), d’un père charpentier, entouré de trois lascars mages et d’une ribambelle d’animaux de la ferme... Manque plus que les 12 nains et Harry Potter... Puis, tard, nous sortions, dans la torpeur d’une nuit californienne, sans neige, sans gel, et remontions Californie street, le long de la voie du cablecar qui imperturbable ferraillait en direction de downtown. Dans le south market, nous allions dans des after hour, là, où on pouvait faire la gross teuf jusqu’à plus soif d’abrutissement. Mon spot favori s’appelait « DNA  », ADN en français, une boite toute noire où des groupes live jouaient assourdissants. Ca déménageait sec, tout en avalant des téquila frappées, des magic mushrooms et autres denrées qui donnent le fou rire ou foutent la tête de biais...The California Dream quoi ! C’était le temps de Clinton, d’une Amérique dans sa dernière ligne droite concernant la tolérance, la qualité de vie et les libertés. Pourtant les années Bush se dessinaient et sonneraient le glas du 20eme siècle. Amen !

Pour moi, très intimement ce réveillon de Noël depuis mon enfance a toujours été comme un cailloux dans ma godasse ajouté à une épine dans le pied et un furoncle en pleine face ; c’est vous dire ! Je ne rentrerais pas dans les détails, pas la peine de faire chialer dans les chaumières et faire pipi au lit. Heureusement, j’ai eu aussi quelques réveillons mémorables, entre autre un, que je vous conte... De Noël.

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Celui de 1993. Je vivais à Caracas depuis deux mois, je bossais pour une boîte de prod de films publicitaires et avais rencontré celle que j’épouserai un jour, Johanna. Pour les fêtes, nous décidâmes d’aller les passer en forêt amazonienne. Vol Caracas-Puerto Ayacucho. Arrivé sur place, le fleuve Orénoque tout jaune bouillonnait, monstrueux. On m’avait refilé l’adresse d’une Française installée dans ce patelin, où je trouvais une bonne table et de quoi dormir décemment. Au matin, nous prîmes une barcasse pour traverser le fleuve et aller sur la rive en face, en Colombie. Quelques emplettes, un déjeuner et retour pour une visite de ce port du bout du monde. J’ai failli ne jamais aller plus loin, car proche de Ayacucho est un toboggan naturel sur un des affluents appelé « bogan de la selva ». Disneyland n’aurait pas fait mieux : c’est des eaux tumultueuses qui descendent rapidement sur des rochers supers glissants, et qui aboutissent 100 mètres plus bas dans une piscine naturelle. Je n’ai pas fait attention est ai dévalé d’un trait cul par-dessus tête à vitesse supersonique sur les fesses cette dénivellation, en cognant et rebondissant sur les parois et pour terminer dans un énorme splach dans la piscine. J’étais couvert de bleus, ma montre explosée, mais, rien de grave à part la grosse honte, car tous les autres (nombreux) se fendaient la pipe en ayant vu ce gringo dévaler en gueulant à la mort ! 

En partant, nous avons eu un avant-goût de la dégénérescence des tribus indiennes, car, des Yanomami, déguisés en bons sauvages se faisaient photographier contre des billets en bolivars, par des touristes nord-américains, comme au bon vieux temps des zoos humains de Paris.

Au petit matin, en faisant du stop, nous arrivâmes au bout de la route, textuellement, la route se termine dans le fleuve Orénoque. A partir de là, c’est tout en pirogue, pilotées par des indiens des tribus Yanomami, qui cette fois-ci étaient vêtus d’oripeaux de ville.

Johanna baragouina avec un des pilotes, et hop, nous deux et bagages à bord, vamolos, toute ! 

Il faut savoir que l’Orénoque va à la vitesse d’un torrent, on ne s’en rend compte seulement lorsque que l’on navigue ; vu de la rive, ça donne une impression de fausse lenteur... Parfois le fleuve est si large qu’on ne voit plus les deux rives, il y a aussi des tourbillons, comme des tours d’eau qui aspirent les embarcations vers les abysses, qui parfois sont à plus de 30 mètres de profondeur... Imaginez la force du courant et la masse d’eau en mouvement ! Chaque Indien a une portion de fleuve qu’il connaît comme sa poche, il ne va donc que d’un point à un autre et passe le relais pour continuer la descente à un congénère. Notre pilote se joue des tourbillons dans une lutte acharnée, il n’empêche à moins d’être totalement barjot, cette « balade » de plusieurs heures n’a rien de rassurante.

Nous arrivons sur le rivage d’une ile : isla Raton, l’ile du rat. Les tribus ne vivent plus dans la jungle, mais sur ces ilots disséminés un peu partout au centre du courant. La 1ere chose qui marque, c’est que toute la jetée est jonchée de boites de bière vides ; Cerveza Polar, de production nationale vénézuélienne.

Le seul habitant parlant à peu près espagnol est « senior mono », monsieur singe... Il nous loue un cabanon, pourvu d’un hamac à deux places et d’une réserve d’eau. Tant bien que mal nous réussissons à trouver de quoi manger, et prendre une douche, faite d’un bidon percé, et d’un jerrican ; mais sous la voute étoilée, car à l’équateur les astres vous touchent, il suffit de tendre la main. Nous nous installons dans le hamac... Comme Johanna est petite et légère comme une plume, assez rapidement elle se retrouve en dessous et moi étalé sur elle ; la seule solution est de mettre une planche au milieu pour ne pas rouler l’un sur l’autre... Finalement, dans une chaleur de fournaise nous nous endormons. Vient un ploc, ploc, ploc, j’allume la lampe torche et voit le sol grouillant de cafards gros comme des boîtes d’allumettes familiales. Heureusement que nous avons sorti la moustiquaire... Un conseil, n’écrasez jamais ces sales bestioles, ça pue le cadavre. Un autre conseil, enduisez les têtes de hamac de mousse à raser, les petites bêtes voulant venir vous chatouiller la nuit, s’embourbent dans la mousse et trépassent.

Nous passons une journée du 24, un peu irréelle, car, la seule occupation pour les natifs, c’est... de descendre des bières et de se fournir en coke, pas le soda hein !, mais la poudre à nez qui rend speed. Vers le soir c’est assez électrique. Vient l’heure de la messe de minuit. J’y vais pour la 1ere fois de ma vie. Ce sera une expérience unique et inoubliable, car, dans leur naïveté, dénuée d’aucun cynisme, les Indiens prient dieu, vraiment comme si il était avec nous, là, dans cette case/église du fin fond du voyage au bout de la nuit. La ferveur est palpable, et comme je suis le seul homme à jeun et costaud, une maman me colle dans les bras son bébé pas plus gros que ça. Comme j’essaye de chanter avec tout le monde, il me regarde intensément de ses yeux de petit chat, et me sourit en continu. C’est comme le début du monde, troublé soudain par un coup de fusil. On apprendra plus tard qu’un mari cocu a trouvé sa femme avec un autre et lui a réglé son compte. C’est apparemment courant, car, l’armée n’est venue que deux jours après. Nous sommes tout de même avertis ; ne pas avoir de problème ou sinon, assumer le fait que les choses se règlent à coups de tromblon.

Nous avons passé trois jours, où la population très curieuse, surtout les enfants, n’avait jamais vue un blanc comme moi ; si vous êtes en quête de popularité, et bien allez là-bas, vous y deviendrez LA curiosité exotique. Ces Indiens sont accueillants, mais, comme le gouvernement vénézuélien se sent une dette envers eux, tout le système est tombé dans l’excès inverse : les subventions arrivent à bon port, l’argent est distribué sans contrepartie ; de chasseurs ils sont devenus des rentiers, grassouillets, qui ne savent plus quoi faire de leurs dix doigts, d’où ces gros problèmes d’alcoolisme et de prise de drogue, qui a pour résultats des violences graves et de la prostitution de la part des jeunes femmes. Bref, un ratage parfait avec les meilleures intentions du monde.

 

Nous avons continué la descente pendant quelques jours, et avons passé le nouvel an, seul, ou presque dans une case. Je dois signaler qu’il est impossible d’entrer dans la jungle. Entre le fleuve et l’eau qui coule, il y a une bonne trentaine de mètres de mangrove, d’arbres tombés et une faune inidentifiable, mais dangereuse, venimeuse qui vit dans cet enchevêtrement. Une seule fois nous avons vu un sentier, que nous avons pris. Arrivé en haut, un espace dégagé, une case, des mecs carrément patibulaires accompagnés de quelques dames à vertu aléatoire. Ils étaient là pour fabriquer de la cocaïne ; des narcos comme on les nomme. D’ailleurs, j’ai vu plein de barils de pétrole bleus et des sacs de produits chimiques. Je vous dis pas l’impression de solitude de traverser cet espace sous les regards de ces tueurs des bois... Il y avait comme un comptoir, j’ai fait le mec cool, et commandé une bière ; bien chaude. Pas question de lier parole, pas question de prendre des photos, juste se faire gris, passe muraille et de filer fissa sans surtout se retourner... C’est chaud de marcher en tournant le dos à des mecs comme ça, armés comme des commandos, qui n’hésiteront pas à tirer et balancer le cadavre dans le fleuve : temps de disparition à mon avis moins de 5 minutes, bouffé par les crocos et autres piranhas. 

Le retour se fit en deux jours de bus déglingués, poussiéreux, cahotants et les reins brisés pour traverser la sabana et retrouver les folies caracaignos.

Pourtant, ce fut mon meilleur « Navidad », mon best Christmas, mon Noël Nobel !

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Aujourd’hui, avec Facebook, je peux assister comme invité lointain et virtuel aux célébrations photographiques de mes amis : ces grandes tables dressées, prêtes à festoyer, ces familles sur fond de sapin, ces ouvertures de cadeaux pour les petits, ces selfies qui réunissent riantes toutes générations confondues et parfois je reconnais un pote déguisé en père Noël... mais chut, faut pas le dire, ça pourrait briser le rêve de quelques-uns...

Vous avez du bol, et vous le savez certainement. En attendant, je vous souhaite un joyeux Noël à tous !!!

Georges Zeter/25 décembre 2018


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