Non à l’élargissement de la déchéance de la nationalité ! La République a bien mieux à faire pour se faire aimer

par guylain chevrier
mardi 29 décembre 2015

Face aux critiques qui ne cessent de se multiplier à gauche, Manuel Valls a de nouveau défendu ce lundi le projet d’élargir la déchéance de la nationalité aux binationaux nés Français et condamnés pour terrorisme, jusqu'à l'inscrire dans la Constitution. Le Premier ministre s’en est pris aux « amalgame(s) » et aux « arguments infondés » qui renforcent selon lui la « propagande » du Front national et des « cercles identitaires ». Mais du côté de la présidence et du gouvernement, se rend-t-on bien compte de ce qui est en jeu ici et d’où viennent les amalgames qui créent les conditions de l’affrontement autour de cette question ?

Comment ne pas comprendre le coup de colère de militants de gauche qui ne savent plus à quel saint se vouer, alors que le clivage gauche-droite ne cesse de se brouiller, qu’une grave crise d’identité marque une gauche de plus en plus désemparée et absente de tout projet politique de transformation sociale. Il ne semble plus rester come but que l’entretien de l’épouvantail FN si pratique comme rabatteur de voix pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir ! Les principes sur lesquels la gauche se distinguait comme force de progrès ont depuis le début du quinquennat largement volé en éclats.

 

Concernant cet élargissement de la déchéance de la nationalité aux binationaux, sur ce sujet comme sur d'autres, il est précisément affaire de principe et là encore on fait les mauvais choix. Celle-ci n'a rien à faire comme variable d'ajustement de la lutte contre le terrorisme. Comment omettre le contexte dans lequel vient cette question ? En dehors d'être inefficace elle a des échos de préférence nationale qui font froid dans le dos, que le FN ne manque pas d’exploiter à dessein. C'est aussi flatter l’idée d’une remise en cause du droit du sol, dans quoi une droite revancharde pourra s'engouffrer le moment venu. Un droit du sol qui vient de cette terre civique, celle par laquelle on acquière son statut de droit, contrairement à l'unique sang qui a des relents de race, à l'opposé des privilèges transmis par voie d'hérédité. Un droit qui fut inscrit dès la 1 ère Constitution du 3 septembre 1791 dans les textes fondamentaux régissant l'Etat au nom de la Nation, avant même la naissance de la République, puis, définitivement depuis 1889 dans nos institutions. On ne se rend pas compte de ce que l'on abandonne là et à qui ! 

C'est aussi donner à la nationalité une atmosphère négative, ce qui n'aidera en rien à lui redonner de la valeur dans nos quartiers socialement en difficulté ou la religion reprend le pouvoir à force d'incohérence et de lâcher-prise. C’est là où il faut faire aimer la République en l’affirmant haut et fort mais dans toute sa cohérence et non en jouant l’opportunisme qui détricote ses principes, qui brouille ses valeurs.

 

La République est mise à mal par le communautarisme, nourrit dans certains quartiers derrière un discours qui la combat et favorise dans son ombre le risque de djihadisation de jeunes de nos banlieues, où la religion est mise au service de la haine des autres par rejet des valeurs communes. Mais encore aujourd’hui dans les milieux gouvernementaux on refuse de faire le lien entre radicalisation et repli communautariste, sous prétexte que ce ne serait que stigmatisation. Pourtant, des jeunes Belges qui ont subi la radicalisation et s’en sont sortis, musulmans qui ne rejettent rien de leur identité, ont fait une pièce de théâtre joué en ce moment à Bruxelles « DJIHAD » (D'Ismaël Saïdi) qui sans ambiguïté décrit comment, si la condition sociale des individus peut avoir son importance dans ce processus sectaire de la radicalisation, c’est bien l’enfermement religieux qui est déterminant et le détournement de la religion à des fins de rejet de ce qui permet de faire société ensemble.

 

On a beau jeu de parler d’amalgame du côté de la présidence de la République parce qu’on l’accuse de céder aux sirènes de la droite voire de l’extrême-droite. Ce n’est pourtant qu’un juste retour du bâton ! Avant même les attentats de janvier, la confusion n’a cessé de dominer, encourageant les amalgames, dont combien de laïques se sont trouvés être victimes ! On a centré la réponse aux difficultés de l’intégration sur plus d’enseignement dut « laïque » du fait religieux à l’école, en insistant encore plus sur les différences au lieu de le faire sur ce qui nous rassemble, à front renversé. La Charte de la laïcité à l’école, qui a été une avancée prometteuse, s’est vue minorée dans sa portée en étant soumise à la signature des parents, alors qu’elle aurait dû être non négociable comme l’est tout règlement intérieur d’un établissement. Par ailleurs, les élus ne cessent de jouer du clientélisme politico-religieux, à la faveur des dérogations entérinées par le Conseil d’Etat suivant leurs pratiques de contournement de la loi de séparation du 9 décembre 1905. Le Conseil Français du Culte Musulman a fait une Convention citoyenne des musulmans de France, en mai-juin 2014, saluée par le gouvernement, dans laquelle on affirme que l’égalité homme-femme serait dans le coran, sous prétexte des mêmes exigences religieuses pour les deux sexes, ce qui est un mensonge éhonté qu’il est facile à chacun de découvrir dans les sourates 2 et 4 particulièrement discriminatoires pour elles, qui en font un être inférieur par essence, de façon insupportable. Toutes les religions sont issues de sociétés patriarcales et violentes car appartenant à des temps reculés en reflet des sociétés d’alors. Pourquoi continuer de mentir sur ce sujet si essentiel qui jette la confusion dans les esprits dans les rapports entre République et religions ? On empêche ainsi de poser les questions essentielles qui permettraient à la République et sa laïcité d’être comprise par tous, non comme étant contre les religions mais garantissant la supériorité pour tous du droit sur les croyances, la liberté de choix de chaque individu en toutes circonstances, et donc, garantissant aussi le droit de croire ou de ne pas croire comme d’exercer leurs différents cultes pour les croyants. N’est-ce pas à cette modernité à laquelle invite Ghaleb Bencheikh, lorsqu’il propose de réformer l’islam pour le mettre en conformité avec les évolutions de l’histoire et l’esprit des droits de l’homme1 ? C’est précisément le contraire qu’a défendu dans l’ouvrage « Droit et religion musulmane » (Dalloz, 2005) Chems-eddine Hafiz, actuel vice-président du CFCM, en affirmant que « le droit est sans prise sur la foi » ! Sans compter encore avec Jean-Marc Ayrault, ex-Premier ministre, qui ose venir à la charge contre cette mesure au nom de « l’égalité », lui qui avait proposé une refonte de l’intégration qui entendait en finir avec la loi du 15 mars 2004 d’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’école publique, jugée discriminatoire, et remplacer ce beau principe par la discrimination positive, ce qui avait été heureusement repoussé par un large mouvement des militants laïques. On pourrait encore évoquer les relents anti-arabes d’un nationalisme corse, antirépublicain par vocation, que l’on a laissé devenir fréquentable et s’installer tranquillement à la tête de l’exécutif régional de l’ile, qui ne vaut pas mieux que le FN.

 

Voilà où nous en sommes, à quoi l’élargissement de la déchéance de nationalité aux binationaux rajoute une belle couche de confusion. Elle est la fois inacceptable mais aussi incompréhensible, à la mesure d’une idée de nation battue en brèche par les communautaristes de tous bords sans réaction des biens pensants. Pourtant, la liberté du peuple réside bien dans sa souveraineté, celle de ses choix politiques, là où se tient le véritable pouvoir pour tout Etat de droit qui se respecte ! Sans cela, que vaudraient donc par exemple ces droits sociaux auxquels nous tenons tant, qui n’ont de valeurs que sur ce sol qui est celui de notre pays ? Une notion de nation on le sait, aussi tant mise à mal par une Europe impériale qui impose l’austérité et la mal vie aux peuples européens dans leur immense majorité, en invitant à toujours moins d’Etat et plus de libéralisme, à la négation de la libre détermination des peuples, et au ré-encadrement par la religion de sociétés démoralisées par la logique de l’argent-roi. Le désordre des principes et des valeurs confine à l’absurde avec cette proposition, au regard de quoi on se trompe aussi d’époque !

 

La nationalité, voilà un beau sujet à propos duquel la pédagogie aurait gagné à nous faire faire retour sur les principes, comme il est si souvent oublié de le faire aujourd'hui du côté des gouvernants et de trop de nos représentants. C’est la Charte des droits et devoirs du citoyen Français3 qui devrait être le vrai sujet de notre débat, qui pose très bien le sens qu’a, aux yeux de la République, la nationalité. Voilà le chemin pour redonner l’envie de devenir français à de nouveaux venus et à ces jeunes de nos quartiers qui ont souvent obtenue la nationalité française par le droit du sol, de s’en emparer, à laquelle la République doit tendre ses bras, mais des bras forts et sûrs dans ce qu’elle a de meilleur à faire partager.

 

 

1-Ghaleb Bencheikh (Président de la conférence mondiale des religions pour la paix), « Certains responsables religieux musulmans sont comptables et coupables des crimes perpétrés au nom de Dieu ». Huffington Post, 18/11/2015.

2- Chems-eddine Hafiz et Gilles Devers, Droit et religion musulmane, Dalloz, 2005, pages 34 à 36.

3-Charte des droits et devoirs du citoyen Français . http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2012/10/cir_35947.pdf

 

Guylain Chevrier

Jean-François Chalot


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