Non, Aung San Suu Kyi n’est pas Mère Teresa ! Et ce n’est pas un scoop !

par Clark Kent
mercredi 20 septembre 2017

Depuis que le prix Nobel de la paix lui avait été décerné en 1991, la lauréate était devenue l’objet d’un tel culte de la part des médias occidentaux que l’image véhiculée était celle d’une sainte, canonisée par les journaux après un long martyre. La crise des Rohingyas met à mal ce mythe moderne.

 

Mardi dernier, Mme Aung San Suu Kyi Conseillère spéciale de l'État et porte-parole de la Présidence de la République de l'Union de Birmanie a déclaré au parlement de son pays (appelé aussi Myanmar), à propos du harcèlement subi par la minorité musulmane des Rohingyas : "On a pu entendre des allégations et des contre-allégations ... Nous devons nous assurer que ces allégations sont fondées sur des preuves solides avant de prendre des mesures. "

Cette tentative de rattrapage met fin à un long mutisme, et il est probable qu’il s’agit davantage du résultat de pressions de la part des pays "influents" que du reflet de son inclination personnelle. Elle avait eu la même attitude en janvier en restant silencieuse pendant plusieurs jours après l'assassinat de M. Ko Ni , avocat principal de son propre parti et conseiller constitutionnel d’origine musulmane.

On sait qu’elle se trouve dans une position très difficile de leader de la société civile dans un état toujours contrôlé par les militaires. Mais tous les dirigeants de pays en situation transitoire sont confrontés à une multitude d'intérêts et de factions contradictoires, et leur rôle est justement de tracer la voie qui aide à surmonter les affrontements. Certes, l'armée du Myanmar conserve une grande influence et un certain pouvoir à travers le pays, mais en contre-partie, Aung San Suu Kyi bénéficie d’un grand prestige auprès de la population.

Or, son silence ne porte pas seulement sur la situation actuelle des Rohingyas. Elle n’a pas davantage réagi aux discours de haine ni aux préjugés qui ont mené un nombre croissant de villages au Myanmar à afficher sur des panneaux libellés « pas de musulmans ici » leur position discriminatoire depuis des mois.

Permettre aux discours de haine de se répandre, c’est abandonner toute ambition de d’encadrement moral et laisser se former des tensions dangereuses pour l’équilibre social. Pour ceux qui pourraient soutenir qu' Aung San Suu Kyi a fait de son mieux dans les circonstances de son pays, ils peuvent aussi se demander pour qui ! La majorité Bouddhiste Bamar , ou toute la population ?

Compte tenu de ses liens de longue date avec la Grande-Bretagne, les critiques dans ce pays ont été particulièrement fortes. Le ministre des affaires étrangères, Boris Johnson, l'a exhortée à utiliser le « capital moral » qu'elle a engrangé pour empêcher les persécutions. Seulement voilà, Aung San Suu Kyi n’est ni Nelson Mandela ni la Mère Teresa, et en fait, elle a probablement été tenue sur un piédestal par trop de gens trop longtemps : diplomates, journalistes et célébrités ont fait la queue pour la rencontrer pendant des années.

Le photographe Nic Dunlop a pris la photo noir et blanc qui illustre cet article, un portrait emblématique mais déconcertant : ce regard, ces bras croisés et ce chemisier blanc ont contribué à créer la légende de « la Dame », le « papillon de fer » dont chaque mot était un oracle dans les grands médias occidentaux, au point de lui accorder un crédit moral illimité et de construire une figure de légende dont les boulimiques de « peoples » et « tabloïds » raffolent !

Pourtant, il suffisait de se rappeler qu’elle a toujours été la fille de son père, le général Aung San qui a fondé le Tatmadaw (nom donné à l’organisation militaire birmane) et qui a mis son pays sur la voie de l'indépendance, (il a été assassiné avant le succès du projet qu’il portait). Cet ascendant se manifeste dans son comportement habituel, et en particulier dans sa façon de diriger son parti, la Ligue nationale pour la démocratie, dans un style très peu « démocratique ».

Depuis 25 ans, le Myanmar a été réduit par les grands médias et les ténors politiques et culturels à un simple dilemme entre « la Dame » et les généraux. A les croire, la libération d’Aung San Suu Kyi suffisait pour mettre l’histoire sur la bonne voie.

Mais en réalité, qui est vraiment cette femme de 70 ans à laquelle le monde entier a rendu hommage pour son courage et sa résistance à une dictature militaire ? Se poser la question, c’est reconnaître que nous ne pouvons pas nous contenter des récits distillés par la "fabrique du consentement". S’en contenter, c’est prendre le risque d’être fort dépourvu quand les réalités surgissent, imparfaites et désordonnées.

Pour comprendre le monde dans lequel nous vivons, et agir le cas échéant, nous avons besoin de beaucoup plus que de symboles.


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