Non, BHL n’est pas « le plus grand intellectuel de notre temps »

par chimino
samedi 18 novembre 2017

Je suis tombé, par le plus grand des hasards, sur un texte de Nathan Naccache qui, à la suite de la lettre envoyée par Eric Dupond-Morreti à Bernard-Henri Levy, tente de réhabiliter ce dernier. Chantier ardu s'il en est, téméraire même pour quelqu'un qui n'hésite pas à affirmer qu'il est "le plus grand intellectuel de notre temps". Sa réputation philosophique est, il est vrai assez médiocre. Et lorsque, (par amitié semble t-il), quelqu'un mobilise tous les sophismes du monde pour tenter de lui dessiner un portrait d'écrivain sérieux et honnête, je ne puis en tant qu'étudiant en philosophie faire autrement que m'en offusquer.

L'article de Nathan Naccache sur Atlantico

Voici quelques éléments de réponse.

1. Vous dites que la chronique princeps en question était "cultivée, nuancée et respectueuse". Pourquoi-pas. Peut-être mélangez vous la politesse et le respect, la première est conventionnelle. Lorsqu'il pointe son "inculture", son émotion qu'il juge "feinte", son attitude "indécente" " obscène", "pathétique" et "victimaire". Se faisant psychanalyste (bien qu'il admet ne jamais avoir entendu parler d'EDM auparavant) , il estime que son rêve est de "reprendre le rôle du grand avocat dramatique", parr dessus toute morale, et que sa défense n'est que du toc, une "commedia dell'arte". Et contrairement à ce que vous laissez pensez, il n'y à pas d'arguments, la chronique n'est que le récit des sentiments que BHL a eu à l'écoute de l'interview.

2. Effectivement, vous avez bien raison de le souligner, la lettre de réponse ne cherchait absolument pas à lui répondre sur le fond - bien que le fond se résumant à la perception de BHL, il est bien difficile d'en avoir une discussion. Le but était bien évidemment de lui signifier son mépris. Mais, on peut avoir du mépris pour les gens, c'est humain. Effectivement, beaucoup en ont à l'égard du parcours de BHL. Mais parler de haine qui ne met en scène que sa propre ignorance, c'est beaucoup dire. Et il est encore plus abusif de mêler immédiatement la chronique de l'avocat aux propos d'antisémites décervelés et aux nazis. Mais terriblement courant, et se faisant vous ne vous placez pas beaucoup plus haut que les réseaux sociaux.

3. Vous soulignez son classement au concours de L'ENS ("identique à celui de Sartre"  !) ainsi qu'à l'agrégation. Personne n'a jamais remis en cause ses brillants diplômes, obtenus il y a une cinquantaine d'années. Mais avoir un diplôme brillant n'a jamais empêché d'avoir une production intellectuelle médiocre ;tous les caciques de normale sup' n'ont pas marqués l'histoire de la philosophie. Vous lirez probablement avec intérêt l'avis de quelqu'un comme Jacques Bouveresse (1er à l'agrégation... ), qui d'ailleurs ne diffère guère de celle d'une bonne partie des gens sur le sujet. De même, les divers "appuis" reçus par des philosophes au début de sa carrières sont bien souvent assez bancals et/ou anecdotiques quand on creuse un peu.

4. BHl, critiquait donc la "barbarie économique", comme l'ignorent ses détracteurs qui n'ont jamais lu La Barbarie à Visage Humain. Outre que l'expression "barbarie économique" ne figure jamais dans le livre en question, ce qu'il estime être les 3 figures de barbarie de notre époque sont "la technique, le désir et le socialisme". Selon lui en effet, le socialisme est "une modalité du Capital" , mais "une modalité barbare". Ne vous y trompez pas, le seul ennemi de ce livre, c'est tout ceux qui pencheraient un peu trop à gauche, rien d'autre.

Il est peut être heureux d'ailleurs, que ses détracteurs ne l'ait pas lu. Dans cet ouvrage, il vise les socialistes et les marxistes, avant tout. Certes d'une manière très sophistiquée (ne lui jetons pas la pierre, cela est typique d'une certaine philosophie française) ; le propos est assez curieux, construit sur des affirmations péremptoires, de la rhétorique, ou de la célébration de soi. ("Qu'ont-elles à faire, les « masses », de ces vaniteux « principes (...) toute leur histoire l'atteste, ils n'entrent en rébellion que pour ne pas savoir justement (...)Que leur valent nos lumières dans cette épaisseur de nuit dont ils font leur demeure dès lors qu'ils nourrissent le rêve de casser en deux l'histoire ?" ).

Le prolétariat ? "c'est la classe qui échoue à accoucher de la société bonne, mais qui l'emporte au contraire en consacrant l'état barbare." La place du philosophe dans la société ? "jamais plus nous ne serons les conseillers des Princes, jamais plus nous n'aurons ni ne viserons le pouvoir" Dois-je commenter la mauve fortune qu'a rencontré ce principe ?

Prenons par exemple le chapitre III, où il essaye d'expliquer en quoi le prolétariat n'existe pas. Bien entendu, il ne s’embête jamais de preuves empiriques, pour répondre à cette question (empirique pourtant). Une vague intuition, de vagues généralisations historicisantes. Et c'est la que l'ont voit que la question de la fortune personnelle n'est pas si anecdotique, ni futile. Elle peut avoir des effets théoriques. Lorsque l'on sous entend que "le prolétariat", lorsqu'il existe et accède au pouvoir n'est mu que par ses instinct de serfs ("A croire que son pouvoir même est d'une certaine façon la forme exacerbée de sa volonté de survivre, donc de servir"), oui, l'on peut légitimement se demander si vivre dans le luxe depuis son enfance et n'avoir jamais eu à travailler pour assurer sa subsistance ne biaise pas le regard.

Rajoutons enfin, que le tout se mêle à des analyses assez navrantes de la situation politique à venir : "La barbarie à venir aura (...) le visage humain d'un « socialisme » , (...) le règne d'une plèbe qui déja (...) se reconnaît dans les miroirs de l'extrême droite chiraquienne et du communisme souriant". A la tertiarisation des économies, il oppose : "La thèse inverse (...) il n'y aura plus effectivement qu'une classe dans la barbarie qui s'annonce, (...) la classe ouvrière, ou si l'on préfère, le prolétariat." Un age prolétarien et barbare adviendrait, dans un affaiblissement des antagonistes sociaux. Quelques décennies plus tard, on s'aperçoit qu'ils n'ont jamais été aussi fort.

Citons pour finir ce passage assez drôle, ou il fait de "La figure du Travailleur comme style et destin de l'homme". "Le travail (...) n'est plus le sort réservé aux humiliés, aux exploités, aux opprimés (...) Pas un groupe social qui ne partage ce même pain quotidien.". Pour quelqu’un qui n'a jamais été obligé de chercher un emploi et qui vit sur un héritage, la chose est piquante. Non, opposer des éléments de sa biographie à un auteur n'est pas de la haine, c'est simplement pointer que les hommes étant ce qu'ils sont, le contexte aussi, parles des chemises Charvet n'a rien d'indigent et peut faire sens. Sauf dans le monde fantasmé d'une discussion pure, éthérée et désincarnée. C'est précisément ce genre de contradiction qui amènent bien des gens de bonne foi à ne pas considérer BHL comme un intellectuel important.

5. Pour être tout à fait précis, remarquons qu'EDM n'a pas accusé BHL de conduire des Roylls, et que l’anecdote selon laquelle il n'a pas son permis de conduire ne sera pas, dans l'état actuel de la société, de nature à casser son image d'intellectuel bourgeois...

6. C'est une bien singulière inversion des perspectives que de répondre aux critiques sur son patrimoine en pointant le fait que cela lui permet d'échapper "à la tentation de la prostitution". Faut-il alors suspecter tous les intellectuels qui n'ont pas un patrimoine de départ conséquent de se prostituer ? De plus, combien aujourd'hui d'intellectuels ne vivent que grâce à leurs droit d'auteurs ? En fait, au moins dans le monde de la philosophie, il faut noter que beaucoup d'auteurs sont enseignent à l'université. L'université, parlons-en. Il la juge comme "mouroir de la pensée", mais dans le même temps, sur le site publicitaire bernard-henri-levy.com, son court passage à l'université de Strasbourg ( un "turboprof" nous dit-on) , ne lui semble pas avoir été des plus désagréables. Quoi qu'il en soit, les exigences de la vie universitaire, rigeur et sérieux, ne sont manifestement pas compatible avec sa manière de penser. Pas plus que la réalisation d'une thèse de doctorat qui aurait de toute manière été la condition pour être professeur.

Lorsque vous suggérez au contraire, que c'est EDM qui a besoin de se "prostituer" pour vivre, c'est la encore absurde, lorsque l'on songe à la réputation de cet avocat (quelle qu'elle soit, il n'a pas besoin de ce genre d'affaire ou de polémique pour travailler).

7. L'affaire Botul vous parait bien peu grave. La encore, pour le justifier, vous tenez un discours particulièrement tiré par les cheveux. Il n'y a pas besoin d'être "misérable de la pensée" pour s'en offusquer, puisque qu'aucun mémoire de M1 ne passerait avec une telle bévue, qu'un minimum de vérifications aurait pu éviter.

Ensuite, je ne vois pas quelle doctrine sérieuse peut justifier ou atténuer ce genre d’erreur, et même la sienne ne semble pas le faire. Certes, BHL n'a jamais été un ami du rationalisme, mais prendre le risque de citer un auteur qui n'existe pas n'est pas une méthode d'investigation philosophique, j'en suis désolé. Ou si elle en est une, je serais ravi de rencontrer celui qui accepte de diriger des mémoires ou des thèses de cette manière, qui doit grandement faciliter la chose.

On peut néanmoins pardonner ce genre d'erreur. Mais chercher à la justifier théoriquement et a posteriori, c'est plus compliqué.

8. Enfin, je ne m’étendrais pas sur son comportement vis à vis d'Israël. Néanmoins, on peut dire que la encore, la duplicité est de mise. En France, il récuse toute forme de nationalisme et d'identitarisme. Mais cela n'a plus cours lorsque cela concerne la politique israélienne, et il est visiblement très réticent aux critiques sur ce point. Allant presque jusqu’à nier la colonisation israélienne. Ait-je besoin de préciser, que demander à ce que la lutte contre le nationalisme soit menée aussi bien en France qu'en Israël, ou partout ailleurs, n'implique en aucun cas une quelconque forme d'antisémitisme ou d'antisionisme ?

Alors oui, nous avons de bonnes raisons de penser que BHL n'est pas un penseur sérieux. Et de ne pas se laisser impressionner par ses amis qui viennent à sa rescousse. Les critiques racistes, les menaces de mort et autres sont bien sur à dénoncer. Le constat est cruel, mais l'écart incroyable entre les facilités éditoriales et médiatiques dont il dispose, et la qualité de sa pensée gênèrent bien des rancoeurs, rien de moins normal. Et ce n'est pas une passion triste. L'exigence intellectuelle, la demande de rigueur, l'idée de justice avec des universitaires qui rament pour ce faire publier, tout cela, ne sont pas des passions tristes.

 


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